Lu pour vous - 27.11.2012

«Le Conteur» ou le but de la vie selon Hédi Bouraoui

« Rencontrer des hommes et des femmesau tournant d’une route…Des paysages au hasard des parcours…De l’art dans tous ses états, qui embellit le quotidien…Échanger avec ces inconnus tout ce qui fait notrehumanité… N’est-ce pas ça le but de sa vie ? » (p.10)

Ainsi est posée d’emblée la quintessence du nouveau roman de Hédi Bouraoui, Le Conteur qui vient de paraître aux Editions du Vermillon, à Ottawa (Canada).

C’est une œuvre composée de six chapitres, ‘Retour et détours Canada Méditerranée’, ‘Puglia trait d’union’, ‘Les régions parlent Ontario’,‘Synthèse Méditerranée : l’esprit de Frédéric II’. ‘Journée internationale de la femme’, et‘La Méditerranée au Canada’. Le matériau autobiographique y est omniprésent car le problème du sens que l’individu doit donner à la vie n’a jamais cessé de tarauder Hédi Bouraoui.Or, toute interrogation sur ce sens de la vie porte invariablement sur ces deux concepts que sont l’identité et l’altérité, deux concepts qui se rejoignent et se recoupent dans la mesure où, pour tout immigrant, et c’est le cas de notre compatriote, quel que soit son pays d’accueil, c’est souvent sur le sentiment de la différence que se pose son rapport à soi et à l’altérité.
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Dans Le Conteur ce sentiment de la différence et les préoccupations qui y sont afférentes  relèvent indéniablement la stature de l’homme, le pédagogue et l‘intellectuel engagé, témoin de son temps. En effet, son titrereprésente, à lui seul, une clé interprétative non seulement de l’œuvre, mais aussi de l’homme car ce conteur n’est autre que le fameux Samy Ben Meddah, «le conteur nomade», apparu pour la première fois dans Puglia à bras ouvert, un récitpublié en 2007 aux CMC Editions à Toronto.

Muni d’une valise remplie de « paroles savoureuses chantournées par sa Mare Nostrum et son pays d’adoption » (p.10), poussé par un irrésistible désir d’identification et de partage,   Samy Ben Meddah repart « effeuiller d’autres facettes »dans cette belle et riche province italienne qu’il aime tant :

« Bienvenue en Puglia, carrefour de civilisations comme sa Carthage natale. Il revient en ces lieux qui lui ont ouvert les bras. En même temps, en fils prodigue et en étrangerqui a semé les mots drus du dialogue des cultures… de l’entente dans la diversité… de la tolérance dans l’adversité… de la quête de la Paix avec un humour en coin qui ne se dément jamais ! »(p.14)

Et là, comme on le devine, dans la petite ville d’Acquavivadelle fonti, ( Hédi Bouraoui est depuis trois ans, citoyen d’honneur de cette ville), il renoue avec ses anciennes amitiés, notamment la charmante Chiara Bonelli, la curatrice du musée de Ruovo, devenue entre temps artiste-peintre de renom. Tout le roman s’articule habilement autour de cette convergence hautement symbolique, de deux trajectoires unies par affinités intellectuelles et esthétiques par-delà tout ancrage idéologique ou ethnique. C’est elle qui structure toute l’œuvre  dans la mesure où leur unionse trouveconcrétisée par le voyage de Chiara au Canada et par la création du club« La Parole vive contre l’oubli ». lui aussi hautement symbolique .

Comme dans la trilogie, Cap Nord,  Les Aléas d’une odyssée et Méditerranée, à voile toute, Le Conte revêt avant tout une mission éthique. Sa ligne de force n’a guère varié ; elle reste, comme d’habitude, la moralisation de la société, Samy Ben Meddah s’étant investi corps et âme dans cette mission dès les premières pages. Mais si, pour cette mission,  il a opté pour le conte, et endossé l’habit du ‘meddah’, pourtant « une race en voie d’extinction » (p.18), c’est bien pour  revaloriser  ce rôle et lui redonner ses lettres de noblesse. : semer à tout vent une parole autre qui inciterait à l’introspection et à la réflexion, non comme celle des « deux pelés ou trois tondus  de  la Place Jamaâ El Fna   à Marrakech »  devenus simple charmeurs de serpents. (p.18). Samy Ben Meddah  compte sur son ‘verbe chamarré’ pour révéler les différents maux qui affligent l’humanité et aussi pour fustiger les assoiffés du pouvoir et les intégristes de tous bords qui appellent à la haine pour l’Autre, pour celui qui n’a pas la même couleur de peau, la même religion, les mêmes origines et le même statut social:

Quand l’ouverture aux autres est bannie, les dangers s’érigent en frontières d’interdits! J’ai peur de cette malédiction qui plane sur tout pays quand disparaissent les couleurs vivaces de l’arc-en-ciel. L’unité ne peut se nourrir de l’unique. Elle est à jamais tributaire de la diversité pour garantir sa force et sa pérennité.(p.108)

L’appel à la raison universelle,  à la tolérance et à  la communion des esprits  court en filigrane dans toute l’œuvre.Le lecteur retrouvera, par exemple, dans le chapitre intitulé ‘Journée internationale de la femme’, un vibrant hommage à la femme et en même temps un violent réquisitoire contre les obscurantismes misogynes.

Usant d’un habile procédé artistique, un subtil va-et-vient constant dans le temps, il développe une fragmentation chronologique qui permet le recours à la sociologie, à la religion, à l’histoire et aux arts plastiques, pour  souligner  la culture, la  sensibilité à fleur de peau de ses  personnages, mais aussi pour expliciter ses choix et ses prises de position. Ainsi, l’une des motivations qui a conduit Samy Ben Meddah à choisir le Canada comme pays d’adoption est … sa métaphore de la « mosaïque canadienne » qui encourage les immigrés à garder leur culture… et même à la célébrer… (p.114)

Au-delà de cette métaphore de la mosaïque et du problème ô combien crucial de l’immigration, il s’agiten réalité de l’engagement de l’auteur, de cette envie altruiste, acquise au cours de sa longue carrière de pédagoguedésireux de témoigner sur les questions qui l’interpellent et sur ce qu’il a acquis par ses pérégrinations et ses expériences personnelles.

Ce soir, je voudrais vous entretenir de la mosaïque canadienne, dont j’ai tiré profit pour assembler mes tesselles esthétiques. Cette métaphore a été et restera au centre de mes préoccupations. Elle est l’écho de mon carrefour carthaginois, en plus d’incarner les valeurs de la diversité culturelle. Et j’y ai investi mon verbe chamarré bien avant les théoriciens et autres profiteurs de tous bords. (p.125)

« On n'enseigne pas ce que l'on sait ou ce que l'on croit savoir : on n'enseigne et on ne peut enseigner que ce que l'on est », affirmaitJean Jaurès dans son fameux L'Esprit du socialisme».Dans la Puglia revisitée, Samy Ben Meddah, alias Hédi Bouraoui, le ‘transcrivain’ n’a pas enseigné autre chose.

Le Conteurest un vaste savoir, une œuvre à la fois polémique et pédagogique. A lire.

Rafik Darragi
www.rafikdarragi.com

Hédi Bouraoui, Le Conteur,Editions du Vermillon, Ottawa (Canada),190 p.

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