News - 08.12.2016

Maya Ksouri: La chroniqueuse insoumise

Maya Ksouri: La chroniqueuse insoumise

Dire qu’elle ne fait pas l’unanimité au sein de l’opinion est un euphémisme. Femme clivante, Maya Ksouri ne fait pas dans la nuance. Son tempérament entier lui a attiré autant d’engouement que de répulsion. Si ses détracteurs lui reprochent son «anti-islamisme primaire», ses admirateurs apprécient sa sincérité et son anticonformisme. Maya Ksouri s’est fait connaître au lendemain de la révolution lorsqu’elle commença à officier en tant que chroniqueuse dans l’émission «Klem Enness», sur El-Hiwar Ettounsi. Son franc-parler et la goguenardise dont elle a fait preuve pendant les trois saisons de cette expérience télévisuelle ont fait d’elle l’une des personnalités les plus controversées du paysage télévisuel tunisien.

Une année après avoir quitté El-Hiwar Ettounsi, Maya Ksouri est adoptée de nouveau par la chaîne pour participer à l’émission «El Hak Maak». la chroniqueuse a endossé depuis la rentrée un rôle plus «humaniste» dans une cette émission qui consiste à faire la lumière sur les pratiques kafkaïennes de l’administration tunisienne. Pourtant, rien de son parcours universitaire et professionnel ne la prédisposait à rejoindre un jour la télévision. De l’aveu même de la jeune femme, rejoindre le cénacle des chroniqueurs politiques ne lui paraissait pas correspondre à ses compétences: «J’ai longtemps refusé les sollicitations des médias, pensant que je n’avais pas les qualifications requises», nous confie-t-elle. Aujourd’hui, elle est devenue l’une des femmes les plus célèbres du PAT.

Avocate engagée

Après un DEA en droit public et financier décroché à la faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, Maya devient avocate spécialisée dans le droit des assurances. Si elle regrette de n’être pas partie poursuivre des études de littérature en France (bachelière brillante arrivée dans le top 3 de la section Lettres, elle avait obtenu une bourse d’études à l’étranger), elle considère comme une chance d’appartenir à la corporation des avocats tunisiens, en plus du désir de justice, une forte propension au débat politique et un intérêt particulier pour la chose publique. «Politisée dès l’adolescence», au cours de laquelle elle fait l’expérience des premières lectures grisantes de tracts au vitriol et d’articles engagés, la jeune femme acquiert une sensibilité de gauche progressiste. Janvier 2011, le pays connaît les premières échauffourées sérieuses avec les forces de l’ordre. Multipliant les bavures, y compris à l’égard des femmes, celles-ci molesteront sans le moindre scrupule la jeune femme, sortie manifester le soir du 12 janvier 2011. Elle y laissera deux dents.

Entrée fracassante à la télévision

L’essentiel du parcours qui l’attend dans les médias, elle le doit à des rencontres fortuites mais déterminantes. «Je partageais mon bureau avec Abdelaziz Mzoughi, dit-elle en soulignant que la réussite dans les médias relève davantage d’une question de réseau que d’une affaire de talent. Mzoughi m’a présentée à Amor S’habou qui venait de rentrer de France pour ressusciter son journal arabophone El-Maghreb.» Elle y publie des articles à succès, sortes de tirades anti-islamistes qui ont suscité un vif enthousiasme parmi les progressistes. La télé et la radio, toutes deux désireuses d’associer les femmes aux débats publics post-révolution, commencent alors à réclamer sa présence. Elle finit, sous les encouragements de son fils Youssef, à accepter, en 2012, une proposition d’Attounissia consistant à «chroniquer» pour l’émission «Klem Ennes».

Du mordant

L’avocate suscite une forte antipathie parmi nombre de spectateurs, qui lui reprochent un manque d’objectivité dogmatique, voire une ignorance criante de certains sujets. La chroniqueuse mobilise pourtant à chaque fois une argumentation documentée, raison pour laquelle «[je n’ai] jamais été poursuivie en justice», croit-elle. Les parties de ping-pong verbales, frénétiques, laissent apparaître un tempérament énergique, parfois irascible. Tant pis pour les esprits chagrins, la jeune femme entend rendre ses lettres de noblesse au métier de chroniqueur, alors méconnu des journalistes tunisiens, «trop complaisants avec les médiocres». Son style clivant ne l’empêche toutefois pas de se constituer un véritable fan club, qui admire en elle son statut de femme publique incarnant la franchise et l’insoumission.

«Mais au bout de trois saisons, l’émission a perdu de sa fraîcheur, explique-t-elle. Le paysage culturel tunisien n’est pas suffisamment riche pour permettre de varier les profils des invités et d’exercer longtemps ce métier.» Elle rédige alors une lettre de démission, qu’elle prend le soin d’intituler «L’amour dure trois ans», clin d’œil au roman éponyme de Frédéric Beigbeder. Pendant l’année qui suit sa démission, Maya Ksouri participe aux côtés de trois femmes journalistes à «Kelmet nsé», émission qui ambitionne de féminiser l’exercice du commentaire politique.

Maître-mot: féminisme engagé

Depuis la rentrée, Maya Ksouri est chroniqueuse de l’émission « El hak maak », version tunisienne de « Sans aucun doute » présentée par Hamza Belloumi. Le but est de dévoiler des affaires de corruption et de dénoncer l’inflexibilité ravageuse de la bureaucratie tunisienne. L’une des affaires qui l’a le plus tourmentée est celle d’une femme, victime d’une immense pauvreté, dont le fils autiste ne parvient pas à se faire une place au sein de l’école publique tunisienne. Pire, maltraité par ses camarades, l’enfant est également l’objet des réprimandes et des moqueries des… responsables de son école. Proviseurs, enseignants, élèves… tous le prennent à partie, dans l’indifférence générale des responsables politiques locaux.

Egalement chroniqueuse de l’émission quotidienne «Midi Med» (midi-14h sur Radio Med), où elle commente l’actualité tunisienne et internationale, Ksouri est à l’affût des questions qui touchent à la liberté de la femme de disposer de son corps. En témoigne le droit de réponse tranchant, relayé par la revue Marianne, qu’elle a opposé à Edwy Plenel le 5 septembre dernier. Le cofondateur de Mediapart considérait, dans une tribune, le burkini comme un vêtement ordinaire. Une prise de position que certains ont taxée d’« islamo-gauchiste». Et qui n’est résolument pas du goût de l’insoumise Maya Ksouri. D’ailleurs, si l’avocate ne sait pas encore si elle compte poursuivre sa carrière dans l’audiovisuel, elle considère comme une mission vitale le combat à mener contre l’islamisme.

Nejiba Belkadi

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