News - 10.10.2023

Tahar Guiga: Un ventre parle

Tahar Guiga: Un ventre parle

Traduite de l’arabe par Tahar Bekri - Je marche dans la ruelle avec l’allure des notables, dandinant, le ventre creux, l’esprit lisse, la direction bonne. Je n’ai trouvé personne pour m’employer, désespéré, j’ai confié mon sort à Dieu… et au gouvernement.

Comme la faim est étonnante! Je foule le coton et marche au milieu du coton. Les voix perdent leur intensité quand elles parviennent à mon oreille, les lignes s’entremêlent devant mon regard, se couvrent de brume, malgré cela, je ressens l'ardeur de l’esprit et l’intelligence du talent.

Voici l’odeur de poisson frit qui se promène dans l’air et chatouille mon nez, de temps à autre, je le voudrais un gros poisson charnu qui échappe de la main quand je le presse. Plutôt, je voudrais verser dans la poêle un tamis rempli de poissons bleus comme la couleur de la mer et les fais frire ensemble puis les sortir avant la cuisson afin qu’ils gardent le goût de la mer.

Quelle odeur délicieuse! Elle arrive de la maison du Professeur Brahim, il n’est pas étonnant qu’il fasse frire les poissons dans les demeures des intellectuels. Je connais la maison. La cuisine est au bout, mais l’odeur franchit tous les obstacles devant elle et parvient à mon nez. Professeur Brahim, est pieux, s’est recroquevillé sur lui-même, malgré son bien être, s’est replié sur l’odeur de ses poissons, oubliant que son voisin se tord de faim, car seul le Créateur donne aux humains… puis au gouvernement.

Voici la maison de Si Ali, l’ouvrier. Son tour est arrivé la veille dans un chantier de travail et voici une odeur lourde, qui sort lentement, timide, une odeur de marmite de fèves.

J’achète des fèves, un bol de fèves… à la couleur d’huile, une huile presque amère, mais une amertume suffisante, - sans exagération ni dilapidation - il faut que l’huile ait le goût de l’huile - n’est-ce pas? J’envoie le bol de fèves dans mon ventre, boulettes chaudes, l’une poussant l’autre…

Bienvenue à toi, odeur des pauvres, des prolétaires et des misérables, odeur de celui qui mange à la hâte un bol de fèves ou de pois chiches très tôt, le matin, avant de s’attaquer aux sacs de grains dans les ports, odeur des bols jaunes que distribuent aux ouvriers du bâtiment dans les grands chantiers des gens comme eux dans la misère et la peine.

Bienvenue à toi, odeur de labeur, entre en paix dans mon ventre.

Bonjour Am Massoud, ce sont d’excellentes pâtes, préparées derrière le comptoir, une odeur rouge, épaisse, douce, de la douceur des pâtes, bien pétries, une odeur qui serpente et se délie, qui produit dans ma tête un tourbillon.

La danse des mets commence: des poissons bleus qui tournent rapidement, se tortillent autour des pâtes, rouge foncé, au milieu du cercle, sautent les fèves dans une brume de vapeur au loin, loin d’être prise. Je tends ma main et elle s’éloigne de moi comme un mirage.

Et si j’attaquais Am Massoud et lui prenais sa marmite et avalais ce qu’il y a dedans? Où est donc le respect du voisin? Où est la dignité de l’humanité? Est-ce qu’il m’a respecté lui? Qui m’a provoqué avec l’odeur délicieuse?

Mon attaque de l’Am Massoud serait comme une étincelle dans une botte de pailles, Que Dieu me pardonne…

Nouvelle parue dans la revue Al-fikr, 1955; reprise dans le recueil, Nouçour wa dhafade’ (Des aigles et des crapauds), MTE, 1991

Traduite de l’arabe par Tahar Bekri

Tahar Guiga, Né en 1922 à Takrouna, nouvelliste, essayiste, auteur bilingue, il s’est intéressé au patrimoine culturel populaire, a occupé de hautes fonctions culturelles. Il décède en 1993.
 
 

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