Opinions - 18.06.2012

Ferhat Othman :Le temps du rêve pour l'Europe ?

Avec la fin du marathon électoral en France, notre plus proche et grand voisin européen, voici l'Europe devant ses responsabilités, et nos dirigeants aussi, pour envisager un meilleur avenir pour notre bassin méditerranéen en vue d'en faire à terme ce lac de paix et de prospérité rêvé. Serait-ce le temps du rêve?

Je m'explique. En gagnant l'élection présidentielle et en obtenant la majorité pour gouverner, le parti socialiste se trouve en meilleure position pour défendre ses idées allant à l'encontre de la politique actuelle en vigueur en Europe qui a fait la preuve de sa cécité face aux réalités de ses voisins du sud. Or, ce parti étant bien plus ouvert que celui qui gouvernait la France quant aux questions relatives aux rapports de l'Europe avec ces partenaires, la Tunisie serait bien inspirée de solliciter son soutien dans le cadre d'une démarche officielle au plus haut niveau de levée du visa pour les Tunisiens et tendant, pour le moins, à susciter le débat sur la nécessité d'un espace de libre circulation humaine entre partenaires démocratiques de part et d'autre du bassin méditerranéen.

Assurément, une telle démarche, pour d'aucuns, si elle arrive à vaincre l'inertie qu'impose un principe de réalisme politique castrateur, aura l'allure d'une irréalité. En effet,elle a en vue, rien de moins, que la réalisation d'une véritable révolution dans la politique européenne en direction de ses partenaires de la rive sud de la Méditerranée dont la première manifestation pourrait être la transformation du visa biométrique actuel en visa de circulation, une telle solution satisfaisant à la fois les soucis sécuritaires des uns et la souveraineté des autres tout en accédant à la revendication populaire tunisienne de circulation sans entraves.(*)

Or, l'Europe n'échappera pas à la nécessité d'un aggiornamento des fondamentaux de sa politique méditerranéenne. Outre le pacte social et le pacte fiscal qu'elle se doit d'envisager à terme sur le plan interne et que lui impose le nouveau gouvernement français, elle ne saurait échapper à un pacte de civilisation méditerranéen créant une zone de libre circulation avec les États de la rive sud de la Méditerranée devenus réellement démocratiques.

Cette libre circulation sera loin d'être un privilège à octroyer ou une faveur à dispenser; elle est un acte majeur de politique clairvoyante aux conséquences multiples dont les retombées concernent les deux rives de la Méditerranée, notamment sur les plans économique et social. Elle se doit donc de sortir des sentiers battus des politiques envisagées jusqu'ici, qui sont de courte vue avec leur dimension extrêmement technique relevant de la gestion financière et microéconomique, pour une dimension macroéconomique envisageant la croissance en Europe intimement liée avec celle de sa rive sud dans le cadre du codéveloppement et de la coopération décentralisée, particulièrement.            

Car comme elle a dû s'ouvrir à l'Est européen, même si elle l'a fait tardivement et dans de mauvaises conditions, l'Europe n'a plus le choix que de le faire aussi, et le plus tôt pour que ce soit dans de bonnes conditions, au sud de ses frontières. Son avenir économique en est tributaire, car la stabilité de la région en dépend grandement. Et il n'est nulle croissance sans sécurité.

À la vérité, l'Europe avoue avoir de la sympathie pour la Tunisie révolutionnaire et son parcours démocratique. Or, il faut désormais passer de la sympathie à l'empathie pour que ce parcours aille jusqu'au bout et fleurisse de ses meilleures promesses. De fait, cela n'est pas lié aux conditions internes au pays, mais est pour une grande part lié à son environnement.     

J'expose ici par ces propos un aspect du projet pour la Tunisie qui est le mien et qui prend en compte, sur le plan intérieur, la cristallisation de l'héritage de l'islam en ce pays qui consiste à l'amener à se questionner sur ce qui fait la vie de son peuple et ce même là où on ne l'attend pas, où l'on n'ose pas à tort s'aventurer. Et ce n'est pas l'inquiétude actuelle parcourant tout le corps social qui serait de nature à en rétrécir l'intérêt; elle l'alimente même comme quelque chose d'essentiel pour le progrès de la connaissance ainsi que l'assurait C. G. Jung pour le milieu universitaire de son époque.

Mais ce plan intérieur ne serait rien sans une action au plan externe telle que précisée ci-dessus. Que cette pensée se heurte aux impondérables de l'inconnu dans le règne actuel du conformisme ne diminue rien de sa portée, car elle va vers cet inconnu en suivant le cours imprévisible de la vie et de ses rapports. Et c'est ce qui nous est étranger aujourd'hui, l'autre et son monde, qui fait partie de ce qui nous est le plus propre puisque nous ne nous appartenons pas, nous sommes juste en relation. Et agir sur la nature de cette relation revient à agir sur ce que nous sommes, tout comme solliciter l'autre, réclamer un changement de son attitude à notre égard, c'est changer la nôtre à l'égard de nous-mêmes.

N'est-il pas vrai que nous nous pensons autant que nous sommes pensés! « Je est un autre » affirmait Arthur Rimbaud dans la lettre à Georges Izambard ! Or, la Tunisie est sa jeunesse et celle-ci est jeunesse du monde. Et pour être réellement du monde, il faut y être, pouvoir y circuler librement sinon l'on se retrouve dans une réserve, livré aux marchands d'orviétan idéologique et aux vaticinateurs des paradis illusoires et des enfers mythiques. Et c'est quand la jeunesse est traitée en mineure ou en débile qu'elle investit sa vitalité dans les actions d'éclat, y compris les plus extrêmes.        

Dois-je rappeler que ma pensée est issue d'une sociologie relativiste, essentiellement compréhensive, se voulant un trajet initiatique entre l'Orient et l'Occident, rappelant les influences réciproques entre le bien et le mal, nos parts de lumière et d'ombre, le positif et le négatif dans un Orient ancré dans le symbolisme et le spiritualisme, sinon le spiritisme, et un Occident encore porté par le positivisme et la mythique du progrès? Et c'est aussi une pensée de rupture avec tout dogmatisme, un retour à la sagesse postmoderne pour laquelle l'irrationnel n'est pas non rationnel, car il est rationnel autrement.

Pour cela, j'ose appeler, en éclaireur, à ce que le sens de l'histoire commande, moins en visionnaire qu'en défricheur de la centralité souterraine de nos sociétés et qui affleure à la surface afin d'anticiper préventivement la secousse sismique. 

(*) Cf. à ce sujet mes articles sur mon blog Tunisie Nouvelle République : Visa biométrique et souveraineté nationale : http://tunisienouvellerepublique.blogspot.fr/2012/05/un-monde-desenchante-9.html#more — Pour un visa biométrique de circulation pour les Tunisiens : http://tunisienouvellerepublique.blogspot.fr/2012/06/du-virtuel-au-reel-9.html#more

Farhat OTHMAN
   
 

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