Mongi Lahbib : Dilapidation du temps, dilution des responsabilités et développement
Par Mongi Lahbib - Le monde connaît des mutations rapides géopolitiques, économiques, environnementales et technologiques.
Où se positionne la Tunisie à l’ère de la 4ème révolution industrielle, de l’informatique quantique et de la nanoseconde ? Le capital temps n’a qu’une valeur relative encore dépréciée depuis la Révolution. Le monde progresse, notre pays régresse en dépit des signes avérés de résilience.
I) Inaction politique et inertie de l’Administration
Les prémices de l’inaction politique remontent aux débuts des années 2000. L’étude «Tunisie 2030», élaborée par l’Institut tunisien des études stratégiques, portant notamment sur le développement des énergies renouvelables et l’implantation du port en eaux profondes à Enfidha, n’a pas été suivie d’effets.
Des projets et des mesures d’ajustement ou de réformes sont constamment reportés. Il en est ainsi depuis une quarantaine d’années, de la révision du régime de compensation des produits de base à l’arrêt du déversement du phosphogypse dans la mer du Golfe de Gabès.
Les projets d’aménagement de Taparura à Sfax, de la cité de la culture et du réseau ferroviaire rapide à Tunis ont connu des retards de 15 à 20 ans. L’accord d’«Open Sky» et les négociations relatives à l’accord de libre-échange complet et approfondi avec l’ Union Européenne attendent leur finalisation depuis une dizaine d’années.
L’immobilisme politique s’est aggravé depuis la Révolution avec l’instabilité gouvernementale, l’inefficience du processus de décision et la précarité des finances publiques.
En plus des surcoûts financiers des projets et programmes à réaliser, ces retards chroniques affectent lourdement la crédibilité de l’Etat quant au respect de ses engagements tant au niveau national qu’avec nos partenaires étrangers.
La situation s’est encore détériorée avec l’inertie d’une administration pléthorique où la loyauté politique prime sur le mérite dans un climat de laxisme et de dégagisme.
L’attentisme de l’administration est alimenté par la peur des fonctionnaires d’être poursuivis en justice en application de l’article 96 du code pénal au motif de concussion.
II) Entraves à l’optimisation du capital temps
La gestion du temps est liée à l’organisation de l’espace et à l’environnement des affaires et du travail. Il y a lieu de relever à cet égard la gestion chaotique de l’aménagement du territoire et de l’aménagement urbain, du transport, de la circulation et du logement.
Autant de facteurs- ajoutés au dérèglement de la chaîne d’approvisionnement- qui affectent le rendement et la productivité des facteurs de production et la compétitivité du pays. La Tunisie était classée en la matière par le World Economic Forum à la 87ème position sur 140 pays en 2019 contre la 32ème place en 2010.
Notre pays fût également classé au 27ème rang en matière de salaires et de productivité et à la 29ème place pour la règlementation du marché du travail.
• Dépréciation de la valeur du travail et du capital temps
L’assiduité, la ponctualité et la célérité sont de plus en plus passés de mode. La civilisation arabo-musulmane accorde pourtant une importance particulière à la gestion du temps.
A la mesure du temps s’ajoute le bon usage du temps. Ainsi le prophète Mohamed a appelé avant l’heure à la formation continue par «la quête du savoir du berceau au tombeau», fut-ce en Chine un signe d’ouverture et de pragmatisme.
• Les freins à la transition numérique
La Tunisie fût l’initiatrice et l’un des hôtes du sommet mondial de la société d’information en 2005. Nos informaticiens et start-ups sont appréciés dans diverses parties du monde. L’identifiant unique fut «identifié» et retenu en 2013, sans être pour autant mis, depuis, en application. Sans compter les retards de l’Administration en la matière et l’inclusion financière encore limitée, avec un mode de change anachronique.
• Freins idéologiques et dysfonctionnement de l’économie
Réticences quant à la mise à niveau de l'économie, réserves au sujet du partenariat public-privé, refus du système flexi-sécurité conciliant sécurité et flexibilité de l'emploi:les exemples de blocages idéologiques s'allongent de plus en plus. Et ce trois décennies après la chute du mur de Berlin et la libéralisation de l'économie chinoise...
Ces blocages dogmatiques entravent le processus de réformes et contribuent, entre autres, au retard du développement des énergies renouvelables qui ne représentent que 4 % du mix énergétique ( contre37% au Maroc).Et-ce en raison du monopole de la STEG en matière de transport ,de distribution et sur tout jusqu'à récemment-de la production de l'électricité.
Ces entraves ajoutées à l'insécurité juridique, l 'imprévisibilité politique ,la pression fiscale et l'agitation sociale détériorent le climat d'affaires et d'investissement. A un moment ou le near-shore, en flux tendus, et la relocalisation sont à l'ordre du jour à Bruxelles suite aux retombées du Covid et de la guerre en Ukraine. Alors que l'avantage compétitif de lala proximité de la Tunisie à l'Europe est affecté par l'inefficience de notre logistique portuaire 'classée parmi les moins performantes en Afrique ,en raison notamment des longs délais de déchargement des navires.
III- Gestion du temps et développement: valoriser, anticiper, agir...
Valoriser le temps, à défaut de l'optimiser, à travers:
• La réhabilitation des valeurs du travail et du temps par l'éducation, la sensibilisation, la conscientisation, l'incitation, la motivation en promouvant l'effort, le mérite et la persévérance.
• La libéralisation des énergies et l'encouragement de l'initiative et la prise de risque.
• La promotion de l'esprit d'équipe, la dissémination et l'accumulation des progrès réalisés.
• La participation, l'appropriation et l'identification à l'Etat, à la société et à l'entreprise.
• Le développement personnel et des formations soft skils (langues, adaptabilité, agilité, formation continue...)
Anticiper
• Dégager une vision partagée d'un projet national commun de société et de développement écosystémique.
• Rétablir l'équilibre entre modernité et authenticité en puisant dans notre Histoire les ressorts de rattrapage, de renouveau et de progrès et en recouvrant notre identité et notre tunisianité imbue de modération, de tolérance et d'ouverture.
• Associer les différentes parties prenantes à l'élaboration de programmes et de projets structurants selon une démarche inclusive et participative.
• Développer les capacités de veille, d'analyse et les mécanismes de coordination 'dévaluation et de suivi.
Agir
• Etablir un système politique et de gouvernance susceptible de favoriser la transparence, la prise de décision et la recevabilité.
• Instaurer des conseils consultatifs économiques, sociaux et environnementaux aux niveaux national et régional.
• Intégrer les dimensions du temps et de l'environnement de manière horizontale dans les différents plans et projets de développement et schémas d'aménagent territoriaux et urbains.
Le temps n'est pas seulement une unité mesurable. Il est aussi opportunité, continuité, stratégie et tactique(politique des étapes). Sa perception est censée refléter une échelle de valeurs, d'aspirations, de motivations et sens de la vie.
"Choisis un travail que tu aimes et tu n'auras pas à travailler un jour de ta vie"/Conficius/...
Mongi Lahbib
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Je remercie Si Mongi pour son analyse ,j'ajoute que la Mondialisation a dévoré l'usage du temps et a bien confisquées les valeurs du temps.
Excellent article. Une analyse d’une grande perspicacité et des propositions qui peuvent, si elles étaient suivies d’effet, remettre la Tunisie sur le chemin de la croissance et du développement