Questions à ... - 07.07.2012

Farouk Kammoun

Juillet, c’est le mois de l’orientation universitaire pour des dizaines de milliers de nouveaux bacheliers, mais aussi des étudiants qui souhaitent changer de filières ou aller plus loin. Les options ne sont pas nombreuses : l’enseignement public, les établissements privés ou le départ à l’étranger. Le tout avec à la base une double grande interrogation : comment garantir la réussite pour accéder au marché du travail ? Et combien ça coûte si on choisit le privé ou l’étranger ? Rude question de performance qui constitue en fait la problématique centrale du système.

Avec 42 établissements autorisés, accueillant plus de 17 000 étudiants (dont plus de 4 000 étrangers), l’enseignement supérieur privé tunisien, né il y a à peine 11 ans, connaît une évolution rapide, avec son lot de réussites et d’insuffisances. Réussite de certains établissements qui ont misé sur la valeur scientifique et académique, investi dans le corps enseignant et les infrastructures, faisant fi de toute considération purement commerciale. Insuffisance pour d’autres qui n’arrivent pas à se conformer totalement à la réglementation en vigueur et offrir à leurs étudiants les conditions nécessaires à leur bonne réussite. Le gap risque de s’élargir.

Mais plus, la compétition s’accélère depuis la révolution. Pas moins de 25 nouvelles demandes d’autorisation ont été déposées auprès du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. En plus de certains groupes tunisiens formés notamment par d’anciens enseignants et dirigeants universitaires, de grandes universités internationales, nord-américaines, européennes et arabes (pays du Golfe), envisagent sérieusement de se lancer dans le secteur. La cible visée ne se contente pas des étudiants tunisiens mais s’élargit à des étudiants étrangers de divers pays, en priorité ceux de la Méditerranée, de l’Afrique subsaharienne et de la région arabe. Certaines nouvelles universités se consacreront à l’économie, au management, au marketing et d’autres aux technologies et dispenseront leur enseignement totalement en langue anglaise.
Mais quelles sont...

I - les spécificités distinctives de chaque établissement (filières, modèle pédagogique, enseignants, partenaires étrangers, locaux, frais…) ?
II - Quelles sont les difficultés rencontrées ?
III - Quels sont les conseils que vous donneriez aux futurs étudiants et aux parents pour bien choisir l’université privée à fréquenter ?
IV - Comment promouvoir l’enseignement privé universitaire en Tunisie ? Que doit faire le gouvernement ? Que doivent faire les universités ?  
V - Comment attirer plus d’étudiants étrangers ?

Après Ridha Gouiaa, directeur de  l'APBS (Avicenne Private Business School), c'est au tour de Farouk Kammoun directeur de SESAME de répondre à nos questions : 

I - Quels sont les spécificités distinctives de votre établissement (filières, modèle pédagogique, enseignants, partenaires étrangers, locaux, frais...)

Avant de présenter les spécificités de SESAME, il est opportun de rappeler quelques chiffres de l’évolution de l’enseignement universitaire privé en Tunisie : en 2008-2009, le nombre d’établissements et universités privés était de 32 et il est  d’environ 40 en 2010-11. Le nombre d’étudiants dans ces institutions a connu aussi un taux de croissance élevé pendant la même période puisqu’il est passé de 8 892 à 15054. Dans ce paysage compétitif,  SESAME a choisi dans son modèle de formation de se distinguer par rapport aux autres institutions tout en respectant les schémas de la formation définis par le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique. En effet, elle a choisi d’offrir des études en ingéniorat et en management dans un objectif de croisement fertile des deux disciplines.  Elle offre des formations en technologies de l’information et de la communication (TIC) avec 3 niveaux : préparation aux études d’ingénieurs, formation d’ingénieur et licence appliquées.  Dans le domaine du Management, elle propose des formations en licences appliquées et mastères professionnels. Elle s’adresse aussi bien à des jeunes en quête d’une formation initiale qu’à des cadres qui, par le biais d’une formation continue, désirent rester au diapason des évolutions de leurs domaines ou développer leurs compétences dans un autre domaine.

L’autre caractéristique distinctive de SESAME est l’acquisition de soft skills par ses étudiants. Ce choix est motivé par le fait que les entreprises relèvent souvent une insuffisance de telles compétences chez les jeunes diplômés comme par exemple au niveau de la communication, de la facilité d’intégration dans des équipes pluridisciplinaires et de la capacité de travail autonome. Le développement de telles compétences vont de pair avec celui des compétences techniques pour doter l’étudiant non seulement de capacités à appliquer les techniques, mais aussi de capacités à concevoir. Cette façon d’opérer nécessite de revoir les méthodes pédagogiques et d’innover dans ce domaine. Pour réussir ce pari pédagogique, SESAME propose des programmes de formation encourageant le travail personnel, l’esprit d’initiative  et d’entrepreneuriat chez l’étudiant. Le cursus qu’elle propose englobe des activités transversales en dehors des cours traditionnels et dans lesquels l’étudiant devient un élément actif qui donne libre cours à son imagination, à sa créativité et à son initiative. 
 
Pour ce faire, SESAME mobilise un réseau d’enseignants universitaires ainsi que des professionnels de grande qualité. Sa proximité des entreprises dans le parc technologique d’Elghaza lui assure une plus grande interaction avec le monde de l’entreprise.

Dans sa stratégie, SESAME n’a pas négligé la dimension internationale qui donne aux étudiants la possibilité de se faire embaucher par des entreprises internationales opérant en Tunisie ou à l’étranger. A cet effet, le cursus de formation comprend les langues étrangères, d’une part, et des accords de partenariat avec des écoles d’ingénieurs en TIC et en management européennes de grand renom ont été déjà conclus, d’autre part.
Pour arriver à ses fins, SESAME s’est dotée d’une plateforme technologique de dernière génération (data center, fibre optique,…) et basée sur la virtualisation, le cloud computing,…. Elle s’est installée dans des locaux flambant neufs s’étalant sur 8000m2 offrant à ses étudiants des espaces d’enseignement et de vie confortables et épanouissants.

Malgré les investissements importants et la qualité des locaux, SESAME affiche des tarifs tout à fait raisonnables et dans la même fourchette que ceux affichés par les autres institutions privées.

II - Quelles sont les difficultés rencontrées?

Comme toute nouvelle institution, les installations physiques et technologiques nécessitent du temps. Les interactions avec différents intervenants exigent une bonne coordination ce qui n’est pas toujours très facile. Le temps est donc une variable importante qu’il faut prendre en considération non seulement au niveau des installations physiques, mais aussi pour asseoir sa notoriété. SESAME est un nouvel établissement de formation qui a investi et continue à investir pour être connue dans le monde des TIC et du management. Cette notoriété à l’échelle nationale et internationale ne peut pas être acquise du jour au lendemain. Chemin faisant, nous avons communiqué et continuons à le faire. Aujourd’hui, notre établissement commence à être mieux connu dans le milieu estudiantin et professionnel et dans le paysage national des institutions privées de formation. Au niveau international des conventions de partenariat ont été conclues avec des institutions étrangères de formation et des relations avec des pays africains commencent à s’établir.

Par contre, il y a un prix à payer lorsqu’une institution de formation s’installe à proximité des entreprises TIC au pôle El Ghazala, c’est celui des difficultés de transport public qui est insuffisamment développé.  SESAME œuvre en coordination avec les entreprises auprès des opérateurs afin d’augmenter la fréquence des passages des bus pour faciliter les déplacements aux étudiants et au personnel.

III - Quels sont les conseils que vous donneriez aux futurs étudiants et aux parents pour bien choisir l'université privée à fréquenter?

Pour un jeune d’aujourd’hui, le choix de la formation revêt une importance extrême car a un impact direct sur son employabilité et sur sa bonne intégration dans la vie active. Il est en effet notoire aujourd’hui que la seule possession d’un diplôme n’est en aucun cas une garantie d’emploi.

Afin de s’entourer du maximum de chance de réussite, un étudiant se doit de choisir un établissement dont les formations répondent à des besoins réels des entreprises au niveau national et international. Parmi ces besoins, il faut citer en premier lieu la qualité de la formation théorique et aussi pratique qui permet à l’étudiant, une fois recruté, d’être rapidement opérationnel. L’opérationnalité ne peut s’acquérir que si l’établissement de formation favorise l’immersion en entreprise et par conséquent la confrontation à son quotidien et ce à travers les stages et les projets.

Aussi, les entreprises recherchent  des candidats aptes à travailler en équipe, imaginatifs et en mesure de trouver des solutions aux problèmes à la fois innovantes et faisables.  En plus des compétences techniques, l’établissement de formation à choisir doit être celui qui favorise le développement des qualités humaines et relationnelles de l’étudiant et lui permet de s’épanouir sur le plan culturel et social.

Dans le choix de l’établissement, il faut aussi laisser de la place à la dimension internationale à travers l’apprentissage des langues en vue de leur maîtrise et l’insertion de l’établissement dans un réseau international qui permet la mobilité des étudiants et par conséquent la confrontation à des milieux culturels différents.  

IV - Comment promouvoir l'université privée en Tunisie:


Avant de répondre à votre question, il faut rappeler que l’Etat a organisé l’enseignement privé selon des textes juridiques et qu’il a affiché la volonté de ne pas en faire un enseignement de second niveau. En effet, dans l’article 4 de la loi 2000-73 il est clairement stipulé que « Les établissements privés d’enseignement supérieur doivent dispenser un enseignement dont le niveau ne peut être inférieur à celui des enseignements dispensés dans les établissements d’enseignement supérieur public ». Selon la même logique, un ensemble de dispositions visant l’encouragement de l’investissement dans l’enseignement supérieur privé a été adopté. Parmi ces dispositions, il faut citer la prime d’investissement, l’encouragement de l’Etat au recrutement d’enseignants ou formateurs tunisiens permanents, entre autres. Toutefois, ces dispositions n’ont pas été activées et il est nécessaire de les concrétiser.

Au niveau de l’habilitation des diplômes délivrés par les universités privées, il faut rappeler qu’elles sont soumises aux mêmes procédures et contraintes que les institutions publiques. Ceci a des avantages car il s’agit d’une labellisation des diplômes délivrés qui sont des diplômes nationaux. Toutefois, les procédures restent longues et la flexibilité exigée pour pouvoir s’adapter aux évolutions se trouve ainsi réduite. Il serait opportun d’alléger la procédure et d’octroyer plus d’autonomie aux établissements afin de permettre des ajustements en rapport avec les changements de la demande ou de l’évolution des connaissances. Un élargissement des commissions nationales sectorielles chargées du traitement des dossiers d’habilitation à des représentants des établissements privés de formation et à des représentants des secteurs économiques peut avoir des effets positifs.

Aujourd’hui, la croissance du nombre d’étudiants inscrits dans les établissements privés confirme que l’expérience est concluante. Il serait par conséquent opportun de faire un saut qualitatif et quantitatif de l’enseignement supérieur privé dans le cadre d’une stratégie nationale prenant en compte les mutations dans le paysage de la formation à l’échelle internationale.

L’image des établissements privés de formation est aujourd’hui contrastée puisque certains jouissent de bonne réputation alors que d’autres n’en bénéficient pas. Afin de promouvoir le secteur de l’enseignement privé, l’amélioration de l’image est indispensable et passe inéluctablement par la qualité de la formation. En effet,  les établissements privés doivent être conscients de la lourde responsabilité qui leur incombe et des sacrifices consentis par les parents pour que  leurs enfants puissent accéder à une formation de qualité.

Il est à relever que cette qualité de la formation ne se limite pas à la formation technique, mais englobe aussi la formation pratique, le développement de l’esprit d’initiative et d’entrepreneuriat ainsi que les qualités humaines et relationnelles qui améliorent l’employabilité du diplômé à l’échelle nationale et internationale ou le stimulent à créer lui-même sa propre entreprise. 

Enfin, elle doit rechercher une ouverture sur les autres universités privées et publiques qui ne peut, à terme, qu’être bénéfique car elle permet à toutes les parties une mutualisation des ressources ainsi qu’un partage des bonnes pratiques et des compétences.

V - Comment attirer plus d'étudiants étrangers?

Un étudiant étranger peut trouver beaucoup d’avantages dans une formation en Tunisie. Il faut en effet  savoir que globalement, l’enseignement supérieur en Tunisie jouit d’une  bonne réputation à l’étranger. Il est même possible d’affirmer qu’aujourd’hui, que certaines institutions universitaires tunisiennes (publiques et privées) n’ont rien à envier à leurs équivalents étrangers. Ainsi, ces institutions peuvent se placer comme  une alternative à leurs homologues étrangers offrant en plus de la qualité, de faibles couts (frais d’inscription et cout de la vie) pour n’en citer que ceux-là.

Aujourd’hui, la Tunisie accueille des milliers d’étudiants étrangers, principalement originaires d’Afrique du Nord et de l’Afrique subsaharienne francophone.  Un nombre important de ces étudiants est inscrit dans des établissements privés. Avec une politique conjointe entre le gouvernement et les universités privées, il n’est pas utopique, compte tenu de la demande, de penser que ce nombre puisse croître très rapidement. Les retombées de la formation en Tunisie ne se matérialisent pas uniquement à court terme par des rentrées de devises et une création d’emplois au niveau de l’enseignement en plus des effets indirects, mais aussi à long terme du fait que les diplômés qui assumeront des fonctions de prise de décisions, développeront des liens d’affaires avec le tissu économique tunisien.

Afin d’attirer plus d’étudiants étrangers, la consolidation de la bonne réputation de l’enseignement en Tunisie est un facteur clé de succès. Il est nécessaire que les établissements privés contribuent activement à cet effort pour éviter de donner une image controversée. Une telle réputation ne peut être construite que sur une qualité de la formation comprenant les différents aspects évoqués ci-dessus.

Pour augmenter la notoriété de l’enseignement en Tunisie, nos représentations diplomatiques dans des pays cibles ont un rôle primordial à jouer ; en concertation avec les établissements de formation, elles doivent faire la promotion de cet enseignement auprès des instances locales, des décideurs et des institutions de formation. Les instances gouvernementales peuvent aussi œuvrer auprès des représentations diplomatiques des pays cibles installées en Tunisie afin de les informer sur les potentialités de l’enseignement dans notre pays.
Les établissements de formation ont aussi un rôle à jouer non seulement pour communiquer dans les pays cibles sur les formations dispensées, mais aussi –au-delà de la formation- dans l’accompagnement de l’étudiant expatrié pour qu’il puisse mieux s’intégrer dans la société et profiter pleinement de son séjour sur le plan social et culturel. Cet accompagnement doit se poursuivre au-delà de la période de formation à travers la création de réseaux d’alumni. Ces réseaux doivent être animés à travers  des rencontres autour de thématiques spécifiques, de publication de newsletters, de création de sites dédiés, etc. ce qui  favorise leur pérennisation.

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