Opinions - 22.10.2012

Ali Mezghani: Quand la souveraineté de la nation est absente de l'avant – projet de constitution

Par la révolution, le peuple de Tunisie voulait recouvrer sa souveraineté et l’exercer pleinement. Près deux ans après, il est en phase d’en être dépouillé. 

L’Etat moderne se fonde sur la reconnaissance explicite de la souveraineté de la nation. L’avant - projet de la nouvelle constitution dans sa version initiale du mois d’août  2012 n’y fait pourtant pas référence. Il n’est dans l’esprit de ses inspirateurs d’autres nations que la nation arabe ou musulmane ou arabo - musulmane.  La Tunisie n’est donc pas une nation ! Voilà qui explicite pourquoi le terme est radicalement absent de l’avant - projet. 

Mais l’inspiration divine de ses rédacteurs les empêche d’user d’une autre notion : la souveraineté. Parce qu’ils ne peuvent reconnaître d’autre souverain que Dieu, le peuple est seulement source des pouvoirs (Sulutât), dit l’article 1.3 de l’avant – projet, qui précise selon quelle modalité il les exerce : par l’intermédiaire de ses représentants ou par référendum. Bien en retrait par rapport à la Constitution de 1959. Bien loin de ce qui est écrit dans l’article 2 de la nouvelle Constitution marocaine : « la souveraineté appartient à la nation (Umma dans la version arabe) qui l’exerce directement par voie de référendum et indirectement par l’intermédiaire de ses représentants ».

S’il n’y est pas remédié, la nouvelle constitution tunisienne, ne reconnaîtra pas la souveraineté populaire. C’est dans cette logique qu’il est dit aujourd’hui de l’Assemblée Nationale Constituante qu’elle est auto – souveraine ou qu’elle est son propre souverain. Absolument souveraine ! C’est au peuple, pourtant, que la souveraineté appartient et non à ses représentants. C’est dans la nation que réside le principe de la souveraineté. Car, la souveraineté est le caractère d’un pouvoir suprême qui n’admet, au dessus de lui ou en concurrence avec lui, aucun autre pouvoir. La source n’indique pas, en revanche, un caractère et ne désigne pas un attribut. Simple modalité, elle identifie seulement une origine. A la différence de la souveraineté, elle n’est pas au fondement du pouvoir.

Si le peuple n’est pas souverain, c’est qu’il est soumis. Le problème est qu’il risque d’être assujetti non pas seulement à ses représentants mais à ceux qui prétendront dire la parole de Dieu et le représenter. Or, il est difficile de concevoir la démocratie et l’instauration de l’Etat de droit si, au nom de fumeuses idéologies, la nation est niée et sa pleine souveraineté usurpée. La Tunisie dont la tradition constitutionnelle remonte à Carthage, la Tunisie, premier pays arabe à s’être doté en 1861 d’une Constitution, ne mérite pas une telle régression.

Ali Mezghani

 

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2 Commentaires
Les Commentaires
daniel DELVERT - 23-10-2012 10:24

En essayant de comprendre le sens qu’on veut donner à la Constitution tunisienne, selon son avant-projet, je ne peux m’empêcher d’évoquer cette phrase attribuée à Jésus dans le Nouveau Testament. (que mes amis musulmans n’y voient pas une agression). « Rendez à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu. » (Matthieu, XXII,21). Cette réplique de Jésus a été exprimée quand les Pharisiens essayèrent de lui faire prendre parti dans la vie politique sur le paiement ou non des impôts levés par les Romains. La signification ? Il s’agissait de séparer le pouvoir politique donc temporel, local qui appartient à un Chef d’état avec le pouvoir religieux, théologique donc spirituel qui relève de l’église et /ou ses représentants. En revenant à la rédaction de la Constitution en Tunisie, le message me semble clair pour rappeler ce que la Constitution doit ou devrait contenir ou ne pas contenir. Mais, je voudrais faire remarquer que cette phrase, au cours du temps a été dévoyée de son sens originel pour ne retenir que « rendre à César ce qui est à César » ce qui signifie alors d’attribuer une chose, une parole à son véritable auteur. J’ai une certaine appréhension car je pense que certains au sein de l’ANC ne soient en train de vouloir ne lire que « rendre à Dieu ce qui est à Dieu » et je crains qu’ils se trompent sur le sens de cette moitié de formule.

gaha chiha - 24-10-2012 09:26

bien trouvé professeur... continue à nous éclairer. Merci

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