News - 15.01.2015

Echec et Mat: la partie n'est pas encore finie

Le scénario d'effondrement du système monétaire international (SME) et du rôle prépondérant du billet vert sur le marché mondial continue de susciter la curiosité aussi bien des acteurs financiers, des intellectuels et des Etats.

La réflexion de Dmitry Kalinichenko paru sur le site InvestCafe.ru il y a quelques jours et traduite en français sous le titre: " Echec et Mat : le piège en or de Vladimir Poutine" a amplifié cette curiosité et s'est accompagnée de débats sérieux, de propos réfléchis mais aussi de pas mal d'inepties.

Bien que ce scénario d’effondrement reste possible, l'hypothèse de la fin du dollar et du rôle historique des États-Unis dans le SME paraît peu plausible, du moins sur le moyen terme. Trois principaux arguments liés essentiellement à l'évolution du marché de l'or, au comportement de la FED et à la nature des rapports intra-BRICS peuvent conforter ce constat.

Manifestement, en recadrant les hypothèses avancées par Kalinichenko dans le contexte politico-économique régional et mondial, il est possible de montrer que ces trois arguments peuvent défier sa réflexion.

Or, Pétrole et Dollar

Aujourd’hui, l’or semble proportionnellement affaibli et sous-évalué face au dollar américain à cause d’un énorme effort économique de la part de l’Occident. Combinée avec une augmentation vertigineuse des prix de l'énergie de ces dernières années, la capacité d'achat d'or physique par la Russie s'est trouvée au plus haut niveau.

Cependant, la dernière chute des prix de l'énergie et le revirement attendu des prix de l'or pourront contraindre l'accumulation du métal jaune par la banque centrale russe. En effet, dans une économie de rente telle que la Russie, la baisse du prix de l'or noir de presque 50% ne peut que diminuer la capacité d'accumulation de réserves en devises (ou en or) chez l’institut d’émission. Une telle situation se compliquera davantage avec des prévisions n'annonçant pas une reprise des prix de l'énergie dans un futur proche (notamment à cause de la stabilisation de l'offre de l'OPEP, d'une exploitation du pétrole de Schiste et d'une indépendance énergétique graduelle des États-Unis, etc) [1].

D'autre part, les anticipations sur les marchés de l'or indiquant une hausse tendancielle des prix (en particulier à cause de la fermeture de nombreuses mines, des taux d'intérêt réels encore bas, d'une augmentation mécanique de la demande, etc) ne pourront qu'affaiblir davantage la position russe [2].

Vraisemblablement, cette évolution du prix de l'or et du pétrole aidera davantage le dollar à servir comme mode ultime de paiement et d’accumulation de biens. Déjà, et rien que pour 2013, presque 90% des 5.3 trillion de dollars enregistrés à titre de transactions journalières sur les marchés de change intègrent le dollar [BRI 2014]. De même, 60% des réserves de change détenues chez les banques centrales sont libellées en dollar [FMI 2014]. Ces chiffres montrent que les investissements demeurent toujours sûrs lorsqu'il s'agit du billet vert.
En définitive, la conjonction d’une augmentation du prix de l'or, d’une diminution du prix de pétrole et d’une valorisation du dollar (rarement observée dans le passé) ne peut qu'affaiblir la position russe et prolonger l'establishment économique actuel.

QE, Dollar et Rouble

Dans un contexte de globalisation, le degré de solidité d'une économie est mesuré par le pouvoir d'achat de sa monnaie. Les craintes d'un anéantissement de l'économie américaine qui s'est nourri ces dernières années par la dégradation de la valeur du dollar s'avère donc compréhensible.

Or, en prenant en considération les annonces des principales grandes banques centrales dans le cadre de leurs politiques de "Forward Guidance" ainsi que les perspectives de croissance transatlantique, on s'aperçoit que l'éventualité d'une baisse permanente du dollar et d'un renforcement de la position du rouble ne sera pas crédible.

Plus particulièrement, la fin du QE et le changement graduel de la politique monétaire de la FED vont pousser les taux d'intérêts à la hausse, ce qui va faire grimper la valeur du dollar. Ce scénario pourra être renforcé par des politiques monétaires très expansionnistes dans la zone euro et au Japon (à cause des menaces déflationnistes) qui s'accompagneront d'une dépréciation de leurs monnaies vis à vis de la monnaie américaine.

D'autre part, la sortie des capitaux des pays émergents (surtout de la Russie dont la monnaie est totalement convertible) vers les États-Unis et l'accroissement des besoins de l'économie russe en produits de consommation et industriels (conséquence naturelle des sanctions que lui sont infligées) vont certainement affaiblir davantage sa monnaie vis à vis du dollar.

Manifestement, la confiance vis à vis du billet vert va prendre du terrain, en particulier avec la reprise économique remarquable enregistrée aux États-Unis alors que l’inverse pourra se produire dans le cas de la Russie. En effet, selon le FMI, l’économie américaine continuera de camper à la première marche du podium, surtout que le PIB en valeur est estimé à 18.287 milliards de dollars en 2015, un chiffre en progression de 5% sur douze mois. A contrario, les perspectives de croissance en Russie ne seront pas du tout rassurantes, avec une possibilité de récession en 2015.

BRICS, Dollar et Système Monétaire International

Assurément, l'espoir d'effondrement de la monnaie américaine ne peut se concrétiser que si une autre monnaie forte (ou un étalon-métal) émergera comme substitut parfait au dollar dans les transactions internationales. La monnaie européenne par exemple, avec des actifs libellés à hauteur de 20% en euros [BRI 2014] et des réserves chez les banques centrales ne dépassant pas les 25% du total des réserves [FMI 2014] n'a pas jusqu'à présent pu constituer une alternative sérieuse au dollar.

En revanche, la montée des BRICS a ravivé cet espoir, en particulier avec les accords énergétiques phénoménaux conclus entre la Russie et la Chine, les investissements directs étrangers chinois colossaux en Russie, les opérations de swaps enregistrées entre ces deux pays émergents et surtout la constitution de deux institutions financières régionales concurrentes au FMI et à la banque mondiale. Evidemment, si l'alliance intra-BRICS sera forte et qu'une monnaie commune concurrente émergera, les États-Unis et sa monnaie seront dans une position de faiblesse.

Or, nonobstant les avancées enregistrées, des doutes planent sur la capacité de ce groupe de pays à constituer un bloc homogène concurrentiel aux américains et ce, pour des raisons économiques et géopolitiques.  
Rappelons dans ce cadre et à titre d'exemple que l'Afrique de Sud est le plus petit pays du groupe en termes du PIB et du nombre de population et que, de par sa petite taille, la capacité d'exploiter de véritables opportunités commerciales et de concurrencer les autres pays pourra être faible. Le risque de sortie de l’alliance s'avèrera donc toujours présent.

Aussi, le Brésil pourra subir les conséquences des mauvaises pratiques chinoises (que ce soit en matière du travail, du commerce ou encore de politique monétaire), ce qui influencera négativement les rapports entre les deux pays.

De même, la dépréciation continue du rouble vis à vis du dollar pourra encourager les chinois à renégocier les accords établis avec la Russie, surtout ceux qui sont libellés en renminbi et en rouble alors qu'elle pourra les inciter à garder (et même augmenter) des actifs libellés en dollar.

N'oublions pas enfin les pressions exercées par les États-Unis sur l'Inde afin de lui pousser à réduire les contacts économiques et financiers avec Moscou. Il est donc clair que si ce dernier cédera à ces pressions, l'avenir de l'alliance avec les russes sera remis en cause.

Décidément, il est encore tôt de minimiser le poids du dollar et d'admettre la fin d'une ère où le billet vert joue le rôle d'une monnaie internationale. L’accouchement d’un nouveau SME demeure possible à moyen et long terme, mais reste rude et douloureux. Pour le moment, les américains pourront toujours se réjouir des propos de l'ex-secrétaire d'Etat au trésor Connaly: "Dollar is our money but your problem"  (bien que le contexte soit différent de celui de début des années 1970). D'ailleurs, Michel Aglietta et Virginie Coudert l'ont bien anticipé en prétendant dans leur dernier ouvrage que « Le monde d'après dollar ne se dessine pas encore » [3].

Aram Belhadj

 [1] Il est vrai qu’à moyen et long terme, la chute des prix de l’énergie affectera négativement l’industrie du schiste. Mais, l’évolution technologique et l’engagement de l’Etat fédéral américain en faveur de cette industrie pourront inverser la donne.

[2] Visiblement, en cas de hausse du prix de l’or, le stock de ce métal détenu chez la banque centrale russe sera valorisé. Cependant, ce stock demeure toujours moins liquide que les actifs libellés en une monnaie qui s’apprécie. Par conséquent, il sera difficile de le vendre rapidement si besoin, sauf si la banque centrale accepte une perte de sa valeur.

[3] Michel Aglietta et Virginie Coudert (2014). Le dollar et le système monétaire international. Collection Repères, La Découverte.

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