Opinions - 25.08.2014

Le rappel des réservistes ne suffit pas à lui seul, à répondre aux des défis de l'étape !

Depuis la révolution, et en plus de sa mission institutionnelle permanente principale  «la défense de l’intégrité territoriale du pays», l’Armée se trouve   engagée simultanément sur plusieurs nouveaux fronts:

  • contribuer au maintien de l’ordre avec la protection des sièges des institutions officielles nationales et étrangères ainsi que de nombreux établissements économiques et industriels sur l’ensemble du territoire national, sans oublier les interventions en cas de catastrophes naturelles : incendies, inondations, graves accidents routiers,  industriels…
  • gérer, sécuriser et soutenir logistiquement, lors des évènements sanglants de la révolution libyenne, les flux de réfugiés libyens et étrangers, ainsi que le camp de réfugiés de choucha au Sud-Est; de février 2011 jusqu’à sa fermeture en mai 2013;
  • assurer le soutien logistique et l’accompagnement sécuritaire des élections de 2011, mission à reconduire de nouveau dans les mois à venir pour assurer le déroulement successivement des élections parlementaires, présidentielles, puis régionales et communales;
  • et en même temps  mener une véritable guerre au terrorisme sur l’ensemble du territoire national. Ce, sans compter avec la dernière proposition, semble-t-il encore à l’étude, et qui prévoit d’engager les unités militaires dans la traque aux terroristes dans les villes et les zones urbaines.

Bref, il s’agit de nombreuses missions, simultanées, toutes des plus sensibles et surtout très exigeantes  en ressources humaines.

Il faut rappeler cette vérité d'évidence : l’accomplissement de toute mission nécessite des ressources humaines en volume conséquent et aussi des équipements appropriés. Si de nos jours on a finalement reconnu la nécessité de fournir à l’Armée les équipements et les armes adéquats et nécessaires à cette guerre contre le terrorisme, jusque-là personne, du moins à ma connaissance, ne s’inquiète quand à la disponibilité des ressources humaines, naturellement bien préparées, mais aussi en nombre suffisant pour mener à bien toutes ces missions.

Pourtant,  cela ne doit pas échapper  à l’attention du Commandement militaire, qui s’efforce constamment de résoudre cette épineuse problématique ; mais comme je persiste à prétendre que le dossier de la sécurité et de la défense du pays n’est pas et ne doit jamais être l’apanage exclusif des cadres des institutions militaires et sécuritaires, je voudrais susciter l’intérêt de tous, dirigeants du pays, élite, société civile, bref éveiller l’intérêt de chacun de mes compatriotes à ce sujet, attirer leur attention sur la gravité de la situation sécuritaire dans le pays et surtout leur rappeler l’approche, déjà prévue par la Constitution, et qui à mon avis, permet de couvrir les besoins sécuritaires en ressources humaines et mérite considération.

D’abord, Le citoyen doit  prendre conscience qu’il est, individuellement et collectivement, au centre de la problématique sécuritaire, il en est l’acteur principal et l’objectif final car c’est de sa propre sécurité qu’il est question. Ainsi, il devrait non seulement s’en soucier  mais surtout y contribuer directement et concrètement. La Tunisie a, depuis son indépendance, opté pour une Armée de conscription, c.a.d. basée sur le Service National Obligatoire, devoir consacré par la Constitution de 1959 et de nouveau confirmé par celle de 2014. En effet, l’article neuf de cette dernière stipule bien que «La préservation de l’unité de la patrie et la défense de son intégrité est un devoir sacré pour tous les citoyens.Le service national est obligatoire selon les dispositions et conditions prévues par la loi».

Par ailleurs, l’article deux de la loi 1/2004 relative au Service National préconise que «Tout citoyen âgé de 20 ans doit se présenter volontairement pour accomplir le service national, il demeure dans l'obligation de l'accomplir jusqu'à l'âge de 35 ans». Et là nous devons reconnaitre que toutes les composantes de la société, dirigeants, société civile et citoyens, ont bien failli à leur devoir envers cette problématique qu’ils n’ont jamais traitée avec le sérieux et la constance nécessaires, d’où les résultats catastrophiques jusque-là enregistrés :

  • Une élite et une classe politique dirigeante très peu au fait des questions de Défense et de Sécurité d’où la marginalisation de ce dossier et les fâcheuses conséquences qui en résultent;
  • Dans la pratique, on est  face à un système de conscription injustement sélectif, d’où le recours des jeunes citoyens aidés par la complicité de leurs proches, à tous les détours et raccourcis, même les plus irréguliers, pour se dérober à ce devoir constitutionnel sacré(!).

Tout le monde est parfaitement au courant de ce qui se trame dans ce domaine pendant que l’Armée continue à souffrir d’un déficit important en personnel, alors que le pays abonde de jeunes plein d’énergie et de volonté ; et qui  demandent juste d’être traités avec équité et motivés par de vraies bonnes causes pour se dépenser sans réserve aucune.

Compte tenu de la gravité et la sensibilité de la période que traverse le pays, il est urgent et indispensable de commencer à appliquer les textes déjà en vigueur relatifs au Service National. Concrètement,  inciter et si nécessaire pousser, les jeunes à s’acquitter de leur devoir national, bien sûr tout en veillant à garantir dans la pratique son caractère universel et équitable pour tous les jeunes ; de telle sorte que les lauréats des universités, les jeunes originaires des régions favorisées et les fils des familles aisées se retrouvent aux premiers rangs des incorporés avec ceux issus des régions et milieux moins favorisés, tous ensemble, dans les mêmes conditions et au même titre dans la même structure militaire le long des frontières et dans les vastes espaces sahariens par exemple, accomplissant  ce devoir sacré.

Cette opération, doit être accompagnée par un effort de sensibilisation et quelques mesures incitatives telles que l’application de la disposition déjà en vigueur mais non appliquée, qui consiste à conditionner toute candidature à un emploi dans la fonction publique à la régularisation de la situation du candidat vis-à-vis du service national. Et ce en attendant d’exiger cette même condition aussi à tous les prétendants  aux postes d’élus et hautes responsabilités de l’Etat.

C’est seulement à travers le Service National que le jeune citoyen pourra exprimer pleinement et concrètement sa citoyenneté brandie dès qu’il s’agit de faire valoir ses nombreux droits, laquelle citoyenneté ne se limite certainement pas à la simple détention du certificat de nationalité ; au contraire, la citoyenneté  c’est d’abord s’acquitter de ses devoirs, dont le Service National et le paiement des impôts.

Ainsi, l’enrôlement des jeunes permettra à l’Armée surtout de couvrir ses besoins en personnel nécessaire à l’accomplissement des nombreuses missions dont elle est chargée ; autrement à qui incomberait donc la défense du pays si ce n’est à ses enfants ? en quoi consiste alors le soutien que tous les Tunisiens ne cessent d’exprimer dans les médias aux militaires et sécuritaires ? juste des discours ? Par la même occasion, l’accomplissement de ce service par les diplômés de l’université, futurs dirigeants et hauts cadres du pays, leur permettra une fois qu'ils auraient accédé aux postes de responsabilité, de mieux appréhender les  dossiers de défense et de sécurité, ce qui est par les temps qui courent, loin d’être secondaire.

Encore une fois, le dossier de la défense du pays et sa sécurité n’est pas et ne doit jamais être l’apanage des seuls cadres de l’Armée et de l’appareil sécuritaire. Au contraire c’est plutôt l’affaire de chacun d’entre nous, dirigeants, membres de la société civile et  citoyens ordinaires. Aux cadres militaires et  sécuritaires, revient la mise en œuvre des grandes orientations et décisions nationales ; alors que le pouvoir décisionnel relatif à ces grands choix nationaux  relève des prérogatives du peuple soit directement, soit via ses élus.

Par ailleurs, je voudrais bien attirer l’attention de tous, dirigeants du pays et également chacun des citoyens sur la gravité des menaces et des défis réels qu’affronte déjà notre pays, ce qui implique la nécessité, pour chaque citoyen, de s’investir pleinement et concrètement dans la défense de sa patrie. Pour les jeunes il s’agit de rejoindre l’Armée et effectuer son service militaire pour se préparer physiquement, techniquement et moralement à accomplir un devoir constitutionnel sacré  qui devrait être pour eux un grand motif de fierté et considéré comme la meilleure expression de citoyenneté. Sans un sursaut national, l’Armée risque, tôt ou tard, de rencontrer de sérieuses difficultés pour aligner les effectifs nécessaires ; surtout  que la situation sécuritaire dans notre environnement, le Maghreb / la région Sahélo-Saharienne et le Moyen-Orient et plus particulièrement chez notre voisin sud-oriental, la Libye, ne fait qu’empirer et risque de perdurer ainsi encore durant des décennies à venir  avec les graves retombées sur la sécurité de notre pays. 

Pour affronter la situation prévalant en Tunisie et dans la région et compte tenu des échéances en vue, Le Conseil National de Sécurité, vient enfin de décider le rappel de réservistes, mesure proposée par de nombreux spécialistes déjà depuis belle lurette. Mieux vaut tard que jamais ! Seulement, à elle seule, cette mesure, est loin de permettre à l’Armée Nationale de faire face aux nombreux défis sécuritaires qu’affronte le pays, il est aussi indispensable et très urgent de remettre en marche le système du Service National Obligatoire tout en y apportant les correctifs nécessaires.

Il s’agit d'enrôler progressivement tous les jeunes en âge d’incorporation et leur faire accomplir le service militaire en vue de satisfaire tous les besoins des Forces Armées en personnel, en nombre et qualifications. Une fois ces besoins satisfaits, les recrues  disponibles et après avoir suivi la formation militaire de base, pourront être affectées pour le reste de la période du service militaire, aux organismes publics selon leurs besoins respectifs en qualification et en nombre, ce qui permettra à l’Etat aussi de répondre à pas mal de besoins surtout dans les régions de l’intérieur du pays et dans des secteurs socio-économiques sensibles.  De nombreuses études ont été réalisées à ce propos et il suffit de les réactualiser.

Parallèlement, et pour aider les professionnels des médias à mieux remplir leur fonction sans pour autant enfreindre les exigences de réserve quand aux événements nationaux de nature sécuritaire, il est suggéré d’organiser des séminaires de sensibilisation ayant pour thème ?Besoins d’informer et Exigences des opérations sécuritaires? au profit des acteurs du monde médiatique : rédacteurs en chef des journaux et magazines,  animateurs de plateaux TV et de radios…Ces séminaires, d’une quinzaine de jours chacun, peuvent être organisés, dans une première étape en collaboration avec le Ministère de la Défense Nationale et les parties concernées, le Syndicat des Journalistes pour les directeurs en chef et journalistes déjà en exercice; l’Institut de Presse et des Sciences de l’Information pour les étudiants, futurs journalistes par exemple…Ultérieurement, l’IPSI devra enrichir ses programmes de formation par un module sur le même thème genre "correspondants de guerre".

D’ailleurs, un effort de sensibilisation similaire mais porté sur les problématiques de défense et sécurité en général, serait aussi bénéfique pour les grands responsables et élus du peuple et pourrait en être chargé l’Institut de Défense Nationale. Au besoin, certains officiers à la retraite, seraient disposés, bien volontiers, à y contribuer.

De mon côté, je reste plutôt optimiste quant à une telle  approche et porté à croire que, moyennant une compagne de sensibilisation, un discours sincère et franc, et une application juste et équitable des textes, les jeunes tunisiens seront à la hauteur des enjeux et ne manqueront pas à l’appel du Devoir National. C’est seulement ainsi, que le destin du pays, l’issue de la guerre contre le terrorisme et la sécurisation du pays en général, seront bien entre les mains de ses enfants. Que chacun de nous, citoyens ordinaires en premier lieu, assume donc sa responsabilité et  accomplisse ses devoirs envers sa patrie. Personne d’autres ne viendra défendre ce pays à notre place.

Voulons-nous  vaincre ceux qui n’hésitent pas un instant à périr avec leurs victimes dans des explosions suicidaires, juste par nos longues palabres et notre indifférence? Rappelons-nous le sens de l’hymne national qu’on ne cesse d'entonner à tout propos «namoutou, namoutou wa yahia elwatan» ! ou s’agit-il seulement d’un truc magique qu’on brandit haut et fort juste au moment des surenchères politico-médiatiques?

Le pays et plus précisément l’Armée Nationale a grandement besoin du soutien et des efforts concrets de tous les citoyens; le Service National Obligatoire en est la meilleure expression concrète et est la stratégie prévue par la Constitution pour assurer la sécurité du pays. Cette option, l’Armée de conscription, exige des sacrifices mais reste la mieux à même de répondre aux besoins sécuritaires du pays et aussi la plus adaptée à ses potentialités ; peut être un jour ce thème fera l’objet d’un large débat national. En attendant, le pays ne peut continuer à supporter les retombées néfastes de cette passivité générale, des dirigeants en charge des destinées du pays, des partis politiques, des élites et aussi des citoyens ordinaires, quand à ce dossier "Défense et sécurité du pays" ? Quelques soient les justifications avancées, le pays doit prendre en main sa propre destinée.

En fin, il y a lieu de souligner que la concrétisation de cette approche est un assez  long processus, qui engage de nombreux acteurs et prend beaucoup de temps ; et si on ne s’y met pas de suite pour quelque raison que ce soit, je crains, le jour fatidique, qu’il ne soit trop tard. Tout peuple qui se respecte doit se doter dès le temps de paix, d’un système de défense permanent, crédible et suffisamment efficace pour dissuader tout projet d’agression à son encontre. L’histoire nous apprend que rien n’est aussi dissuasif que la détermination effective d’un peuple à se défendre, laquelle détermination doit se concrétiser dès le temps de paix en une stratégie, une organisation, des procédures, bien sûr un minimum de moyens et de la formation et de l’instruction militaires crédibles et certainement des sacrifices.

Mohamed Meddeb
Général de Brigade (à la retraite)
                                                                                       
 

Tags : arm   Tunisie  
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1 Commentaire
Les Commentaires
Mastouri Fathi - 26-08-2014 14:32

Cet article est a prendre au sérieux , car il émane d'un des meilleurs généraux de l'armee de terre, malheureusemnt vite mis a la retraite pour des raisons obscures ( que dieu ai pitie du general Ammar ).Cet article pose les vrais problèmes du service national et propose des solutions réalistes,democratiques et efficaces pour y remedier .

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