Lu pour vous - 28.02.2018

Khaled Haddad : Comment fonctionnait le système tunisien de communication sous Bourguiba et Ben Ali

Khaled Haddad

Comment a fonctionné le dispositif présidentiel tunisien d’information (puis de communication) sous Bourguiba et Ben Ali, depuis l’indépendance en 1956 jusqu’à début 2011 ? Qui en détenait les commandes ? Comment s’organisait au quotidien le pilotage de la presse et de quelle manière ? Khaled Haddad, longtemps journaliste à Ech-Chourouk, nous en livre des indicateurs utiles à la faveur d’une thèse de doctorat soutenue à l’IPSI sous la direction du Pr Moncef Ouannes. De ses recherches, il tire deux ouvrages : le premier, intitulé « L’information tunisienne aux yeux de ses contemporains 1956 - 2011 », et le second, sous le titre de « la politique informationnelle en Tunisie : les centres de pouvoir : lutte de succession et chute du régime ». Publiés concomitamment, ces deux ouvrages apportent une série d’éclairages qui restent cependant à compléter.

Un blanc qui reste à couvrir

Dans « L’information tunisienne aux yeux de ses contemporains 1956 - 2011 », Khaled Haddad rapporte une trentaine d’entretiens effectués avec des acteurs significatifs qui ont eu à diriger des départements ministériels de l’Information, l’ATCE, et des médias officiels (4 sous Bourguiba et 8 sous Ben Ali), des journaux privés proches du pouvoir et des organes de partis de l’opposition (6), des journalistes (14) et des enseignants chercheurs (6). Ce large spectre, de Mustapha Filali, Mohamed Sayah, Taher Belkhoja et Mustapha Masmoudi, à Slaheddine Maaouia, Oussama Romdhani, Mohamed Jegham et Samir Laabidi, puis d’Abdelhamid Ben Mustapha, Abdellatif Fourati, et Ahmed Néjib Chebbi, jusqu’à Kamel Ben Younes, Lotfi Zitoun, Mhammed Ben Youssef, Taieb Zahar, Amor Touil et Hédi Mechri, notamment, constitue un corpus riche en témoignages. L’absence d’un entretien avec Abdelwaheb Abdallah laisse un blanc à couvrir. Son témoignage reste crucial.

Sous Bourguiba, comme sous Ben Ali, l’information était érigée en levier du pouvoir et activée chacun selon son style. Bourguiba, très proches des journalistes, aimaient à les séduire et prenait un malin plaisir à les recevoir et débattre avec eux. Ben Ali, l’esprit très sécuritaire, en prenait grande distance, voulait tout garder sous contrôle, tout formater, faisant des deniers publics qu’ils proviennent des fonds spéciaux ou au titre de la publicité publique, le bâton (de la privation) et la carotte (de la corruption). Un regret, cependant, rien n’a filtré sur les barèmes, les montants, et les modes d’octroi ou de suspension de cette manne.

Fausse gloire

Les illustrations des deux démarches sont largement étayées par les différents acteurs interrogés. Les interviews ont été effectuées à partir de 2005 et certains ont été mis à jour après janvier 2011, permettant aux langues de se délier. Ceux qui ont servi sous Ben Ali, essayent cependant de se disculper de toute responsabilité, et mettre en avant en fausse gloire des actes de résistance sans réelle valeur, se défaussant sur Carthage et le Département Communication de la Présidence de la République. Cela va de directeurs généraux à ministres.

Deux témoignages sont à classer à part, celui de Mehdi Gharbi qui, basé à Stockholm, d’où il dirigeait le site Tunisia News, plateforme militante ouverte à différentes composantes de l’opposition, et celui de Lotfi Zitoun qui a géré depuis Londres, pendant près de 20 ans, le bureau de communication du mouvement Ennahdha.

Samir Laabidi raconte les derniers jours du régime déchu

Quant aux autres, trois seulement ont eu le courage et la sincérité d’expliquer sans dérobade, ni camouflage, le mode de fonctionnement du système communication sous Ben Ali. Mohamed Jegham, nommé ministre-directeur du cabinet présidentiel découvre une machine bien huilée qui fonctionne à plein régime avec des pratiques difficiles à accepter. Oussama Romdhani témoigne de la mission de base de l’ATCE et de sa mise en œuvre. Samir Laabidi, nommé ministre de la Communication en décembre 2010, raconte dans le détail, les derniers jours du régime Ben Ali et la gestion de la communication en rétropédalage. Trois entretiens de haute facture qui auraient gagné à être approfondis davantage.

Difficile pour un journaliste de se muer en chercheur académicien. Khaled Haddad s’y est essayé avec courage, se fondant sur des outils méthodologiques probants et fort de l’encadrement de son directeur de thèse, le Pr Moncef Ouannès. Maintenant qu’il y a pris pied, il ne doit pas s’arrêter là et poursuivre ses recherches. 
 

L’information tunisienne aux yeux de ses contemporains 1956 - 2011
de Khaled Haddad
Imp. Mip, janvier 2018, 266 p. 20 DT

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