Success Story - 27.12.2011

Abdelfettah Amor et sa Commission ont-ils tenu toutes leurs promesses ?

En remettant son rapport final au président de la République et en le publiant, la Commission nationale d’investigation sur la corruption et la malversation (CNICM) a-t-elle tenu toutes ses promesses ?

Controversée lors de sa constitution, sous la présidence du doyen Abdelfettah Amor, «torpillée de l’intérieur et de l’extérieur» surtout au début, comme en ont souffert nombre de ses membres, et remise parfois en question, elle affiche un palmarès riche de plus de 5.000 requêtes et dossiers examinés, 322 dossiers significatifs transmis à la justice, impliquant plus de 1.200 personnes, la publication de son rapport final et surtout l’aboutissement d’un décret-loi sur la lutte contre la malversation, instituant notamment une Instance nationale indépendante dédiée.

Les moments forts de la Commission étaient nombreux. La première visite aux bureaux du Palais de Carthage et la découverte des dossiers soigneusement classés, puis celle à la résidence privée du président déchu à Sidi Dhrif, avec la découverte du fameux trésor, et aux autres résidences, l’audition de dizaines d’anciens ministres et conseillers, ainsi que de PDG de banques et d’entreprises publiques, d’hommes d’affaires et autres, l’accueil de centaines de citoyens, dont des cas fort émouvants, les procès intentés contre la Commission, le passage devant la Haute Instance, au Bardo…

Comment la Commission a-t-elle fonctionné, transcendé toutes ces difficultés, procédé à ses travaux et finalisé sa mission ? Dans quelles conditions se sont déroulées les visites à Carthage et à Sidi Dhrif, et les auditions? Et quelle suite sera réservée à ses travaux. Témoignages, reportages, éclairages.

Descentes à Carthage et Sidi Dhrif On cherchait des documents, on est tombé sur un trésor

A peine investie dans sa mission et munie des autorisations nécessaires, la Commission nationale d’investigation sur la corruption et la malversation (CNICM) a décidé de se rendre au complet (ils étaient alors 10 membres) inopinément au Palais de Carthage. Il s’agissait de mettre tout de suite la main sur les documents disponibles dans les bureaux des conseillers, leurs collaborateurs et les archives. C’était là qu’ils pouvaient trouver les premiers filons, surtout auprès du Département Economique, au centre de toutes les instructions.

Ce jour-là, M. Mongi Safra était encore présent, mais installé dans un autre bureau, le sien étant comme tous les autres bureaux fermés à clé. En sa présence, son bureau a été ouvert par des responsables de la Sécurité présidentielle : tout était là, bien classé. Une véritable mine d’informations que les membres de la commission se sont immédiatement mis à compulser, un à un. Cette découverte du premier trésor était pour tous un moment très fort. Les dossiers étaient bien documentés, soigneusement archivés.

Des trous ont conduit sur la piste du trésor

La visite s’étend aux autres bureaux et se révèlera fructueuse en nouvelles découvertes. Un agent, assistant d’un ancien conseiller, se présente au président de la Commission et lui tend un gros dossier. Juste au lendemain de la Révolution, son patron l’avait appelé pour lui demander de le faire brûler de toute urgence : c’était le dossier de l’affaire du yacht volé. Honnête et patriote, il n’a pas voulu obtempérer et l’a remis à la Commission.

Les documents recueillis se sont avérés très utiles, mais à leur examen, la Commission a découvert des trous: des séquences manquent. Les membres se sont alors dit qu’il doit y avoir d’autres archives, d’autres dossiers. Interrogé, le personnel a indiqué que le président déchu travaillait, en fait, les derniers temps, le matin au Palais à Carthage et l’après-midi chez lui à Sidi Dhrif, emportant avec lui certains dossiers. C’est donc à la recherche de ces dossiers manquants qu’il a été décidé de se rendre à la résidence de Sidi Dhrif. Personne ne soupçonnait alors les grandes surprises qui les y attendaient.

Premier élément intrigant

Autorisations obtenues, la Commission débarque au palais de Sidi Dhrif, gardé de l’extérieur par la Sécurité présidentielle qui n’avait, cependant, aucun accès à l’intérieur de la bâtisse. Tout était fermé, et seule la gouvernante générale, Mme Neila Abdelkéfi Mahjoub, une dame de très grande probité, était restée en possession des clés. L’accès n’était pas facile, tant les règles de sécurité encore en vigueur sont draconiennes : on se croirait en train d’embarquer dans un avion dans la mesure où il fallait passer sous des portiques et subir des fouilles. En demandant où se trouve le bureau du président déchu, les membres apprennent qu’ils disposent en fait de 3 bureaux, le premier à l’étage, le deuxième au rez-de-chaussée et le troisième au rez-de-jardin. Celui qui est à l’étage était inaccessible pour tous, même pour son épouse. Le président déchu était le seul à en détenir les clés, il y entrait tout seul et s’y enfermait à clé.

Ce qui était surprenant, c’est qu’à première vue, il n’y avait pas de coffre-fort, premier élément intrigant. Un très beau bureau, octogonal, capitonné, avec au plafond des versets coraniques (sur la vertu). Les tiroirs étaient vides. Tout était bien ordonné, juste du papier vierge, des stylos et des enveloppes. A force de palper les parois, on a commencé à entendre des résonances qui, à un certain endroit, se sont faites plus fortes. Puis, on a senti que le panneau mural était barré d’une baguette en bois. En la poussant, elle s’est divisée en deux battants pour laisser apparaître un grand coffre-fort mural à deux étages. Ces coffres étaient munis d’un dispositif de sécurité doté d’une combinaison à 6 chiffres. Surpris par cette découverte et bien heureuse, la Commission s’est mise à chercher la solution pour les déverrouiller. Les présents ne cachaient pas leur peur de voir exploser un pétard sur leur figure. Mais, cela ne les a pas empêchés de poursuivre la visite en se rendant au rez-de-chaussée.

Edifiée par la première expérience, la Commission scrute chaque détail, mais rien n’était visible. Au vu d’une bibliothèque, un membre de la Commission a la curiosité de retirer un ouvrage, le seul qui bougeait un peu. A la grande surprise, le volume en question s’est avéré muni d’une ficelle qui ouvre la fausse bibliothèque. Celle-ci dissimule en effet un autre grand coffre-fort. Là aussi, il fallait trouver le serrurier. En attendant, on demande où se trouve le bureau de Leïla Ben Ali. Rien à en tirer : vide de tout document. Mais on apprend qu’elle « travaille » dans sa propre chambre à coucher. En y arrivant, on est subjugués par les dimensions généreuses et le mobilier luxueux. Une grande glace, très grande, entourée d’un cadre large et épais occupe une bonne partie d’un mur. Est-ce derrière cette glace que se cache le coffre-fort recherché ? L’intuition ne s’y est pas trompée. D’urgence, il fallait trouver le serrurier. Un indice met la Commission sur la bonne piste. Sur les coffres-forts, on trouve marqué le nom de l’entreprise qui les a fournies et du coup on remonte à la bonne source. Seuls deux maîtres serruriers, grands spécialistes, employés de cette entreprise implantée à Msaken, sont capables de s’y essayer. En attendant leur arrivée, la visite se poursuit. Dans les chambres et dressings, on sent que le départ était très précipité: placards restés ouverts, vêtements jetés pêle-mêle, des valises à moitié remplies et laissées à même le sol. D’ailleurs, dehors, une voiture remplie de valises était restée au parking, n’ayant pu, semble-t-il, se joindre au cortège des fuyards. La gouvernante générale avait déjà remis une petite valise que lui avait confiée Leïla Ben Ali, juste avant son départ furtif, en lui demandant de la garder précieusement jusqu’à son «retour». Non difficile à ouvrir : elle contenait des liasses de billets.

Oh, les coffres-forts finissent par céder!

Les maîtres-serruriers, finalement trouvés, sont arrivés quelque temps après et se sont mis à l’ouvrage. La priorité a été donnée au coffre-fort du président déchu se trouvant à l’étage. Dans un silence absolu observé par tous, il fallait détecter au tic-tac le moindre son, chacun des présents retenant son souffle. Front ruisselant de sueur, un maître-serrurier parvient à caler la combinaison à 6 chiffres, cran par cran. L’excitation est totale, chacun spéculant sur ce qu’on allait découvrir à l’intérieur. Et lorsque le dernier chiffre a été trouvé et que la porte s’est finalement ouverte, un grand Oh ! monte au ciel ! Les présents poussent un Oh ! encore plus fort, lorsque les deux battants ont été difficilement écartés, à la vue des innombrables liasses de billets de banque. Tous hébétés, les membres de la Commission ainsi que l’équipe qui les accompagnait étaient tous sous le coup de la surprise. L’exercice se poursuivra sur les autres coffres : d’autres sommes d’argent au RDC, et surtout des bijoux de toutes sortes appartenant à Leïla Ben Ali. Chez le président déchu, on tombe sur une mallette fermée par une combinaison à trois chiffres. Ouverte, on y trouve les dossiers personnels relatifs aux «propriétés» de la famille: titres fonciers, etc.

Que faire du trésor ?

Face à ces trésors, la Commission ne savait quoi faire. Premier réflexe, demander aux serruriers de changer les combinaisons et tout refermer. Impossible, répondront-ils, le système ayant été forcé. Il ne restait plus au président Abdelfettah Amor de prévenir le Premier ministre Ghannouchi et le Président de la République Mebazaâ de son intention d’appeler la Banque centrale et la Trésorerie générale (ministère des Finances) pour venir prendre possession de ce qui a été trouvé, chacun en ce qui le concerne, et d’inviter la télévision nationale à venir filmer la prise et sa transmission. Et c’est ce qui a été fait.

La Trésorerie générale a mis quatre jours pour établir l’inventaire détaillé, procédant à l’identification et à la pesée de chaque pièce, s’agissant de plus d’un millier. Quant à la Banque centrale, elle a dépêché ses équipes et des camions blindés pour réceptionner les billets en différentes devises, après un comptage minutieux, et les conduire vers ses propres coffres-forts sécurisés.

Un deuxième comptage devait être fait le surlendemain au siège de la BCT, pour vérifier même les liasses trouvées poinçonnées par la Banque centrale. Une seule erreur a été relevée : deux billets de 20 dinars étaient collés l’un à l’autre. Au final, le compte est bon.

Fortement surpris par leurs trouvailles, les membres de la Commission, bien qu’heureux du résultat de leurs investigations, étaient un peu déçus, étant restés sur leur faim, quant à la recherche d’autres documents. Venus pour chasser des pièces à conviction en vue de faire avancer leurs enquêtes, ils ont soulevé le gros lièvre du trésor !

D’autres découvertes époustouflantes

Après les coffres, il fallait poursuivre les recherches dans chaque coin de la résidence de Sidi Dhrif, passer au peigne fin le moindre espace ou meuble. Ici et là on découvre quelques billets, sous un meuble, sous un lit. Il y a aussi des cadeaux de valeur par-ci par-là, des montres, des stylos et autres. Soudain, en haut d’un meuble insoupçonné, on tombe sur une petite serviette qui contenait les clès des coffres et tous les codes! Trop tard, malheureusement, mais l’essentiel c’est que ces coffres ont déjà été déverrouillés.

On s’occupe des serveurs informatiques. Des spécialistes s’y mettent pour récupérer les données enregistrées sur les disques durs : hélas, il n’y avait rien. Soit que tout a été détruit, soit que des clès spécifiques avaient été utilisées pour tout crypter.

La visite à la cave est impressionnante. D’abord, le sous-sol est immense, il s’étend sur toute la résidence, même sous la piscine. C’est un véritable dépôt d’appareils électroménagers, d’équipements audiovisuels, et plein d’autres choses.
A la grande surprise, on y trouve des pièces archéologiques d’une valeur inestimable et nombre d’entre elles sont totalement méconnues des spécialistes. A leur vue, les experts du ministère de la Culture, invités à venir les expertiser et les prendre en charge, avaient les larmes aux yeux tant ils ne s’attendaient pas à les voir. D’où viennent ces 57 pièces, exceptionnelles? De fouilles clandestines? La vérité ne tardera pas à être révélée, à l’issue des enquêtes en cours.

Au sous-sol, c’est toute une cité avec sa clinique privée, très impressionnante: salle d’opération, salle de soins dentaires, salle d’accouchement, chambre de repos pour patients, armoires, coffres-forts pour les médicaments et à l’intérieur, d’autres mini-coffres-forts pour les drogues médicinales.

Le président déchu avait à sa disposition un médecin en permanence. Les spécialistes des ministères de la Santé et de la Défense ont été invités à venir s’en charger. La diffusion du reportage télévisé a suscité la réaction de la Justice. C’est ainsi que le Palais et les différentes résidences ont été mis sous scellés sur ordre du procureur de la République. Présentant une requête officielle, la Commission a fini par obtenir la levée de ces scellés et se rendre au Palais présidentiel de Carthage, dans les bureaux du président déchu, ainsi qu’à ses autres résidences à Hammamet et à la Marina de Hammamet-Sud. Sans pour autant mettre la main sur des prises significatives.

Tags : Abdelfettah Amor  
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