Opinions - 07.01.2012

L'emploi féminin en Tunisie : Actualités et perspectives

Introduction

Contrairement à certaines idées très répandues, le taux d’activité du sexe féminin en Tunisie se situe actuellement très bas par rapport au reste du monde. Il est vrai que c’est l’ensemble de la zone nord-africaine qui est à la traîne dans ce domaine; 27,6% pour le taux d’activité féminin de la zone en 2009, contre 52,7% pour la moyenne mondiale ; 61,3% pour l’Afrique sub-saharienne ; 66,5 pour l’Asie ou encore 53,1% pour les pays développés. Il n’y a qu’au Moyen-Orient où un niveau encore plus bas est enregistré (24,8%). En fait, ce décalage perdure malgré le développement économique et social qu’a connu le monde arabe ces dernières décennies. En 1990, le taux d’activité des femmes de 15 ans et plus se situait à 58% en Europe de l’Est, 51% en Europe de l’Ouest,  49% au Caraïbes, 56% en Asie de l’Est, 54% en Asie du Sud-est, 58% en Asie Centrale et même à 53% en Afrique sub-saharienne contre 21% seulement en Afrique du Nord.

Taux d’activité des femmes par région en %

   1970 1980 1990
Europe de l’Est  56  56  58
Europe de l’Ouest  37  42  51
Autres régions développées  40  46   54
Afrique du Nord  8  12  21
Afrique sub-saharienne  57  54  53
Amérique latine  22  25  34
Caraïbes  38  42  49
Asie de l’Est  57  58  56
Asie du Sud-est  49  51  54
Asie du Sud  25  24  44
Asie centrale  55  56  58
Asie de l’Ouest  22  26  30
Océanie  47  46  48

Source : Nations Unies, 1995, tableau 5-4 B, p 110

Mais si l’on détaille le taux d’activité du sexe féminin dans la zone africaine sub-saharienne pays par pays, on constate que les pays à majorité musulmane comme le Mali, la Mauritanie ou le Soudan ont un taux beaucoup plus faible que la moyenne. De là à établir une corrélation entre la religion musulmane et le taux d’activité féminin, le pas est trop vite franchi. En effet ce taux est élevé au Sénégal par exemple, lui aussi à forte population musulmane pourtant. S’agit-il alors d’un problème de collecte des statistiques ou de l’influence de certaines traditions ou encore de l’impact spécifique de la nature de l’activité économique ou de tout cela à la fois, force est de dire que les interrelations ne sont pas clairement établies.

Taux d’activité des femmes par région en %

  2000 2004 2005 2006 2007 2008 2009
Monde 52,1 52,4 52,5 52,5 52,6 52,7 52,7
Economies développées et Union Européenne  51,9  52,0  52,2  52,5  52,7  53,0  53,1
Europe Centrale et du Sud-est (hors UE et CEI)  49,1  48,8  49,0  49,5  49,9  50,1  50,4
Asie de l’Est  70,3  69,0  68,3  67,6  67,2  66,8  66,5
Asie du Sud-est et Pacifique  58,1  57,7  57,7  57,5  57,7  57,9  57,6
Asie du Sud  35,5  37,8  38,2  38,6  39,0  39,3  39,6
Amérique Latine et Caraïbes  47,3  49,8  50,5  51,4  51,4  51,8  52,0
Moyen-Orient  22,6  23,8  24,1  24,3  24,5  24,6  24,8
Afrique du Nord  26,2  27,0  27,1  27,2  27,3  27,5  27,6
Afrique sub-saharienne  59,4  60,5  60,7  60,9  61,0  61,3  61,3

Source : OIT

Ce qui est remarquable d’observer ici est qu’en dépit d’un taux féminin d’activité faible, le taux de chômage féminin de la zone nord-africaine se positionne comme un des plus élevés au monde ; 15,3% contre 6,5% pour la moyenne mondiale ; 8,3% pour l’Afrique sub-saharienne et 3,7% seulement pour la zone de l’Asie de l’Est. En 2009, le BIT note que la situation est « pire pour les femmes que pour les hommes puisque, selon les estimations, le taux de chômage en 2010 était de 15% chez les femmes contre 7,8% chez les hommes». Le BIT va plus loin en affirmant que « le nombre élevé de personnes au chômage (tout spécialement les jeunes et les femmes) ne représente que la partie émergée de l’iceberg. Parmi les emplois existants, beaucoup sont de faible qualité, sous-payés, précaires et ne respectent ni les normes fondamentales du travail ni le droit de représentation des travailleurs »

Taux de chômage des femmes par région en %

  2000 2004 2005 2006 2007 2008 2009
Monde 6,6 6,8 6,7 6,3 6,0 6,0 6,5
Economies développées et Union Européenne 7,3 7,5 7,2 6,7 6,0 6,2 7,9
 Europe Centrale et du Sud-est (hors UE et CEI) 11,3 9,8 9,4 9,2 8,5 8,5 10,1
Asie de l’Est 3,8 3,6 3,5 3,3 3,2 3,6 3,7
Asie du Sud-est et Pacifique 4,9 7,0 6,9 6,6 5,7 5,5 5,2
Asie du Sud 4,6 5,6 5,8 5,4 5,3 5,1 5,1
Amérique Latine et Caraïbes 10,6 10,8 10,0 9,7 9,0 8,5 9,5
Moyen-Orient 17,4 17,4 18,4 17,2 17,3 17,4 17,3
Afrique du Nord 20,5 18,1 18,0 16,2 14,9 14,8 15,3
Afrique sub-saharienne 9,6 9,2 9,2 8,5 8,3 8,3 8,3

Source : OIT

Cette introduction, laminaire par force, situe le problème de l’emploi féminin en Tunisie, du moins sous l’angle des taux d’activité, et ce par rapport à l’Afrique du Nord et plus généralement par rapport au reste du monde. Qu’en est-il de la situation de la  Tunisie après la crise mondiale de 2008-2009 et la chute du régime de Ben Ali ?

La situation actuelle de l’emploi féminin 

Selon les dernières données fournies par l’INS dans le cadre de son enquête sur l’emploi, la population active féminine tunisienne atteindrait au second trimestre 2011 près de 1026,7 (en milliers) sur une population active globale de 3844,6 (en milliers); soit 26,7% de la population active totale.

Population active par sexe en 1000

  Mai 2005 Mai 2006 Mai 2007 Mai 2008 Mai 2009 Mai 2010 Mai 2011
Masculin 2478,1 2508,0 2570,9 2630,1 2695,1 2758,2 2817,9
Féminin 881,0 926,6 950,8 973,7 994,1 1011,0 1026,7
Ensemble 3359,1 3434,6 3521,7 3603,8 3689,2 3769,2 3844,6

Source : INS

L’appréciation de la population active féminine  est évidemment fonction du taux d’activité du sexe féminin, estimé à 24,9% contre 70,1% pour le sexe masculin et 47,2% pour l’ensemble des deux sexes. Or le taux d’activité du sexe féminin est deçà de son niveau réel si l’on prend en considération les perturbations occasionnées par le passé, de façon systématique,  à la demande d’emploi additionnelle globale par la réserve de population active composée essentiellement par le sexe féminin.

Taux d’activité par sexe

  Mai 2006 Mai 2007 Mai 2008 Mai 2009 Mai 2010 Mai 2011
Masculin 67,3 67,7 68,0 68,7 69,5 70,1
Féminin 24,4 24,5 24,7 24,8 24,8 24,9
Ensemble 45,6 45,8 46,2 46,5 46,9 47,2

Source : INS

En comparaison avec l’enquête précédente de 2010, la demande additionnelle féminine  atteindrait 15,7 (en milliers)  sur un total de 75,4 ; soit près de 21% de la demande additionnelle globale. Quand son sait que le nombre de diplômées femmes de l’enseignement supérieur  est à lui seul de l’ordre de 34.000 diplômées supplémentaires par an, dont au moins 27.000 à la recherche d’un premier emploi, on ne peut qu’émettre des réserves sérieuses quant au bien-fondé du raisonnement additionnel prévalant jusqu’ici.

Demande additionnelle par sexe en 1000

  Mai 2006 Mai 2007 Mai 2008 Mai 2009 Mai 2010 Mai 2011
Masculin 45,6 62,9 59,2 65,0 63,1 59,7
Féminin 29,9 24,2 22,9 20,4 16,9 15,7
Ensemble 75,5 87,1 82,1 85,4 80,0 75,4

Source : INS

Entre-temps la population occupée totale est passée de 3277,4 en milliers au mois de Mai 2010 à 3139,8; soit une perte d’emploi de 137,6 unités. C’est l’emploi féminin qui a payé le plus lourd tribut à la conjoncture (-73,9 en milliers) quoique l’INS avance pour l’expliquer la baisse de l’acticité dans le secteur agricole à hauteur de 64,1 emplois en milliers. Sur 704,9 milles chômeurs recensés en 2011, le nombre de chômeurs du sexe féminin a atteint 281,1 milles ; soit les 2/5 du chômage global contre 30,1% en 2005 par exemple. La baisse de l’activité agricole n’explique donc pas tout.

Population occupée par sexe en 1000

  Mai 2005 Mai 2006 Mai 2007 Mai 2008 Mai 2009 Mai 2010 Mai 2011
Masculin 2177,6 2218,6 2279,3 2336,8 2391,4 2457,8 2394,1
Féminin 750,9 786,3 805,8 818,6 807,5 819,6 745,7
Ensemble 2829,5 3004,9 3085,1 3155,4 3198,9 3277,4 3139,8

Source : INS

Créations d’emploi par sexe en milliers

  2006 2007 2008 2009 2010 2011
Masculin 41,0 60,7 57,5 54,6 66,4 -63,7
Féminin 35,4 19,5 12,8 -11,1 12,1 -73,9
Ensemble 76,4 80,2 70,3 43,5 78,5 -137,6

Source : INS

En fait, l’aggravation du chômage féminin est constante et rapide dans le temps puisque le taux de chômage du sexe féminin est passé de 15,2% en 2005 à 18,9% en 2010 et à 27,4% en 2011. Entre-temps, le taux de chômage du sexe masculin est passé de 12,1% en 2005 à 10,9% en 2010 et 15,0 % en 2011 comme l’indique le tableau ci-dessous ; contre respectivement 12,9%, 13,0% et 18,3% pour le taux de chômage global.

Taux de chômage en %  

  2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011
Masculin 12,1 11,5 11,3 11,2 11,3 10,9 15,0
Féminin 15,2 15,1 15,3 15,9 18,8 18,9 27,4
Ensemble 12,9 12,5 12,4 12,4 13,3 13,0 18,3

Source : INS

Pour sa part, le taux de chômage chez les diplômées du supérieur femmes a atteint 43,8%  en 2011 contre  23,7% seulement chez les diplômés hommes du supérieur. Ce  taux aurait atteint un niveau nettement plus élevé si le taux d’activité du sexe féminin des classes d’âge 20-24 ; 25-29 et 30-34 avait été mieux apprécié.

Taux de chômage des diplômés du supérieur selon le sexe en %

  2005 2006 2007  2008  2009  2010  2011
 Masculin  10,3  11,3  12,9  13,9  14,6  15,8  23,7
 Féminin  21,6  26,0  27,4  30,0  34,9  32,9  43,8
 Ensemble  14,6  17,0  18,7  20,6  23,4  23,3  33,6

Source : INS

L’arbre qui cache la forêt

En 2008, les tunisiennes ont représenté 29% des magistrats du pays, 31% des avocats, 42% des médecins, 72% des pharmaciens, 34% des journalistes, 21% de l’administration publique, 51% des instituteurs, 48% des professeurs du secondaire et 40% des professeurs du supérieur. Ce tableau idyllique n’est en fait que l’arbre qui cache la forêt. En effet, les femmes ne représentent en 2008 que moins de 8,9% des membres de l’exécutif, du corps législatif et cadres supérieurs de l’administration publique ; 17,4% des directeurs ; 10,8% des dirigeants et gérants. Par contre, elles représentent 49,7% des employés de bureaux et 74% des conducteurs de machine et ouvriers de l’assemblage. En outre, l’emploi féminin se concentre principalement dans l’agriculture, les industries manufacturières et les services, des activités qui pâtissent davantage des aléas climatiques et économiques et des retournements de conjoncture.

Evolution de la population active occupée féminine selon le secteur d’activité en 1000

  2005 2006 2007 2008
Agriculture 158.0 163.3 157.9 147.4
Industries Manufacturières 249.8 255.3 257.8 263.1
Mines et Energie 2.9 1.7 2.4 3.4
B.T.P 3.3 2.2 3.1 5.4
Services 331.3 345.0 364.9 384.8
Non déclarés 5.6 18.8 19.8 14.5
 Total  750.9  786.3  805.8  818.6

Source: Enquête Nationale sur l’Emploi (2005, 2006, 2007,2008)

Au niveau des divers programmes d’encouragement à l’emploi, on constate qu’en 2008 les femmes ont constitué près de 28% des bénéficiaires du Fonds National de l’emploi 21-21 ; 59% des bénéficiaires du stage d’initiation à la vie professionnelle ou SIVP ; 65,2% des bénéficiaires du contrat d’insertion des diplômés de l’enseignement supérieur ou CIDES ; 64,5% des bénéficiaires du contrat d’adaptation et d’insertion professionnelle ou CIAP ; 51% des bénéficiaires   de la prise en charge par l’Etat d’une part des salaires versés au titre des nouveaux recrutements des diplômés de l’enseignement supérieur ou PC50 ; 65,3% des bénéficiaires du stage d‘initiation et d’adaptation pour la création d’entreprise en 2009 ou SIACE et enfin  près de 29% des projets financés par la Banque Tunisienne de Solidarité ou BTS en 2008.

Population occupée par statut et sexe en 2011 (en %)

  Indépendants Salariés Aides familiaux Non déclarés Ensemble
Masculin 28,2 68,6 3,2 - 100,0
Féminin 12,5 79,5 8,0 - 100,0
Ensemble 24,5 71,2 4,3 - 100,0

Source : INS

Or, les données récentes sur le chômage féminin montre que ces programmes ont atteint une certaine limite et qu’ils coûtent finalement trop chers  par rapport à leur rendement réel. Certes, les femmes tunisiennes ne rencontrent pas, en théorie, de vrais obstacles réglementaires  à l’emploi ou à la création d’entreprise, mais la somme des rétentions sociales et culturelles  continue à jouer considérablement en leur défaveur. Le chômage qui frappe plus durement les femmes diplômées du supérieur constitue à cet égard un révélateur essentiel.

La conjoncture politique et économique et ses conséquences

La conjoncture politique et économique par laquelle passe la Tunisie en ce moment a bien évidemment des répercussions directes sur l’emploi en général et l’emploi féminin en particulier, répercussions qui se feront sentir pendant quelques années encore. Dans l’état, la gravité de la situation peut se mesurer à travers l’explosion de la demande d’emploi et l’aggravation subite du taux chômage, conséquences de la baisse brutale de l’activité économique et du ralentissement de l’investissement dans les branches à haute intensité de main d’œuvre. Mais il est à craindre que la situation empire davantage si on réussit à réorienter les normes culturelles et sociétales dans un sens régressif. Cela rendra l’accès des tunisiennes au marché du travail encore plus difficile qu’il ne l’était jusqu’ici. Cette évolution tomberait d’ailleurs d’autant plus mal pour les femmes que la demande féminine d’emplois est devenue supérieure à celle des hommes depuis 2004 et que l’offre d’emplois n’a pas suivi, d’où la tentation toujours possible d’instituer dans les faits sinon dans la pratique une forme de ségrégation anti-féminine.

Evolution des demandes d’emploi en fin de mois par sexe (fin décembre)

  2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009
Hommes 44171 39044 41639 47215 46907 46040 47218 45922
Femmes 31410 35478 41945 47739 53448 53173 55293 59455
Ensemble 75581 74552 83584 94954 100335 99213 102511 105377

Source : Indicateurs d’activité, ANETI

Au-delà de la conjecture proposée sur laquelle on peut légitimement épiloguer, notre crainte s’alimente aussi de certains faits observés. En effet, l’évolution des placements effectués par l’ANETI par sexe au cours de ces dernières années montre qu’au total le marché de l’emploi continue à privilégier le placement des hommes bien que des considérations structurelles comme la mobilité, la disponibilité, l’assiduité, le métier ou le secteur activités peuvent entrer en jeu.

Evolution des placements par sexe

  2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009
Hommes 54057 68143 71866 71083 70545 70109 75548 73000
Femmes 33120 39497 47466 47883 52821 54463 58676 58403
Ensemble 87177 107640 119332 118966 123366 124572 124572 131403

Source : Indicateurs d’activité, ANETI

Pour ne prendre en exemple que les données relatives à 2009, on constate que la moitié des placements des femmes réalisées par l’ANETI s’est effectuée dans les industries manufacturières (51%) ; 9,6% dans l’agriculture et la pêche ; 8,6% dans le commerce ; 6,2% dans l’Administration et de façon plus globale 38% dans le tertiaire. Nonobstant l’Administration, les placements effectués ont intéressé des activités fragiles au regard de la conjoncture. Cette observation peut être corroborée par d’autres données fournies par l’ANETI. Entre Novembre 2011 et Novembre 2010, les offres directes d’emploi ont baissé de 56,5% ; les offres de stage de 7,7% ; les placements directs de 74,7% dont 60,9% pour les diplômés du supérieur. Parallèlement, et pour la même période, le nombre des nouveaux inscrits a augmenté de 32,3% ; les demandes d’emploi en fin de moi de 112,7%.
 
Si l’on analyse les données relatives aux investissements industriels déclarés telles qu’elles sont fournies sur par l’Agence de Promotion des Investissements (API) sur les 11 premiers de 2011 en comparaison avec les 11 premiers mois de 2011, on constate que les branches ayant le plus souffert de la conjoncture  sont les industries du textile et de l’habillement (ITH) et les industries du cuir et de la chaussure (ICC) ; respectivement moins de 36,2% et moins de 53,5%. Or ces deux branches occupaient jusqu’alors 44,3% de la population active dans l’industrie (il s’agit des entreprises dont l’effectif est supérieur ou égal à 10, soit ce qu’on appelle le secteur structuré).

Investissements déclarés dans l'Industrie en MD durant les 11 mois 2010/2011 

Branches 11 mois 2010 11 mois 2011 Variation en %
IAA 531,0 751,3 41,5
IMCCV 312,1 409,6 31,2
IME  574,4  671,4  16,9
 ICH  730,2  888,3  21,7
 ITH  268,2  171,2  -36,2
 ICC  28,8  13,4   -53,5
 ID  340,4  458,8  34,8
 Total Industrie  2 785,1  3 364,0 20,8

Source : API

Les  investissements totalement étrangers ont baissé de 48,2% entre les deux périodes indiquées. Quant aux investissements dans les services, ils ont baissé globalement de 20,5% ; les investissements totalement étrangers dans les services de 23,2%.  Aux méfaits de la conjoncture nationale sont venus se greffer les méfaits de la conjoncture internationale. Mais s’agit-il là d’une conjoncture qui pourrait évoluer favorablement pour peu que le climat social et politique change ou d’une évolution structurelle, c'est-à-dire d’une évolution qui perdurera à moyen et à long terme ? En d’autres termes, le marché de l’emploi en Tunisie est-il devenu moins attractif ou moins compétitif par rapport à nos concurrents du bassin méditerranéen et asiatiques ?  C’est là une question à laquelle il est difficile de répondre pour le moment. Il est en tout évident que la crise financière qui tenaille nos principaux partenaires commerciaux en Europe aura des conséquences négatives sur l’emploi  féminin en Tunisie.

Remarques générales sur l’emploi féminin

Les tunisiennes sont entrées massivement dans le travail et plus particulièrement dans le salariat à partir des années quatre-vingt-dix. Entre-temps, leur niveau d’éducation et leur qualification se sont accrus, principalement pour les plus jeunes. Toutefois leur insertion dans l’emploi présente encore de très fortes différences avec celle des hommes.

Nous avons déjà évoqué les difficultés d’insertion des femmes dans le monde du travail. Mais ce volet n’exprime pas la totalité des discriminations qui les frappent. En effet, une enquête menée en 2004 sur les déterminants des salaires des diplômés du supérieur révèle que les hommes sont mieux rémunérés que les femmes quel que soit le niveau du diplôme : plus de 30% pour les ingénieurs hommes ; plus de 23% pour les maîtrisards hommes ; plus de 25% pour les techniciens supérieurs hommes. Il est donc faux de prétendre à l’égalité des sexes au niveau de l’emploi et des salaires en Tunisie, du moins dans le secteur privé. En tout cas, ces différences se retrouveront forcément au niveau des retraites des femmes, problème sous-estimé jusqu’ici. De même et selon la même source, les ingénieurs spécialistes en informatique, en mécanique et en électricité perçoivent en moyenne un salaire supérieur de 26% par rapport aux autres ingénieurs ; les maîtrisards, les diplômés en langues, sciences humaines et en sciences de la vie perçoivent un salaire inférieur d’environ 32% par rapport à celui des diplômés en comptabilité, en finance en commerce, gestion et économie. Or, les femmes se concentrent précisément dans les filières les moins bien payées bien qu’elles représentent 61,5% des effectifs du supérieur en 2010/2011 et 62,5% des diplômés en 2009/2010.
 
De façon générale,  les femmes tunisiennes sont plus nombreuses que les hommes à être recrutées avec des contrats à durée déterminée (CDD). Elles sont plus nombreuses à occuper un emploi à temps partiel et souffrent plus que les hommes du  sous-emploi, de la précarité et de l’inadéquation de leurs qualifications avec les postes qu’elles occupent. Entre-temps, la société et les canons sociaux ont évolué plus rapidement que l’appareil productif. L’emploi est devenu pour la tunisienne un gage d’autonomie et d’indépendance financière à l’heure où les revenus salariaux ont nettement baissé en termes réels pour les ménages. Il représente aussi un point d’ancrage dans la société, un motif de valorisation et la juste rétribution des efforts scolaire et universitaire des femmes dans la mesure où l’emploi et le salaire incarnent un juste retour sur l’investissement en capital humain. De ce point de vue, les tunisiennes sont doublement « perdantes ».  

Venons-en maintenant à quelques données pouvant autoriser des interprétations erronées,  donnant lieu à une lecture à rebrousse-poil. Il s’agit de l’évolution du taux d’activité du sexe féminin. En effet, ce taux connaît depuis quelques années une relative stagnation après avoir connu une augmentation rapide entre 1966 et 2000 passant de 5,6% à 23,8% entre les deux dates. Certes, il faut distinguer trois groupes de classes d’âge et trois périodes dans le temps entre 1966 et maintenant pour affiner l’analyse. Globalement cependant, le taux d’activité des femmes entre 15 et 24 ans a connu une baisse due principalement à la rétention scolaire et à la situation du marché de l’emploi. En fait,  plus les femmes avancent dans l’âge à l’intérieur des deux classes 15-19 ans et 20-24, moins leur taux d’activité se ressent des aléas économiques. Par contre, le taux d’activité des femmes âgées entre 25 et 54 ans a évolué vers la hausse. Cette hausse s’explique par plusieurs données dont la scolarisation, la baisse du taux de fécondité ou bien encore le  développement de certaines activités comme le secteur du textile et de la confection ou les services. Finalement, l’offre d’emploi agit directement sur la demande d’où la remarque que nous avions déjà faite sur l’importance de la réserve de population active quant à l’appréciation de la demande. Ces considérations ne semblent pas avoir eu un impact sur le taux d’activité des femmes âgées entre 55-59 ans puisque celui-ci fluctue ou stagne. 

Quoi qu’il en soit, il semble bien que l’évolution des mentalités et des comportements sociaux ait été déterminante quant à l’accroissement du taux d’activité du sexe féminin. Quant à savoir qui a impulsé la tendance à l’autre du célibat ou de l’activité par exemple, cela ne peut relever que de la conjecture ou du procès d’intention. Nous en avons pour preuve l’évolution du taux célibat des femmes, sujet de toutes les polémiques et de toutes les interprétations erronées. En effet, ce taux est en baisse depuis 2004, passant de 38% en Avril 2004 à 37,8% en Mai 2008 et à 35,7% en Mai 2011.

Taux de célibat en %

Année Avril 2004 Mai 2005 Mai 2006 Mai 2007 Mai 2008 Mai 2009 Mai 2010 Mai 2011
Masculin 47,1 47,0 47,4 47,1 46,2 46,4 45,0 45,0
Féminin 38,0 38,0 38,6 37,9 37,8 37,3 36,0 35,7
Ensemble 42,5 42,4 42,9 42,5 42,0 41,8 40,5 40,3

Source : INS

Cet exemple montre qu’il existe un réel fossé entre les faits dûment établis et les hallucinations infondées de certains. Le célibat des femmes comme celui des hommes d’ailleurs est globalement en baisse, et en tout cas relativement stable. Il faut aller à l’analyse du phénomène, région par région, pour se convaincre que des motifs socioéconomiques sont à l’origine de la hausse observée. En tout état de cause, les caractéristiques démographiques de la population sont à mettre en perspective seulement dans le long terme, en faisant en appel, pour les analyser, à plusieurs outils à la fois.  

Conclusion

Au vu des données chiffrées et de la nature des débats qui agitent la société tunisienne à l’heure actuelle, la  conclusion sur le devenir des femmes tunisiennes dans le marché du travail ne peut être que raisonnablement pessimiste. La tentation est grande en effet de voir les décideurs politiques du moment user de la conjoncture économique et sociale pour ériger des barrières réglementaires ou théologiques afin de contrecarrer l’entrée des femmes dans le marché du travail. Il se peut que les théories malthusiennes soient mises à contribution à leur tour pour conclure à la nécessité de partager un travail devenu rare. Les syndicats eux-mêmes pourraient y adhérer ainsi qu’une opinion publique très mal informée à ce propos. Le fait que l’élite du pays se féminise à vue d’œil, que les lycées Pilote soient fréquentés par un pourcentage de plus en plus élevé de filles et que la gente féminine soit plus en réussite au niveau des cursus scolaire et universitaire que la gente masculine pourrait constituer un frein réel à des tentations rétrogrades,  du moins pour un temps, mais il n’est pas du tout certain  que la digue  puisse résister longtemps à la marée montante qui s’annonce.

Bref, l’emploi féminin est bien au cœur de la bataille politique et cultuelle qui s’annonce en Tunisie. D’un côté, il y a ceux qui croient au mérite, à l’accomplissement de soi par le travail et l’éducation, à la liberté individuelle et à l’égalité des sexes. De l’autre, il y a ceux qui avancent en catamini pour jouer de certaines peurs et qui font prévaloir leurs propres  considérations religieuses pour remettre en cause les acquis des femmes tunisiennes et leur droit à l‘emploi et à la dignité. On aimerait naturellement que le premier camp puisse triompher, mais on aimerait davantage encore que le second puisse se résoudre enfin à admettre la primauté de certaines évolutions démographiques et socioculturelles devenues inaliénables. 

Habib Touhami
Conférence donnée par M. Habib Touhami Economiste et ancien Ministre, à l’occasion de la table ronde organisée par l’association « la Voix de la femme » et la Konrad-Adenauer-Stiftung à l’Hôtel Africa, le 24 Décembre 2011

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1 Commentaire
Les Commentaires
chokri hentati - 23-01-2012 13:55

je vous remercie pour votre article et les chiffres donnés. je tiens juste à vous citer que la femme tunisienne a un boulot énorme avec sa famille et ses enfants et c'est elle qui porte plus de 70% de la charge de la maison et la femme rurale en plus du foyer elle s'occupe des bêtes, de la petite culture, des enfant alors pas mal d'hommes restent au café du village pour trainer et tuer le temps. je pense que cette situation nécessite à être cité dans l'emploi féminin

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