Opinions - 16.03.2011

Qu'en est-il de l'«accountability» des dirigeants de sociétés en Tunisie ?

La responsabilité des acteurs concernés par la conduite des affaires d’une entreprise ou d’une banque et leurs aptitudes à rendre compte de leurs actions, font l’objet aujourd’hui d’un débat houleux en Tunisie.

En effet, face aux dérives et aux scandales financiers révélés chaque jour, il y a urgence par rapport à l’application d’un train de mesures en matière de gouvernance et de transparence qui doivent s’accompagner par une prise de conscience et une sensibilisation des acteurs sur le terrain, mais aussi et surtout par une responsabilisation de ces acteurs pour les amener à plus de probité et à plus de maturité au niveau des prises de décision, du contrôle des prises de décision et de la communication qui suit les prises de décision. Et c’est d’ailleurs à ce niveau que s’inscrit la dimension comportementale des dispositifs de gouvernance d’entreprise qui porte plus sur les aspects relationnels et sur la conduite des acteurs, leurs attitudes et leurs agissements ainsi que leurs manière d’évoluer dans leur fonction et de faire face à la multiplicité des intérêts et à la confusion des rôles dans un contexte et dans un environnement de plus en plus complexe.

Le premier principe qui sous-tend en effet la gouvernance d’entreprise est la responsabilité et l’intégrité des dirigeants et des administrateurs. Ces deux mandataires sociaux, au cœur du système de gouvernance de l’entreprise, jouent un rôle prépondérant dans la conduite des affaires, le contrôle de la performance et de la bonne marche de l’entreprise. Ils interagissent au sein du Conseil d’administration, croisent leurs compétences et conjuguent leurs efforts pour le seul intérêt social de l’entreprise.

Malheureusement, la réalité est différente et les choses ne se sont pas déroulées de cette manière ces dernières années en Tunisie, du moins dans un certain nombre de cas où l’opportunisme des dirigeants et des « familles » qui les manipulent, combiner à la passivité des administrateurs et aux dysfonctionnements des mécanismes de contrôle ont entraîné la déconfiture de certaines de nos entreprises et de nos banques.

Dirigeants et administrateurs doivent être mis sur la sellette et leurs responsabilités dans les scandales financiers qui ébranlent notre système économique aujourd’hui doivent être décriées. 

Mais le concept de responsabilité, n’est pas aussi simple à appréhender et facile d’accès. La responsabilité a de multiples facettes, au point d’être profondément tiraillée : responsabilité individuelle du dirigeant et de l’administrateur, responsabilité collégiale du Conseil d’administration, responsabilité envers les actionnaires et envers les autres parties prenantes, notamment les salariés, responsabilité juridique (civile et pénale) et responsabilité pratique. 

De surcroît, la notion de responsabilité est appréhendée différemment que l’on se place par rapport à la culture anglo-saxonne ou française. Etymologiquement, les Anglais utilisent deux mots pour exprimer cette notion : responsiblity et accountability.

En français, quand on parle de responsabilité au niveau de la direction d’une entreprise ou du fonctionnement de son Conseil d’administration, c’est plutôt la responsabilité au sens juridique du terme qui est retenue. La responsabilité recouvre ainsi quatre dimensions :

  • avoir la qualité de prendre des décisions,
  • être garant des choses dont on a la charge,
  • rendre compte de ses décisions et de ses actes,
  • répondre des conséquences de ses décisions et de ses actes.

Une double dimension juridique et comportementale caractérise donc ce concept de responsabilité et nous renvoie à des références transdisciplinaires et à une littérature certes abondante et féconde mais pas toujours pertinente quand il s’agit de niveler et de cristalliser les différents aspects et la double dimension de la notion de responsabilité.
   
Il s’avère essentiel donc de clarifier ce concept et d’opter pour un choix judicieux quant à la dimension traitée et aux aspects qui doivent prévaloir.

Ainsi l’intérêt doit porter plus aujourd’hui sur la notion anglaise d’ « accountability » et l’aspect comportement dans la notion de responsabilité. Il s’agit de définir et d’appréhender un dirigeant ou un administrateur responsable comme étant une personne sur qui l’on peut compter et comme étant une personne qui rend compte de ses différentes missions et des conséquences de ses décisions et de ses actes. Outre la compétence et l’intégrité, c’est sur cette base, que nous devons dorénavant sélectionner et coopter nos futurs dirigeants, notamment ceux des entreprises et des banques publiques. 

Aujourd’hui en Tunisie, il y va de l’intérêt vital de notre économie de « vulgariser » et d’appliquer encore plus ce concept de l’ « accountability » afin de mieux responsabiliser nos dirigeants et les rendre redevables de leurs actes dans la gestion des entreprises. D’ailleurs, même au niveau politique, le compte rendu devient crucial pour induire plus de transparence et de probité dans la gestion des affaires publiques et garantir ainsi à la nation, une meilleure gouvernance pour une création de richesse, durable et partenariale.                            

 Joudi M. et Tombereau A. (2008), « Accountability des dirigeants & gouvernance d’entreprise : un état des lieux  théorique et pratique », Financial Market Regulation and Competition between Market Places, IAE de Paris, novembre.

Ploix H. (2006), Gouvernance d’entreprise, HEC Paris, Pearson Education France, Village Mondiale.


Par Dr. Moez JOUDI
Vice-président de l’Institut Tunisien des Administrateurs (ITA)
Administrateur de sociétés









 

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