News - 25.11.2012

Sondages d'opinion :y a-t-il risque de manipulation?

Forte montée au créneau des politiques dès la publication des résultats d’un sondage d’opinion. Si le baromètre leur est favorable, ils le crient sur tous les toits. A l’inverse, la baisse de leur cote suscite leur courroux et les voilà tout contester. Trois enquêtes d’opinion sont régulièrement publiées depuis le début de l’année à l’initiative de Sigma, 3C Etudes et Emrhod. D’autres, réalisées par des instituts tunisiens et/ou étrangers, à la demande de chancelleries et organismes étrangers ainsi que de partis politiques tunisiens, demeurent sous confidentialité absolue.

Pour celles qui sont divulguées dans les médias, qui en sont les commanditaires? Combien coûtent-elles ? Comment sont-elles conduites ? Quel est leur degré de fiabilité? Bien que le professionnalisme de ces trois instituts et la rigueur scientifique de leurs méthodes tels qu’ils l’exposent ne soient pas remis en question, la grande question est surtout de savoir dans l’absolu s’il y a un risque de manipulation de l’opinion par d’autres sondeurs incontrôlés.A l’approche des élections présidentielles, législatives et municipales, le recours aux sondages d’opinion sera plus fréquent, de toutes parts. La publication de leurs résultats ne manquera pas de produire son impact sur l’opinion publique. Si chacun essaye de « gonfler » son poids électoral, afin de susciter le ralliement des récalcitrants, il sera difficile d’échapper aux risques d’influence. Comment s’en prémunir ?

Deux mesures importantes s’imposent sans doute. D’abord, le regroupement des professionnels dans une structure appropriée, qu’elle soit chambre syndicale ou association, à charge pour elle de convenir d’un système d’étalonnage et d’une charte professionnelle. Cette structure aura aussi à entreprendre un travail pédagogique auprès de l’opinion publique pour bien comprendre le fonctionnement des enquêtes d’opinion, et de formation des journalistes pour une meilleure utilisation des données.

La deuxième mesure consiste à convenir d’un système de régulation  (ou d’autorégulation par la profession et d’autres partenaires) des enquêtes d’opinion, en précisant surtout le dispositif à adopter durant les campagnes électorales. Mais, pour mieux en comprendre les enjeux, voyage au cœur des instituts de sondage.

Sondages contradictoires ou opinion versatile ?

Connus des seuls initiés il y a encore moins de deux ans, les sondages d’opinion ont fait irruption avec fracas sur la scène politique et médiatique après la révolution. Parce qu’ils se suivent mais ne se ressemblent pas forcément, d’aucuns ont pu trouver à redire sur leur fiabilité, allant jusqu’à railler leurs conclusions et projections contradictoires. Pour autant, ils sont de plus en plus présents dans la vie quotidienne des Tunisiens et servent de miroir, fidèle selon les uns, déformant selon les autres, du paysage politique. Sont-ils inoffensifs et fiables ? Pourquoi leurs estimations paraissent-elles si présomptueuses aux yeux de certains ? Existerait-il une réglementation et un dispositif institutionnel pour les encadrer? Apportent-ils de  la visibilité ou risquent-ils, au contraire, de manipuler l’opinion ?
Pour apporter des réponses à toutes ces questions, mais aussi pour dresser un état des lieux, Leaders a réuni autour d’une table les responsables de trois parmi les principaux instituts de sondage d’opinion: Nébil Belaam, pour Emrhod Consulting, Hassen Zargouni, pour Sigma Conseil, et Hichem Guerfali, pour 3C Etudes. Ils ont eu à débattre ensemble, en présence de deux autres experts de la profession mais opérant sur des segments différents, en l’occurrence Hana Chérif, directrice générale de Médiascan, spécialisée dans le marketing, et Abdellatif Sallami, ancien directeur à l’INS et pionnier de l’audiométrie en Tunisie.

Le sondage politique était inconnu, inenvisageable en Tunisie avant la révolution. Des instituts de sondage existaient mais touchaient à tout hormis le terrain politique.

Ainsi Emrhod réalisait, pour le compte de l’institut international Gallup, un baromètre trimestriel consacré aux pays d’Afrique du Nord et portant sur des sujets comme le chômage, la cherté de la vie et autres questions de société. Après la révolution, il s’est reconverti au sondage politique en réalisant, à son propre compte, un baromètre trimestriel dédié à l’évolution de l’opinion publique, «juste à titre de contribution pour éclairer le public», assure son directeur général Nébil Belaam. C’est une sorte de cartographie de l’opinion, sans jugement de valeur. Le questionnaire est limité pour des considérations de coûts (de 7 à 8 mille dinars pour un échantillon représentatif de 900 à 1000 personnes).

3C Etudes réalise, lui aussi, son propre baromètre, mais mensuel, dans un premier temps pour le compte de médias comme Nessma et Le Maghreb et, à présent, pour son propre compte. Ce baromètre coûte à 3C une ardoise mensuelle de 10 à 15 mille dinars pour un échantillon représentatif d’un millier de personnes. Faute de commande, cela nous sert pour le moment à faire notre autopromotion, admet Hichem Guerfali.

Sigma Conseil n’est pas nouveau sur le marché. Actif depuis 15 ans, il a eu à réaliser des sondages ciblés pour le compte d’organismes internationaux comme l’ONU, le PNUD ou l’OMS, voire des études d’image pour Gallup (perception de l’image des Etats-Unis, de Ben Laden). Même sous Ben Ali, il a «tâté» du politique, non sans désagréments, dit-il, de la part du pouvoir, en enquêtant sur des sujets de société comme la position des Tunisiens sur la question de la polygamie et autres thèmes. Quelques jours après la révolution, Sigma Conseil a réalisé un sondage sur la perception des nouvelles institutions de l’Etat et s’est consacré longtemps à l’audiométrie. Il réalise actuellement un baromètre trimestriel pour le compte du Maghreb . Ses coûts se situent dans la même fourchette que ses concurrents, entre 10 et 12 mille dinars.
Si les trois instituts ont en commun d’utiliser la méthode des quotas (Sigma a aussi recours à celle des grappes), leurs protocoles respectifs d’échantillonnage diffèrent «mais pour un même résultat final», assurent-ils. Comment alors expliquer que leurs sondages d’opinion se suivent et ne se ressemblent que très rarement? Sur ce point précis, ils sont unanimes et catégoriques: ce ne sont pas les résultats des sondages qui se contredisent d’un institut à un autre mais c’est l’opinion qui est versatile et les réponses volatiles. Parfois, avance l’un d’eux, les réponses à une question précise changent du jour au lendemain, voire, dans certains cas, dans une heure d’intervalle.

C’est que, renchérit un autre, au sortir d’une si longue période d’absence de liberté d’expression, dans un contexte d’enchaînements de bouleversements rapides et successif, à la faveur des inquiétudes et des incertitudes nées de la transition postrévolutionnaire, il est normal que les hésitations réelles ou latentes produisent des prises de position très changeantes. Parfois, argumente un autre, il suffit d’un fait fortuit, d’une rumeur sur les réseaux sociaux ou d’une vidéo diffusée pour que la donne change du tout au tout.

Il se retrouve aussi que, comme partout dans le monde, il y a des évènements sensibles qui peuvent avoir un impact immédiat, parfois foudroyant, sur l’attitude de l’opinion, enchaîne un autre. Il cite l’exemple de la désastreuse tentative avortée de libération des otages américains à Téhéran, au début des années 1980, qui valut à Jimmy Carter, au sommet de sa popularité et en pleine campagne électorale, de ne pas être réélu.

Mais arrive-t-il aux instituts de sondage de se tromper ou simplement de «ne pas voir venir»  un phénomène? Là encore, nos protagonistes s’en défendent. Problème: comment ont-ils réussi la prouesse de ne pas prévoir le surprenant score d’Al-Aridha Chaabia aux élections du 23 octobre 2011 de l’Assemblée nationale constituante.

«Ah non, rétorquent-ils à l’unisson, nous l’avions !». Ils affirment même s’être livrés à des simulations à un siège près des scores des principaux vainqueurs, y compris la spectaculaire percée du CPR et d’Ettakatol, ainsi que la surprise d’Al-Aridha. Seule l’interdiction de la publication des résultats des sondages durant la campagne électorale les avait empêchés de les annoncer.

Y aurait-il risque de manipulation des sondages à des fins politiques ou électorales ? Il n’y a pas eu de cas avéré et donc tout procès d’intention serait malvenu, plaident-ils, assurant que faute de législation spécifique pour réglementer cette activité relativement nouvelle, la profession est en train de s’organiser pour encadrer le secteur et, surtout, veiller au respect des règles déontologiques.

Ils se plaignent d’autre part de l’attitude réticente, parfois hostile, d’une partie de la classe politique à leur égard, « faute de maturité suffisante», contrairement aux ONG qui, selon eux, leur font confiance.

Des sondages «sortie des urnes» seraient-ils envisageables en Tunisie? Il semblerait que non, car nécessitant la mise en place d’un dispositif lourd encore hors de portée, du moins à court terme.
 

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4 Commentaires
Les Commentaires
candide - 26-11-2012 07:26

Attention! Le professionnalisme et la rigueur dont vous parlez, de certains instituts de sondages peuvent être mis en doute. Il y a des antécédents de cela. Pour différentes raisons ou pour différentes motivations, certains n'hésitent pas à fausser les résultats. Lors de la dernière campagne électorale française, alors que tous les sondeurs donnaient Francoyis Hollande vainqueur, un sondeur à osé proposer son poulain, Nicolas Sarkosy. Cet institut était proche du pouvoir et dirigé par la préside du patronat francais. En serait il différent pour la Tunisie ? Au lecteur de juger de cette tendance et d'en tirer les conséquences.

tounesnalbaya - 26-11-2012 09:19

Pourquoi plémiquer sur les sondages, Seule une élection juste transparente et démocratique mettra tout le monde d'accord , concernant l'heureux prochain élu.

Ali Mrad - 26-11-2012 09:43

Bon sang! pourquoi se limiter à ces trois machines à fric? ou sont passé les autres , IST et l'ASSF . c'est loin dêtre professionnel. je vous invite à rectifier le tir pour plus d'objectivité.

skander mohamed - 26-11-2012 12:41

Je ne sais pas pourquoi on m'appele à partir d'un numéro qui a été déjà utilisé par sigma pour un sondage d'opinion, et ensuite on raccroche.Je ne penses pas que dans un sondage d'opinion, l'essentiel est d'appeler et non pas de prendre l'avis des gens.

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