Opinions - 25.08.2014

Connaître son histoire permet de mieux avancer

Cette réflexion sur un thème qui m’est cher, fait suite à la publication d’au moins deux articles, en Tunisie et à l’étranger sur les sites et monuments tunisiens, ainsi que sur leur fréquentation par les Tunisiens et les touristes.

A notre avis, ce sujet requiert de la part de nous tous, toute l’attention nécessaire. En effet, et nonobstant les destructions dues aux multiples guerres et invasions, ainsi qu’a l’usure du temps, un très grand nombre de sites, monuments, et musées, sont aujourd’hui des témoins d’un passé respectable. Ils constituent  pour les tunisiens, des motifs de fierté et autant d’incitation à poursuivre sur la voie des meilleurs de nos prédécesseurs.

En effet,  et de par sa position géographique entre le bassin oriental et le bassin occidental de la méditerranée, la Tunisie a été à travers l’histoire, un lieu de rencontre des civilisations méditerranéennes et orientales, et a de ce fait participé à toutes celles qui s’y sont succédé.

Ainsi, chaque ville, et chaque village nous racontent une période de cette histoire riche en événements et réalisations de toutes sortes.

Dans ce cadre, l’Institut National du Patrimoine (INP) a publié en mai 2012, une liste portant sur 937 sites classés et protégés à travers les 24 gouvernorats de Tunisie, ce qui  a fait dire à certains spécialistes étrangers, que la Tunisie est un véritable musée à ciel ouvert.

Néanmoins, la fréquentation des sites et monuments archéologiques ainsi que la connaissance de notre histoire reste modeste, si nous nous comparons aux pays avancés ou à certains  pays asiatiques.

Le tourisme et la fréquentation des musées dans certains pays du monde

Au cours de l’année 2012, ce sont les monuments  et musées français qui se distinguent au niveau mondial, avec notamment, 13,6 millions de visiteurs à la Cathédrale de Notre Dame et 9,6 millions de visiteurs au musée du Louvre. La France est par ailleurs, le pays touristique le plus visité. Durant la même année, les pays d’origine des 20 musées les plus visités dans le monde sont : France, USA, Royaume Uni, Italie, Taiwan, Chine et Corée.
En ce qui concerne le nombre des visiteurs étrangers par rapport à la population d’un pays, la Grèce a enregistré un record en 2013 avec 17,9 millions de touristes pour une population globale de près de 10,8 millions d’habitants.

La part de fréquentation des monuments et musées étrangers par les autochtones

Le Chinois détient incontestablement le record des visites des monuments et musées nationaux. Le visiteur étranger de la Cité Interdite à Pékin (Cité des Empereurs, d’une superficie de 40 ha dont 10 sont ouverts au public), se rend immédiatement compte que le nombre des nationaux est au moins égale sinon supérieur à celui des étrangers. Au niveau des  autres musées de ce grand pays, la présence des Chinois de la capitale et des provinces, est très importante.  Durant les jours fériés, certains pékinois se rendent à bicyclette à la muraille de Chine située à… 70 km, pour y passer la journée.

Cette culture du respect des lieux rappelant l’histoire des peuples, où les visiteurs semblent se ressourcer, est partagée par d’autres pays asiatiques dont : Taiwan, La Corée et le Japon. 

En Europe, les statistiques font ressortir que la part des français dans le chiffre global des visiteurs du Louvre, est de près de 30%.

Dans tous les autres pays avancés, la part des nationaux dans les visites aux musées et monuments historiques est importante.

En Egypte, pays musulman le plus peuplé de la zone Afrique du Nord-Moyen Orient, la population est fière de son passé pré-islamique. Le visiteur du  musée du Caire et des nombreux sites situés entre la capitale et  Luxor, verra un grand nombre d’étudiants des beaux arts, assis en tailleur à même le sol, et reproduisant des statues, bas-reliefs ou bijoux.

Nombreux sont les citoyens des pays en développement qui ont peu de considération pour leur histoire et parfois aussi pour eux-mêmes

Certains considèrent qu’en raison de la différence importante du niveau de développement entre ces pays et ceux des plus avancés, le citoyen peu être tenté de croire que tout ce qu’il y a chez lui est de moins bonne qualité, y compris son passé, qui serait à l’origine du gap de progrès avec les autres. Cette indifférence, et parfois le mépris de soi et de ses semblables, amène certains à s’identifier (sans y parvenir par ailleurs) à l’autre, qu’ils considèrent comme un exemple, notamment au niveau des apparences.

Il s’ensuivra un suivisme inaccompli, et peu fertile en réalisations de toutes sortes.
C’est toute la différence avec ceux dont nous avons parlé plus haut, qui considèrent dans certains cas, qu’il y a d’abord leurs pays et leurs semblables, puis tous les autres, avec une quête perpétuelle vers le progrès dans tous les domaines.

Ainsi, Delphes (Grèce) était selon la mythologie grecque : le nombril du monde. Une copie de l’Omphalos (nombril) correspondant, se trouve au musée archéologique de ce site.
Les chinois considéraient pour leur part que leur pays est «l’Empire du milieu». Ainsi, il y aurait : LA CHINE, …puis tout le reste.

Plus proche de nous, les Egyptiens considèrent que Misr (L’Egypte), est «Oum Eddonia» ou la «mère du monde».
Autrement, de nombreuses autres sociétés humaines cherchent constamment à s’identifier, qui à l’Occident qui à l’Orient, sans  parvenir à consolider d’abord et avant tout, leur propre identité.

Quid de la Tunisie?

Depuis les premières années de l’indépendance, plusieurs actions ont été entreprises en vue de mettre en valeur le patrimoine archéologique à travers notamment:

  • L’implantation d’un grand nombre de musées nationaux et régionaux, qui seraient actuellement au nombre de 65 ;
  • La création d’institutions publiques dédiées à la gestion des musées et du patrimoine archéologique ;
  • La sauvegarde des sites et monuments, souvent avec l’appui de la coopération internationale spécialisée;
  • La réalisation de fouilles sur des sites ciblés;
  • La formation d’enseignants et chercheurs en matière d’histoire ancienne et d’archéologie ;
  • L’intégration d’un grand nombre de sites, monuments et musées dans les circuits touristiques ;
  • L’appui à la publication d’ouvrages spécialisés dans l’histoire de la Tunisie et la mise en valeur du patrimoine;
  • L’utilisation de certains monuments à des fins culturelles dans le cadre des festivals d’été et notamment à Carthage, El Jem et Dougga;
  • L’accès gratuit aux musées pour les élèves, étudiants et enseignants à longueur d’année, et pour tout les tunisiens, le premier dimanche de chaque mois.

Néanmoins, le niveau des connaissances d’un grand nombre de tunisiens de leur histoire demeure parfois très faible, et la fréquentation des sites et musées, l’est encore plus.

Quelle stratégie pour l’avenir?

Au cours des 55 dernières années, la Tunisie a réalisé des progrès remarquables dans plusieurs domaines et notamment en matière de : généralisation de l’enseignement et surtout celui des filles, vaccination et soins médicaux, logements, planning familial, nutrition, industrialisation, exportation, etc.
Dans chacun des domaines sus-indiqués, il a fallu déployer des efforts continus et de longue haleine dans le cadre de stratégies spécifiques et  à travers plusieurs supports : radio, télévision, presse écrite, discours politique, conférences, visites sur les lieux, etc.

A titre d’exemple, ce que font les responsables de la nutrition en Tunisie depuis près de quarante ans est admirable. En effet, ils animent deux fois par jour l’émission radiophonique de courte durée intitulée : ‘Docteur Hakim’, portant sur des conseils nutritionnels en un langage accessible à tous. Les résultats obtenus sont dignes de respect.

Ainsi, la motivation du tunisien pour mieux connaître son  histoire et son patrimoine archéologique, nécessiterait l’adoption  d’une stratégie globale de très longue haleine, à plusieurs composantes et notamment en matière de:

1/ Partenariat avec les ministères de : l’Education Nationale, de l’Enseignement Supérieur et celui de la Jeunesse
La Tunisie compte près de 2,5 millions d’élèves et enseignants qui constituent la population cible idéale pour l’amélioration du savoir en matière d’histoire et de patrimoine. Des programmes spécifiques peuvent être élaborés portant sur : les visites guidées, l’élaboration de manuels simplifiés ; l’encadrement de la recherche sur des sujets spécifiques et l’organisation de concours à des niveaux régionaux et nationaux ;

2/ Partenariat avec les médias : journaux, radios, TV
Il s’agit d’instaurer des rubriques hebdomadaires et/ou mensuelles de courtes durées, dédiées chaque fois à un thème portant sur un épisode de l’histoire de la Tunisie.

3/ Partenariat avec les associations culturelles au niveau national et régional
Ces associations peuvent apporter un plus en matière d’organisation des visites pour les sites et musées, et d’amélioration du savoir de leurs membres.  Il y lieu de citer à l’occasion une association du gouvernorat de Bizerte qui œuvre dans se sens depuis plusieurs décades, avec des résultats remarquables, et l’appui permanent de l’Agence Nationale du Patrimoine.

4/ Utiliser les nouvelles technologies de l’information
L’objectif est d’être présent sur les réseaux les plus utilisés par les jeunes. A cet effet, il y a lieu de doter les principaux musées et sites archéologiques, de sites web et d’une page Facebook, afin d’interagir avec les jeunes et les moins jeunes.

5/ Edition d’ouvrages spécifiques et de qualité pour chaque site archéologique
Si nous considérons le célèbre site de Delphe en Grèce, nous verrons que le nombre des monuments encore reconnaissables, est moins important que celui de Dougga ou de Sbeitla. Et pourtant, le nombre de visiteurs de ce site au cours de l’année 2013 a dépassé les 220 000.

Outre le prestige mondial du site, il y a lieu d’ajouter les facteurs ci-après:

  • Le site fait partie des principaux circuits touristiques proposés aux touristes étrangers ;
  • Le musée de Delphes comprend 14 salles d’expositions couvrant plus de 2000 m2, où sont exposées des pièces maitresses de l’archéologie Grecque ;
  • Le musée propose à la vente des livres de valeur, en plusieurs langues, comportant en plus de l’histoire détaillée du site : des plans détaillés du site, des reconstitutions par l’image des bâtiments, portiques et temples qui y ont existé, ainsi que de très belles images des objets trouvés, notamment des statues, frises, frontons, vases et statuettes des divinités. Le visiteur a l’impression de vivre sur ce site, vieux de près de deux milles cinq cents ans.

6/ Animation sur les lieux
Profiter de tout événement historique pour procéder à une animation sur les lieux et la médiatiser.

7/ Gérer rigoureusement l’environnement des sites et musées
L’installation aux abords des sites et musées, de baraquements hétéroclites et de vendeurs à la sauvette de produits de pacotille importés d’Asie, constituent une forte nuisance à l’image de notre pays et à son patrimoine (le parking squatté de Sidi Bou Saïd est un exemple patent).
Les seuls produits qui peuvent être autorisés seraient ceux de l’artisanat authentiquement tunisien de bonne qualité, provenant nécessairement de la région d’implantation du site.
Les prix de vente doivent être obligatoirement affichés et non soumis à des négociations interminables, et ce à l’instar des pays où le tourisme est le plus développé.

8/Procéder à des enquêtes de satisfaction
C’est le meilleur moyen pour évaluer le taux de satisfaction des visiteurs et de mieux répondre à leurs attentes.

Taoufik Ben Salah
Auteur du livre intitulé :
La Tunisie Millénaire, une longue histoire et des timbres poste

 

Tags : Sidi Bou Sa   tourisme   Tunisie  
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