Opinions - 05.03.2012

Guerre froide dites-vous !

Dans mon dernier article j’avais conclu en disant  « L’ère du silence étant terminée, nous sommes désormais condamnés à dialoguer ». Voila que je fus invitée par le Centre des Etudes  de l’Islam et de la Démocratie à une conférence-débat sur le thème « Islam et laïcité » présentée par Mr Rached Ghanouchi.  Une première, à encourager,  qui a réuni des islamistes et des laïcs pour débattre du sujet de l’heure qui divise profondément les Tunisiens.

Qu’elle ne fût ma surprise d’entendre sa conférence qui a d’ailleurs été diffusée le soir même à la télévision et dont une vidéo intégrale se trouve sur le net.  Pour résumer, je me suis trouvée face à un Monsieur autrement plus républicain et plus démocrate que moi-même, au moins dans son discours.  Si démocrate qu’il se présentait en défenseur des laïcs allant jusqu’à reconnaitre la liberté de croyance et en soulignant qu’être laïc ne voulait pas dire être mécréant. Il était grand temps que ce soit dit ouvertement.

Seulement le problème se situe à un autre niveau. D’abord Ennahdha dont M. Ghanouchi est le président n’a cessé de se construire une réputation de double voire multiple langage. Un langage destiné aux Occidentaux pour obtenir leur soutien politique, un autre destiné aux pays du Golfe pour obtenir leur soutien financier et un discours destiné aux potentiels électeurs tunisiens qui varie lui aussi selon la qualité de l’audience.

Avant les élections et pour rassurer les Tunisiens, Ennahdha n’a cessé d’annoncer que le code du statut personnel ne serait point touché et que la religion sera absente de la constitution. Aujourd’hui, après avoir obtenu une majorité de sièges à l’Assemblée, le groupe parlementaire d’Ennahdha cherche à imposer une constitution essentiellement inspirée de la chariâa. Ce choix annulerait de fait le fameux code du statut personnel instauré par Bourguiba. Un code avant-gardiste, valorisant le statut de la femme qui a été à l’origine du développement de la Tunisie moderne.

Par conséquent, il y a là un problème de crédibilité qui fait affreusement défaut à Ennahdha. Comment prendre au sérieux la déclaration d’un président honorifique mais non élu par le peuple, sachant que des contradictions fondamentales différencient son discours de celui des élus de son parti.

Par ailleurs et à titre personnel, j’ai choisi l’Islam en tant que religion, non pas pour suivre mon père ni ma mère, mais par choix réfléchi après comparaison des trois religions monothéistes et même de la religion Bahaïe.  Mon choix s’est précisément construit grâce à la grande liberté que m’offre l’Islam d’avoir une relation personnelle et intime avec mon créateur sans aucune interférence externe d’aucune sorte. Un Islam dont la première expression fut « Lis ». Bourguiba m’ayant offert l’opportunité de m’instruire, j’ai lu et j’assume, exclusivement  vis-à-vis de mon créateur, la responsabilité de ma compréhension, de mon interprétation personnelle et de la qualité de ma croyance. Nul, à mon sens, n’est en droit d’interférer dans cette relation décrite dans de multiples versets.

Par conséquent n’ayant pas pu, par manque de temps,  échanger mon point de vue directement avec M. Rached Ghanouchi, je sollicite son attention  à travers cet article dans l’espoir qu’une question qui me travaille puisse être choisi comme thème d’une nouvelle conférence.

N’étant pas spécialiste de la chariâa,  qui ne m’interpelle d’aucune façon  puisque je considère qu’étant obsolète, elle est à l’origine de la défiguration de notre religion de paix, je souhaiterai  mieux comprendre l’origine de la division Chiite- Sunnite.  A mon sens c’est uniquement par intérêt politique et par besoin de légitimité que cette scission a eu lieu. Or j’estime qu’il n’y a et ne devrait y avoir qu’un seul et unique Islam, celui que chacun d’entre nous porte en privé dans son cœur pour le préserver des manipulations politiciennes qui créent des divisions parmi la Ouma des croyants.

Que notre prestigieuse Université de la Zaitouna retrouve son aura historique et redevienne un phare lumineux des études Islamiques est une chose. Mais que notre constitution soit inspirée d’une chariâa ne répondant à aucune approche académique ou scientifique ni à aucune institution élue et reconnue par la majorité, ce serait non seulement trahir notre révolution en remplaçant une dictature par une théocratie, mais ce serait surtout  faire rater à l’Islam la plus belle occasion qui lui est offerte à travers la révolution tunisienne de rouvrir les portes de l’interprétation moderne.

Quel objectif politique, social ou même économique  justifierait la division dune société musulmane au nom de l’Islam ? Aucune chariâa ne saurait aujourd’hui obtenir une unanimité pour être reconnue comme étant la solution de nos problèmes de développement économiques et sociaux. Aucune chariâa ne saurait être une solution pour les problèmes d’emploi. Aucune chariâa ne saurait être notre pont vers le monde extérieur dont nous dépendons et continuerons de dépendre tant et aussi longtemps  que nous seront uniquement consommateurs et pas encore producteurs de sciences et de savoir.

Si Ennahdha arrive aujourd’hui à imposer une chariâa obsolète que la majorité des Tunisiens refusent, demain une nouvelle majorité d’élus se contentera de la renvoyer aux oubliettes. C’est notre constitution qui en perdra en crédibilité et l’Islam qui sera de nouveau bafoué.

Nous ne souhaitons aucune guerre Mr Rached Ghanouchi. Nous souhaitons juste la paix comme le prescrit notre religion. Or mêler la religion  à la politique ne peut que nuire aux deux. L’une gérant l’impact de nos actions vis-à-vis de l’au-delà et l’autre les gérant uniquement vis-à-vis de la vie ici-bas, elles sont obligatoirement incompatibles.

Vous qui aviez choisi l’Angleterre comme terre d’exil, vous êtes mieux placé que quiconque pour reconnaître et évaluer les bienfaits des libertés.

Neila Charchour Hachicha
 

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5 Commentaires
Les Commentaires
Ezzeddine Ben Hamida - 05-03-2012 18:14

Merci madame pour cet excellent article dont je partage pleinement le continu. Après votre permission, je peux même rajouter que : La modernité ne veut pas dire oublier notre composante arabo-musulmane, c’est-à-dire notre culture, notre identité, notre histoire et notre religion. Dieu merci pour cette lumière intérieure : l’Islam, qui nous procure sérénité, équilibre intérieur et apaisement pendant les moments difficiles. L’Islam est une Banque des Faveurs (j’ai vu la première fois mentionnée la Banque des Faveurs dans le roman de Paulo Coelho « Le Zahir », lui-même a emprunté cette idée à Tom Wolfe « Le Bûcher des vanités ») dans laquelle on peut aller chercher à volonté pendant les moments difficiles les explications nécessaires pour éclairer nos esprits, calmer nos angoisses et apaiser nos inquiétudes. Nos croyances idéologiques et spirituelles doivent relever de la sphère privée. Personne n’a le monopole de la religion et encore moins les rétrogrades Salafistes. Les Tunisiennes et les Tunisiens se réclament d’une pratique modérée, nourrie d’une foi moderne, ouverte sur l’extérieur depuis toujours. La modernité implique aujourd’hui la modernisation de l’économie et de la société. Autrement dit, il faudrait une meilleure justice sociale. Les travailleurs devraient pouvoir obtenir une juste part dans le partage de la richesse produite (la valeur ajoutée). Ils devraient également participer aux décisions qui déterminent la vie de la société. Le chômage de masse (le taux est de près de 25%), qui s’explique fondamentalement par des mutations sectorielles (chômage structurel) et se traduit par la montée de la précarité, gangrène la vie socio-économique de notre société et ampute l’espoir de nos jeunes.

ERRBAI - 06-03-2012 08:54

Certes,certes et certes ! Mais je fais constater une chose ... LEADERS vous consacre en moins d'un mois un second article : Ne croyez vous pas qu'il serait plus efficace de débattre avec M.GHANOUCHI de ce sujet directement ? Ecrire ainsi pour une petite élite ne convaincra pas ENNAHDHA et ses ramifications certaines ... Mais que c'est bon pour l’Ego !!!

Mohamed Abdelmajid - 06-03-2012 12:09

Voilà qu'enfin une Dame courageuse interpelle courtoisement quelqu'un qui n'est pas de son bord politique pour un débat serein et tout de suite les gros mots : "Mais que c'est bon pour l’Ego !!!"… "Écrire ainsi pour une petite élite ne convaincra pas Ennahda", etc. (Comme si vous n'en faites pas partie - de la petite "élite", je veux dire - M. ou Mme ERRBAI ?)… Ni la galanterie, ni les règles du débat politique ne vous autorisent à réagir de la sorte et à vous ériger en donneur de leçons… Pour votre info, ce sont les élites, fussent-elles petites, qui font l'histoire, cher internaute ! Et en tant que Tunisien, je suis fier qu'une Dame libérale et musulmane tranquille s'investisse dans le débat qui, somme toute, a toujours été celui des ELITES !

Mehdi Faghouli - 09-03-2012 12:58

Madame Bien que je salue votre engagement politique ou vous vous presentez comme porteuse d'idee, je suis au regret de vous dire que votre article le moins qu'on puisse dire demontre une carence analytique majeure sinon une absence d'analyse. Au detour de chaque phrase j'ai trouve une contraction si aberrante qu'il serait trop long de les enumerer toutes, mais voila un example Je vous cite " N’étant pas spécialiste de la chariâa, qui ne m’interpelle d’aucune façon puisque je considère qu’étant obsolète, elle est à l’origine de la défiguration de notre religion de paix, je souhaiterai mieux comprendre l’origine de la division Chiite-Sunnite". Comment pouvez vous porter un jugement si definitif sur quelque chose que vous ne connaissez pas, comment pouvez vous avouer si naivement votre ignorance de quelque chose et dire par la suite que c'est obsolete sans faire reference a quoi que ce soit sans rien expliquer du pourquoi justement elle obsolete , on aurait appris quelque chose. Il est clair que vos reactions sont emotionnelles et c'est tant mieux que n'ayez pas debattue avec Ghannouchi parce qu'un vieux brisquard de la politique politiceinne comme lui n'aurait fait qu'une bouchee de vous. En politiqe on n'as pas le droit d'etre candide ou alors on subit les consequences. Vous ne pouvez pas affirmer par exemple noir sur Blanc " J'aimerai comprendre la difference entre chiaa et sunnite" Parceque on peut vous retroquer : Qu'est ce que vous attendez pour le faire , ou alors revenez debattre si jamais vous arrivez a comprendre. Madame la politique n'est pas un hobbi et encore moins quand elle est polarisee, lisez instruisez vous sur l'ideologie de votre ennemi politique, revoyez vos fondamentaux. Vous avez une bonne tete mais croyez moi cela ne suffit pas. N'allez surtout pas penser que je defend Ghannouchi C'est aussi mon ennemi politique et je pense que pour l'affronter vos slogans sont loin d'etre suffisants. Au contraire il gagnerait beaucoup a debattre avec des gens aussi inexperimentes en politique que vous. Il doit bien y avoir a Afek quelqu'un qui peur vous expliquer C quoi la chariaa ou qui vous expliquer peut etre, pourquoi vous la trouvez obsolete. La on aura fait du chemin. Bonne continuation

Neila Charchour Hachicha - 10-03-2012 17:02

Cher ERRBAI Un débat Avec Mr Ghanouchi? Et pourquoi voulez vous qu'il accepte de debattre avec quiconque, lui dont le parti a gagné le plus grand nombre de voix, même si ce nombre reste une minorité par rapport au nombre total de voix potentielles. Le jour ou une personnalité de son rang acceptera de débattre et de dialoguer naturellement et publiquement avec tout citoyen s'opposant à sa vision, je n'aurai plus besoin d'écrire aucun article pas même pour mon égo. Je serais traquille pour la Tunisie que nous laisserons à nos enfants et à nos petits enfants. En attendant, je ne suis que le maillon d'une chaine de solidarité politique encore en construction et dans laquelle chacun se doit d'apporter de son mieux ce qu'il peut.

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