Lu pour vous - 05.06.2013

Khayam Turki fait de la réconciliation nationale un préalable aux élections

Le dirigeant d’Ettakatol Khayam Turki estime qu’« on ne devrait même pas aller aux prochaines élections sans une réconciliation nationale préalable tant le risque est grand que ces élections n’exacerbent davantage la situation par des discours violents et manipulateurs, des objectifs flous et autres intentions retorses ». Dans un essai politique intitulé « La Tunisie Demain » qu’il vient de publier chez Sud Editions, il invite « les ténors de la classe politique à s’asseoir tous autour d’une table et aplanir leurs différends dans l’intérêt suprême de la nation ». Khayam considère nécessaire de « s’accorder courageusement sur quelques préalables », notamment  « reconnaitre d’abord que les anciens régimes n’étaient pas le mal absolu et n’avaient certainement pas fait de tous les serviteurs du pays des complices ! Reconnaitre ensuite la nécessité d’une réhabilitation urgente des entrepreneurs et hommes d’affaires. Et reconnaitre enfin de manière claire et sans conditions ni a priori, la souffrance passée et présente de tant d’hommes et de femmes dont l’unique tort fut, pour la plupart d’entre eux, d’avoir épousé une idéologie, suivi un mouvement politique ou adopté des idées non tolérées par les régimes précédents ».

Bonnes feuilles

On n’entend pas par réconciliation nationale simplement une énième proposition de textes de lois car le droit, pour indispensable qu’il soit, reste froid. Or, la réconciliation doit transcender le droit et puiser au fond de nous-mêmes notre capacité au repentir et au pardon. La vocation de la réconciliation nationale est de s'unir, de se rassembler, d’échanger et de s'identifier à un projet de redéploiement régional, économique et social de notre pays unanimement désiré par tous, malgré nos divergences actuelles. La réconciliation nationale ne peut aboutir que si nous y allons mûs par un objectif qui nous dépasse tous par son acuité et sa nécessité absolues.

Seule la participation de tous les acteurs rassemblant derrière eux une grande partie de l’opinion publique politisée permettra une réconciliation effective et rapide et nous permettra enfin de nous atteler à notre priorité sociale: partis politiques, UGTT, patronat, associations représentatives des jeunes, des femmes, des professions, représentants de régions, etc. Elle sera, aussi, l'occasion pour une partie de l’élite politique et économique du pays d’obtenir le grand pardon du peuple, non pour avoir fauté mais pour avoir détourné le regard ou au mieux repoussé l’urgence de l’aide à nos concitoyens les plus défavorisés.

C'est seulement dans ces conditions qu’une fois les esprits apaisés, nous pourrons démarrer le processus de réhabilitation de nos régions abandonnées. La réconciliation politique doit être comprise comme un préalable à la réconciliation nationale qui vise le rapprochement entre les régions et les différentes couches sociales. Réconciliation politique, nationale et régionale, de tels objectifs ne font qu’un et doivent être inscrits dans la même dynamique et couchés sur le même document.

Mais cela suppose également que l’on s’accorde courageusement sur quelques préalables:

Reconnaitre d’abord que les anciens régimes n’étaient pas le mal absolu et n’avaient certainement pas fait de tous les serviteurs du pays des complices ! La grande majorité des hauts fonctionnaires, ministres, responsables politiques, des dirigeants de sociétés publiques et autres compétences si nombreuses et qui ont servi l’Etat ou le secteur public, ont travaillé depuis l’indépendance et jusqu’à ce jour, pour le pays et non pour un régime et encore moins pour des familles proches du pouvoir. Les générations qui nous ont précédés ont créé et consolidé un Etat, une administration, des sociétés, des écoles et des universités et peuvent être légitimement fières de leurs réalisations. La grande majorité des serviteurs de notre pays de ces vingt dernières années, pour ne parler que de la période de Ben Ali -sans doute la plus sujette aux critiques, étaient des gens de bonne facture, des patriotes à qui l’on se doit d’être reconnaissants pour les éminents services rendus à la nation dans un climat de peur largement partagé et pendant une période où beaucoup furent victimes d’humiliations et de menaces en tous genres que le pouvoir à Carthage maniait sans discernement.

Ce sont eux qui ont permis au service public de continuer à fonctionner jusqu'à ce jour et d’assurer une stabilité minimum si appréciable dans le pays. Idem pour le cas très particulier des agents de sécurité et des forces de l’ordre qui doivent faire, de notre part à nous tous, l’objet d’une attention à la fois bienveillante et particulière. Tout a été dit sur eux sauf que la grande majorité de ces enfants du peuple sont loin d’avoir été les enfants gâtés de Ben Ali et que leurs missions ont été aussi éprouvantes qu’ingrates. Vis-à-vis de tous ceux qui ont travaillé sous les régimes précédents, nous nous devons d’être plus modestes surtout que nous n’avons pas encore de quoi pavoiser en matière de décloisonnement des régions intérieures ou de conduite de la transition démocratiques et donc pas de quoi donner l’exemple.

Reconnaitre ensuite la nécessité d’une réhabilitation urgente des entrepreneurs et hommes d’affaires. Pour avoir souffert depuis plus de deux années de l’amalgame fait entre eux et quelques affidés de Ben Ali qui ont sévi pendant l’ancien régime, cette catégorie professionnelle de la population doit être réhabilitée au plus vite par les discours et l’action politiques. Ce pas doit être entrepris avec d’autant plus de célérité qu’en l’état actuel de l’économie du pays, faire perdurer cet état de suspicion, de dénigrement et de découragement est une véritable menace pour l’avenir du pays. Les plus fragilisés d’entre nous étant, bien entendu et comme toujours dans ces cas-là, les principales victimes de cette situation. Il faut le faire avec  plus de conviction d’autant qu’à part les quelques ripoux, ils furent pour beaucoup d’entre eux également victimes de l’ancien régime par voie de harcèlement, pressions, rackets et humiliations en tous genres. On ne peut donc laisser perdurer un climat de suspicion qui fait que quelques-uns salissent toute la profession et la jettent en pâture à la vindicte –d’ailleurs plus politique que populaire- créant un climat aussi détestable que suicidaire pour l’économie. Cela est d’autant plus regrettable que beaucoup de nos capitaines d’industrie, grands ou petits, dans les différents secteurs de l’économie sont non seulement capables mais désireux de contribuer sensiblement à un redéploiement régional des investissements dont l’intérieur du pays a tant besoin.

Reconnaitre enfin de manière claire et sans conditions ni a priori, la souffrance passée et présente de tant d’hommes et de femmes dont l’unique tort fut, pour la plupart d’entre eux, d’avoir épousé une idéologie, suivi un mouvement politique ou adopté des idées non tolérées par les régimes précédents. Et qu’importe que certains aient subi les affres du pouvoir car ils étaient moins démocrates qu’avides eux-mêmes du pouvoir. Qu’importe si des excès voire des violences réelles et condamnables ont émané de certains d’entre eux durant cette période.

Cela ne saurait ni ternir l’innocence ni atténuer la souffrance de la plus grande partie d’entre eux et devrait encore moins leur retirer le droit à une reconnaissance sinon matérielle – pour les plus affectés d’entre eux qui n’ont pas choisi le combat politique- du moins politique dans le cadre de la réconciliation nationale. Si tous les profils d’opposants politiques ont subi la cruauté du régime précédent -démocrates, défenseurs de droits et de libertés, communistes, islamistes- il faut également reconnaitre, dans le cadre de la réconciliation nationale, la lourdeur particulière de la chape qui a pesé sur les islamistes, bien plus nombreux. A ceux-là, à leurs familles, on doit manifester la sympathie et la reconnaissance qu’ils méritent.

C’est ainsi que l’on peut contribuer à apaiser et à normaliser leurs propres regards sur le reste de la société jugée jusque là ingrate. Seule la réconciliation nationale permettra ensuite à cette même société de les appréhender avec sérénité pour encourager leurs efforts ou au contraire condamner des agissements contraires aux libertés et cela en toute bonne conscience".

Lire aussi:

Un livre de Khayam Turki : « Demain la Tunisie »
 

Tags : Ettakatol   khayam turki   Tunisie  
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2 Commentaires
Les Commentaires
basly mohamed sahbi - 06-06-2013 11:53

je suis particulierement heureux de constater que la raison est enfin au rendez vous de la reflexion politique Tunisienne ...cette reflexion que nous souhaitons toujours orientee vers l'interet national ..et non l'interet partisan d'un parti ou un groupe de partis comme c'est le cas helas aujourd'hui dans notre pays . je me souviens avoir preconise cette reflexion sur les plateaux de TV et les radios et dans mes contacts directs avec tous les leaders politiques sans exceptions...qui me repondaient a chaque fois par un sourd silence ...quant'aux medias pensant venir d'une autre planete ..et ne correspond ant pas a leur cacophonie habituelle ont quant'a eux preferer inviter desormais des hommes plus que de femmes d'ailleurs ..pour semer la haine la discorde souvent a travers le monsonge et la defamation gratuite ..non reprimandee par ailleurs par notre justice ... pour creer un climat lourd de consequences pour l'avenir immediat du pays qui souffre actuellement d'une image fortement prejudiciable chez nos amis et nos partenaires politiques et economiques . merci a si khayem turki qui represente toutefois l'avis de nombres d'intellectuels et operateurs economiques ,patriotes ,qui comme auparavant se terrent dans un silence qui peut paraitre complaisant ,mais qui en fait demontre une amertume a peine dissimulee ..mais comme auparavant ne souhaitent pas se meler a cette mediocrite ambiante de tous bords ,devenue helas notre pain quotidien...?

Dr. Néjib BOURAOUI (Politologue) - 06-06-2013 12:03

Arrêtez la politique de démagogie et de rafistolage, car rien ne vaut des élections démocratiques, dans un Etat qui se veut vraiment démocratique! Le consensus national pourrait se faire uniquement autour de la fixation des prochaines échéances électorales et seuls les partis politiques reconnus pourront prendre part aux élections et accéder au pouvoir en cas de victoire. C’est donc au peuple tunisien souverain et indépendant de choisir celles et ceux qui le représenteront et le gouverneront. Penser à faire le partage du pouvoir comme une farce (Zarda !) avant la tenue des élections, n’est rien d’autre qu’un appel au retour aux vieilles méthodes et pratiques de gouvernance dont le peuple tunisien en a marre et ne veut plus en entendre parler !

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