Tunisie: Le retour des damnés de la terre
Par Mohsen Redissi - En méditerranée, trois grands continents, l’Afrique, l’Asie et l’Europe, se font face avec un accès direct à ses rivages et surtout à ses multiples richesses objets de convoitise, de querelles et de conflits armés déclarés ou larvés entre les superpuissances. De vives tensions sur ses rives, entre un nord riche et un sud en perpétuelles difficultés. La proximité de l’Europe des rives sud de la Méditerranée la fragilise et rend la défense de ses frontières maritimes sujette à des facteurs aléatoires.
Feu Zine el-Abidine Ben Ali et ses sbires fermaient les yeux sur les vagues successives d’embarcations de fortune surchargées de candidats à l’immigration clandestine vers les côtes européennes. Chaque citoyen quittant la Tunisie en douce avec l’intention de ne plus revenir était une épine qu’on enlevait de ce colosse africain aux pieds d’argile(1). Des coups d’éclat de temps en temps pour faire taire les rappels du concept de bon voisinage de l’Union européenne (UE) en premier lieu et redorer le blason de sa marine nationale.
Pour ses apprentis conquérants direction l’Eldorado. Leur première destination baigne au large de l’Italie. Sur les côtes de l’île de Lampedusa la plus tunisienne des îles italiennes point de leur premier passage, vers la fin mars 2011 plus de six mille tunisiens ont débarqué sur ses rives en quelques mois. Ils ont bravé les éléments. Ils ont réussi. Rassurés, ils crient à tue-tête leur triomphe «Jawhir nous voilà!(2)». Ces rescapés ont fait ainsi de l’arabe la langue la plus répandue sur l’île. Hélas, sur les flots tourmentés de la Méditerranée viennent se fracasser de vieux rafiots bondés et sur les fins fonds de la Mare nostrum, la mer interne pour les romains, reposent les âmes perdues d’êtres chers aux leurs. Le tribut fort à payer à Neptune pour chaque traversée pour apaiser la colère des dieux. Tribut beaucoup plus lourd que l’obole versée par les âmes des morts à Charon pour traverser le Styx. Tous divins, tous cupides.
Une main-d’œuvre abondante, exposée, disponible, prête au sacrifice à prix cassés. L’essaim dispersé volontairement ou accidentellement par les autorités italiennes sur une grande partie de l’Europe. Les plus chanceux ont trouvé refuge dans les bras d’une européenne. Pour les autres, ils sont nombreux à avoir rejoint toute sorte d’organisation criminelle, tombés sous les balles sur les champs d’honneur, si honneur il y a, plutôt que de mourir de faim et de froid.
Mendicité, prostitution, djihad… et plus si affinités
Leur descente en enfer a commencé quand ils ont foulé, ébahis et éblouis, la terre de Dante. Leur paradis un enfer, un leurre. La désillusion est totale. Cette abondance d’hommes et de femmes délaissés de tous, désœuvrés, fragilise leur santé mentale et limite leur pouvoir de discernement. L’oisiveté n’est-elle pas la mère de tous les vices. Sans expérience ni une quelconque qualification, ne parlant pour la plupart aucune autre langue que la langue de Sibawayh(3). Ce surplus a alimenté les marchés les plus demandeurs, avides, insatiables même. Le monde des activités nocturnes qui manque de chair fraiche s’est rabattu sur la plus tendre, les juvéniles. Le monde du crime organisé qui manque de mules a choisi les plus débrouillards. Et surtout les mouvements djihadistes terroristes qui manquent de chair à canon, élément essentiel dans les multiples conflits armés ouverts aux âmes charitables et aux volontaires dans le Moyen-Orient et une partie de l’Asie sous couvert religieux ou ethnique. Les marchands d’armes et les profiteurs trouveront bien une excuse valable pour alimenter les feux, entretenir la haine et remonter les uns contre les autres.
Une valse à mille temps
Le ballet de hauts émissaires européens, italiens, allemands et la récente visite du ministre français de l’Intérieur en Tunisie le 6 novembre 2020 reflète bien la nouvelle attitude de l’UE face au concept de bon voisinage. Charité bien ordonnée commence par soi-même. La roue de la fortune pour les éléments perturbateurs tunisiens, réguliers ou clandestins, a tourné. Le glas sonne désormais la fin de leur errance en Europe. L’exode est fini, et le retour au bercail est tout proche.
Certains pays de l’Europe commencent déjà à limiter les visas même pour les dignitaires de l’Etat. Ils peuvent faire pression sur les partenaires économiques de la Tunisie par plusieurs moyens, à commencer par imposer des quotas, les pousser à ne plus importer de Tunisie, encourager leurs citoyens à reporter leurs visites… Du terrorisme certes, mais du terrorisme d’Etat.
Le feu colonel Kadhafi, le guide libyen, était un fin maitre-chanteur. L’Europe était à ses pieds. Il refusait d’être son garde-chiourme. Son traitre mot était de rendre l’Europe un continent noir (ses propres mots) en laissant déferler sur les côtes nord de la Méditerranée les hordes venues d’Afrique sub-saharienne. Lunatique comme il était, l’UE le prit au sérieux, céda à son chantage, arma ses gardes-côtes de vedettes rapides et paya les soldes de ses gendarmes en plus d’une grosse somme d’argent versée dans ses caisses, déjà pleines à craquer de pétrodollars. A l’époque, les experts estimaient qu’il y avait assez de liquide dans les caisses de l’Etat libyen pour nourrir toute l’Afrique pendant 20 ans. Tout dilapidé en une année de guerre civile. Le gâchis.
Droit sans conscience n’est que ruine de l’âme
La conscience de l’Europe autrefois soucieuse de la préservation de la dignité humaine et des droits de l’homme est en passe de procéder à de profonds changements à ses principes moraux. Le renvoi de délinquants étrangers vers le pays d’origine avec l’accord préalable de leurs pays respectifs est l’objectif de l’accord que vient chercher le ministre français de l’Intérieur M. Gérald Darmanin dans sa tournée dans les pays du Maghreb à forte présence en France. Ce n’est pas une double-peine, mais un aller simple sans retour à leurs racines avec le feu vert des autorités locales. Bon débarras. La côte de la popularité du candidat désormais est calculée sur la base du nombre d’étrangers expulsés ou renvoyés à la frontière et non pas par son programme économique et social.
Dans la valise diplomatique du ministre français de l’Intérieur la liste, tenue secrète, de tunisiens parias que la France ne veut plus voir à jamais fouler son sol. Certaines sources disent une soixantaine sur une liste de 370 noms pour tout le Maghreb, une vingtaine tout de go quarante un peu plus tard. D’autres listes suivront à coup sûr. D’autres initiatives suivront, d’autres pays emboiteront le pas.
Sur quelle base ces noms sont choisis ? Sont-ils tirés au sort ? Ou bien seront sélectionnés les plus dociles, les psychopathes, les insoumis, les irascibles, les plus violents, les porteurs de tic-tac miné ? Ces candidats au retour forcé au bercail rentreront grossir le nombre des mécontents. La France les a lâchés, la Tunisie les a trahis. Relâchés dans la nature ils rejoindront très vite les trafiquants de tout bord ou deviendront les bras armés des caïds de la drogue et de produits prohibés. Les égorgeurs, les spécialistes de la décapitation, et ceux versés dans le maniement des armes viendront gonfler les rangs des retranchés, les nouveaux fellaghas, dans les collines de l’Atlas saharien.
Retour de flammes
La Tunisie a longtemps fermé les yeux sur les agissements de gens mafieux actifs dans le trafic d’êtres humains pendant de longues années croyant qu’à chaque départ vers l’Europe elle se débarrasse d’un fardeau. Une jeunesse oisive sans qualification qui voit dans l’immigration clandestine la seule et unique planche de salut pour mettre fin aux années de galère. Les départs de nuits sans lune et calmes plats servent également les desseins obscurs de la Tunisie post-révolution. La jeunesse désabusée était derrière le mouvement social qui a conduit au départ du président Ben Ali. Quand on n’a pas la conscience tranquille on fait semblant de ne rien voir.
La Tunisie doit maintenant ouvrir l’œil et le bon, elle qui portait des œillères. Le ressac de ces vagues déferlantes peut être plus meurtrier. Si l’accord de principe de renvoi de tunisiens agitateurs au bercail est conclu on ne serait pas étonné de voir quelqu’un refoulé au bled pour avoir grillé un feu rouge dans l’hexagone.
L’épée de Damoclès plane désormais sur la tête des nord-africains, son ombre lugubre enveloppe les rues de France. Le couperet qui a transgressé les règles de bienséance, souillé la liberté de la presse, endeuillé la libre pratique du culte, et ensanglanté les rues de plusieurs villes d’Europe rode désormais dans les rues de Tunisie. Gare aux tailleurs, aux égorgeurs. Les Tontons flingueurs sont parmi nous. Ils ont la gâchette facile et sont prêts à exécuter toute sentence quitte contre leurs concitoyens ou leur propre sang.
Mohsen Redissi
(1) L'expression tirée de l'interprétation d'un rêve du prophète Daniel dans la Bible annonçant l'effondrement du royaume de Babylone à Nabuchodonosor II. Le royaume de Ben Ali s’est effondré lui aussi comme le royaume de Babylone.
(2) Allusion faite à la formule « La Fayette, nous voilà! » restée dans les annales depuis. Jawhar al-Siqilli, sicilien d’origine esclave, né en 911 de notre ère. Général fatimide, fondateur de la ville d’al-Qahira (Le Caire) et la grande mosquée al-Azhar.
(3) Sîbawayh, grammairien de langue arabe et d’origine perse, considéré comme la référence en matière de sciences grammaticales.
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Ne condamnez pas l'ancien régime et ne mettez pas tous les malheurs sur le dos de Ben Ali. Comparez seulement la période Ben Ali et ces dix dernières années que vous apmelez période de révolution. Qu'est ce que nous avons gagné: une soit disant liberté peut être que j'appellerai plutôt anarchie, mais surtout plus de pauvreté, plus de corruption, plus de clientélisme et un pays entre les mains des islamistes et des terroristes. Y'en a marre d'inculper l'ancien régime. Réveillez vous intellectuels. Il n'y a que vous qui profitez de cette liberté d'écrire. Le peuple va encore trimer pour des décennies.