Opinions - 31.01.2011

Tunisie : transformer la fierté en solidarité

Depuis ce 14 janvier 2011 la Tunisie a été projetée au devant de la scène internationale faisant la une des médias internationaux et focalisant l’intérêt des responsables et observateurs politiques de part le monde, sans compter l’onde de choc que la révolution de jasmin a propagée dans les pays arabes. De petit pays touristique du sud la méditerranée, la Tunisie est devenue en quelques jours le berceau d’une révolution populaire qui est en train de marquer l’Histoire. Certains l’ont comparée à la révolution française, d’autres à celle qui a entrainée la fuite du Shah d’Iran, ou encore à la chute du mur de Berlin par le risque de contagion à d’autres pays arabes comme ce fût le cas avec les pays d’Europe centrale. L’avenir nous dira ce qu’aura été l’ampleur de la révolution tunisienne mais personne ne peut nier que ce qui se passe actuellement en Egypte trouve son inspiration en Tunisie.

Les prochaines semaines seront cruciales, elles nous fixeront sur le caractère irréversible (ou non) de ce changement. On saura alors si la Tunisie est vraiment en voie de rejoindre le club des pays démocratiques. Ce serait une première pour un pays arabe : réussir la transition démocratique par la seule volonté du peuple et en l’absence de tout leader politique. L’essai a été gagnant, il faut maintenant le transformer. A priori c’est possible même si le gouvernement d’union nationale a mis du temps à se former pour intégrer les revendications de la rue, des principaux mouvements politiques et de la société civile. Mais ce ne sera pas sans risques.

Tout d’abord le risque sécuritaire. Même si la situation est en apparence calme et que la vie reprend progressivement son cours en Tunisie, tout pousse à croire que le gouvernement ne contrôle pas totalement la situation sécuritaire du pays, malgré l’engagement de l’armée à ses côtés et le soutien populaire. On ne peut pas effacer plus de vingt ans d’un régime policier sans faire de déçus qui, voyant leurs privilèges disparaitre, cherchent par tous les moyens à reprendre le contrôle de la situation en semant la peur dans la population et en déstabilisant le gouvernement. Dans les jours qui ont immédiatement suivi la fuite de Ben Ali on voyait ces attaques comme un dernier baroud d’honneur des milices de l’ancien parti au pouvoir et de la garde présidentielle. Mais avec le temps et la répétition des attaques, on peut craindre que ces mêmes forces soient toujours présentes dans les appareils sécuritaires de l’état mais organisées de manière parallèle et donc répondant à des canaux non officiels.

Un grand nombre d’observateurs mettent en avant le risque islamiste. Sur le plan politique personne ne peut savoir ce que représente le mouvement islamiste tunisien en raison de sa disparition forcée du paysage depuis plus de vingt ans. Sur le plan social, il est évident que ces dernières années virent une islamisation de la société tunisienne qui touche toutes les classes. Toutefois, il est difficile de comprendre les raisons profondes de ce changement qui s’exprime surtout dans les comportements : port du voile, pratique assidue de la prière, observance plus stricte du jeûne, etc. Est?ce la conséquence de l’absence d’espaces d’expression sous l’ancien régime, de l’influence de certaines chaines satellitaires arabes et des messages qu’elles véhiculent, ou par mimétisme notamment auprès des jeunes, ou encore un refuge devant les problèmes socio?économiques et les incertitudes de l’avenir ? Quelle qu’en soit la raison, personne ne peut dire ce que sera l’audience politique des islamistes. Mais si ceux?ci réussissent à séduire les Tunisiens dans le cadre d’un processus démocratique qu’ils ne remettent pas en question après leur élection, ils auront une légitimité indiscutable. La Turquie a bien un gouvernement dirigé par les islamistes qui est accepté à partir du moment où le socle des valeurs républicaines est préservé. L’accueil que feront les  islamistes aux acquis de la femme tunisienne pourrait être déterminant. Ils ont bien soutenu la révolution populaire mais il faut constater qu’ils adoptent une stratégie attentiste sans dévoiler aucune position.

Un plan Marshall pour les régions défavorisées

Bien que la révolution ait été menée par toutes les couches de la population, il ne faut pas écarter le risque de conflit entre les classes sociales. Ce qui s’est passé pendant le processus de nomination du gouvernement provisoire illustre bien ce risque. D’un côté la « Tunisie d’en haut », celle des banlieues huppées de Tunis, des zones touristiques, des grandes villes côtières et d’une certaine classe moyenne qui a à cœur que la situation se normalise pour préserver ses acquis et qui par conséquent accepte de faire des concessions sur le plan politique en admettant que l’ancien parti au pouvoir siège au gouvernement. De l’autre « la Tunisie d’en bas », celle des villes de l’intérieur qui n’ont pas bénéficié des fruits de la croissance du « miracle tunisien », qui n’a rien à perdre et qui réclame un changement politique radical. Cette Tunisie?là est pressée et attend des résultats immédiats. C’est elle qui a initié la révolte à Sidi Bouzid et Kasserine entrainant dans son sillage les autres villes et les populations plus aisées. Elle ne veut pas se faire voler sa révolte quitte à adopter des positions jusqu’au?boutistes. Pour préserver l’unité nationale, il faut des mesures concrètes d’urgence pour reconnaître, rassurer et aider cette Tunisie?là. Il faut un plan Marshall pour les régions défavorisées. I

l n’y a pas que le gouvernement qui doit jouer ce rôle. L’union nationale qui a rendu possible la révolution de jasmin doit se traduire par un vaste mouvement de solidarité et de générosité. Les milieux d’affaires, les associations, les ONG doivent avec le soutien du gouvernement trouver les moyens d’organiser cette solidarité sans faire revivre les démons du 2626. Les Tunisiens de l’étranger doivent également se mobiliser et y contribuer. Il s’agit d’une solidarité humaine et surtout apolitique sans référence à aucun parti que ce soit. Il faut capitaliser sur la fierté née de cette révolution et la transformer en solidarité. Il faut faire vite avant que d’autres, malintentionnés,  ne s’en occupent.
 

Mohamed Mezghani
 

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7 Commentaires
Les Commentaires
landoulsi kamel - 31-01-2011 21:57

Bravo pour l analyse .

KAMOUN RIDHA - 31-01-2011 22:57

Arrêtez de l'appeler révolution du "jasmin"

Ben J. - 31-01-2011 23:43

La solidarité de tous les Tunisiens pour la Tunisie. http://www.tousensemble.org/

Habiba abdelkefi - 01-02-2011 00:36

J'approuve vos propos et je soutiens votre proposition de transformer la fierté en solidarité, j'attends de savoir comment, par quel biais, pour concrétiser cette proposition.

Dorra GHORBEL - 01-02-2011 14:32

Je suis d'accord avec les idées avancées. Nous sommes en période transitoire, entre un régime policier de dictature, et un régime que nous espérons démocratique et dans lequel persistent les acteurs de l'ancien régime... La transition ne sera pas facile sur plusieurs plans (sécurité, politique, croissance...) et nous devons tous être vigilents, solidaires et éviter les conflits qui peuvent nous éloigner de nos objectifs primordiaux qui sont la démocratie et l'égalité pour tous. Mais sans pour autant cacher l'information ! C'est le moment de se montrer solidaires. Des gens honnêtes devraient s'occuper de la collecte des fonds (de manière totalement transparente) et de leur utilisation dans le développement des régions défavorisées. Concernant l'islam, nous avons vécu en Tunisie depuis l'indépendance sous des régimes qui ont tout fait pour déformer l'image de l'islam. Sans rentrer dans les détails, la mondialisation de l'information (chaînes satellitaires) a ouvert les esprits de beaucoup de tunisiens sur le vrai islam, sur les notions de pardon, de fraternité, d'amour de Dieu... Je ne pense pas que le port de voile qui se répand de plus en plus chez nous et le nombre croissant de gens fréquentant les mosquées soit lié à la politique (refuge comme vous dites), mais plutôt lié à une meilleure compréhension de notre religion.

Houda Sabbagh - 01-02-2011 19:45

J'apprécie beaucoup votre analyse et je suis certaine pour ma part que nombre de bonnes âmes veulent aider mais ne savent pas comment Il faut concrétiser avec les autorités publiques et régionales je pense et peut être même avec l'aide de l'armée Si cela se fait je serai heureuse de participer à cette entreprise en tant que bénévole J'espère sincèrement que ce projet prenne corps car ce sera avant tout une belle leçon d'humanité et de solidarité pour nous tous

slim - 03-02-2011 21:32

je suis entièrement d'accord sur votre analyse judicieuse de la situation et les enjeux qui nous attendent,mais il faut en finir avec l'expression (révolution de jasmin) 219 morts et 4000 victimes qui souffrent dans les hopitaux....ce qui a coulé c'est du sang,pas du jasmin.prière de ne plus insulter la mémoire de nos martyrs et merci d'avance.pour information,nous sommes en train de lancer une association,à paris pour collecter des fonds,des médicaments,des vetements.... cordialement

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