News - 07.12.2016

Samuel Schmid l'ex-président suisse revient sur la censure de son discours par Ben Ali

Samuel Schmid l'ex-président suisse revient sur la censure de son discours par Ben Ali

Acteur principal du Sommet mondial de la société de l’information (SMSI II) tenu, à Tunis,  en 2005, en présence de représentants de 175 pays, l’ex-président du Conseil fédéral suisse, Samuel Schmid dont le discours a été censuré, à l'époque, par les services de Ben Ali, est revenu la semaine dernière à Tunis à la tête de la délégation suisse à la conférence internationale sur l'investissement  "Tunisia 2020".

Dans une interview accordée à Leaders, Samuel Schmid, qui est en même temps,  président du Goupe d’amitié Suisse-Tunisie, revient, douze ans après, sur l'incident qui avait provoqué une grave crise diplomatique entre Berne et Tunis et  y apporte de précieux éclairages.

Dans cet entretien, M. Schmid revient, également, sur les acquis de la transition démocratique en Tunisie et sur ce qui reste à faire. Il y évoque également le partenariat tuniso-suisse et plaide pour une sédentarisation des jeunes en Tunisie et pour leur dotation d'une formation adéquate.

En votre qualité de président du groupe d’amitié Suisse-Tunisie, quelle est votre lecture des relations actuelles tuniso-suisses?

Je suis fier et heureux que la Tunisie reste toujours un pays important et un pays ami de la Suisse qu’elle tient à soutenir afin de consolider le partenariat qui nous lie. Cette année, nous avons d’ailleurs fortement contribué de chaque côté au renforcement des relations bilatérales : c’est d’abord le président tunisien qui est venu à Berne, puis notre conseiller fédéral aux affaires étrangères s’est rendu à Tunis il y a quelques semaines. Je sais aussi que les spécialistes dans les différents départements ministériels ici et là-bas se penchent sur les dossiers de coopération bilatérale. Le parlement suisse discute d’ailleurs actuellement du renouvellement du programme de coopération pour la Tunisie. Nous planifions d’investir 250 millions de dinars durant la période 2017-2020.

Vous savez que je suis en même temps président du groupe d’amitié Suisse-Tunisie, une initiative privée sous forme d’association. Avec ce groupe nous essayons de faire quelque chose dans le domaine de la micro-économie en œuvrant à l’amélioration du niveau de formation professionnelle des jeunes tunisiens, si possible avec des entreprises suisses privées qui sont déjà actives en Tunisie.. Notre objectif, tout comme l’objectif du programme de la coopération suisse, est de contribuer à la stabilisation du pays car le chômage est le grand mal qui ronge la jeunesse. Les jeunes n’ont plus d’espoir et quand on perd espoir qu’est-ce qu’on fait ? Généralement les gens partent à la recherche d’un gagne-pain sous d’autres cieux et je les comprends. Sauf que ce genre d’alternatives offre peut-être le bonheur aux uns, mais c’est une perte pour le pays qui a besoin de toutes ses énergies. Donc, il faut faire renaître l’espoir chez ces jeunes ici-même. C’est dans ce cadre que la Suisse veut apporter sa  contribution afin d’améliorer les chances d’embauche des jeunes.

A la veille du sixième anniversaire de la Révolution tunisienne comment l’expérience de transition est-elle perçue en Suisse ?

Je crois que du moins pour le moment, le pays a respecté les étapes de la transition : il y a eu des élections législatives libres et transparentes. Je le dis vraiment avec respect. Vous avez un parlement bien élu. Vous avez organisé des élections présidentielles irréprochables. Vous avez eu la sagesse de trouver une majorité au parlement capable de former un gouvernement issu des élections. Ce n’est pas rien. Evidemment, beaucoup reste à faire, et il est important que les réformes continuent ; c’est le propre de tout pays en transition. Aujourd’hui, la Tunisie a besoin surtout de stabilité et de paix sociale. Elle a besoin aussi que ces jeunes intelligents et actifs restent ici pour construire cette démocratie tunisienne. Vous êtes sur le bon chemin mais pas en fin de parcours. Il y a encore du travail à faire et ce sera dur.

Comment la Tunisie peut redevenir un site attractif des gros investissements directs étrangers y compris les groupes suisses, selon vous?

Je crois que la démarche est toujours la même pour tous les investisseurs : ils procèdent d’abord à l’analyse du marché afin d’évaluer le risque et la rentabilité. Dans une deuxième étape ils analysent la situation politique pour savoir si la stabilité est assurée ou pas, et si l’avenir est visible ou opaque. Apres cela, on cherche généralement des compétences, des gens bien formés, fiables et prêts à travailler. C’est pour cette raison que la formation professionnelle est cruciale. Il y a certainement d’autres facteurs incitatifs, mais ce sont là les principaux à mon avis.

vous avez coprésidé le sommet mondial de la société d’information (SMSI) à Tunis avec l’ex-président Ben Ali en octobre 2005 ou votre discours à la cérémonie d’ouverture a été censuré…

Schmid (m’interrompant) : Non, je n’ai pas coprésidé le sommet.

Vous avez prononcé un discours à l’ouverture et incité les autorités tunisiennes de l’époque à respecter la liberté d’expression, pouvez-vous nous rappeler ce qui s’est passé au juste ce jour-la?

C’est vrai, j’ai fait un discours. En fait, comme la Suisse a accueilli le sommet précédent (en 2003) à Genève, nous étions invités à procéder à une passation à l’ouverture du sommet suivant à Tunis. La tradition en veut ainsi, mais c’était finalement risqué pour mon collègue le Président tunisien…

Quels souvenirs en gardez-vous aujourd’hui?

(Après un moment de silence): Plusieurs. C’était très exceptionnel. Le premier orateur à l’ouverture était Kofi Annan. La deuxième personne à prendre la parole c’était Ben Ali qui était poli et correct. Il a dit tout ce qui devait être dit dans une cérémonie pareille. Il a même remercié la Suisse pour avoir accueilli le précédent sommet. Quand il a regagné son siège, je l’ai salué et même félicité parce qu’il était correct. Après, c’était mon tour de parler et j’ai dit ce que vous savez (que la liberté d’expression ne doit pas se limiter à l’enceinte de ce sommet mais aussi à l’extérieur NDLR) et en revenant à mon siège, le Président Ben Ali m’a félicité, probablement parce qu’il était déconnecté. Il était clair qu’il n’a pas écouté ce que j’avais dit car la transmission en arabe s’est arrêtée. En quelques sortes, il a été victime lui-même de cette censure. De mon côté, je ne me suis pas rendu compte de la censure. C’était vous, à la conférence de presse qui a suivi l’ouverture, qui m’a posé la question sur ma réaction par rapport à la censure de mon discours. D’ailleurs dans le programme officiel il s’agissait juste d’un petit point de presse après l’ouverture, mais je fus étonné par le nombre de journalistes présents. D’habitude, nous les suisses n’attirons pas les journalistes, or la salle était archicomble ce jour-là. Après la conférence de presse, j’ai ensuite effectué une visite culturelle dans une charmante et accueillante famille traditionnelle tunisienne, puis je suis allé prendre mon avion pour rentrer en Suisse, sans encombre.

Le jour suivant un collègue est arrivé à Berne venant de Tunis ou il présidait la délégation suisse…

C’était M. Leuenberger

Exactement. Il m’a expliqué qu’en arrivant il a senti que la Suisse n’est plus appréciée à Tunis. Mais il n’en a pas souffert. Il y a certes eu des conséquences en termes de relations bilatérales un moment, mais finalement cela n’a pas été trop grave pour la Suisse.

En fait, à la veille de l’ouverture du sommet, j’avais retravaillé le discours avec l’Ambassadeur Suisse à Tunis ;  il m’avait raconté que toutes les connexions internet dans le pays, y compris la sienne, étaient sous écoute permanente : j’ai donc considéré qu’il était important de tenir un discours ferme sur la liberté d’expression. L’ambassadeur était d’accord, je lui ai dit «Oui, mais moi je vais partir et vous vous restez ici! ».

La communauté maghrébine en Suisse est importante aussi bien par le nombre que par les compétences qu’elle recèle, comment peut-elle constituer un pont dans un partenariat bilatéral et multilatéral ?

j’aimerais dire deux choses à ce propos : d’abord c’est ici qu’on a besoin de ces gens. J’étais invité par la communauté genevoise à l’occasion de l’anniversaire de la Révolution (du 14 janvier) il y a  deux ans. D’ailleurs je l’ai fêté une fois à Tunis et une autre fois à Genève. J’ai dit à tous ces hommes et toutes ces femmes présentes « Je me réjouis de cette communauté mais soyez conscients qu’on a besoin de vous dans votre pays ». Si vous me demandez comment peut-on assurer l’intégration de ces gens-là, je vous répondrais : je ne suis bien sûr pas contre l’intégration, mais qu’est-ce qui est le plus bénéfique pour la Tunisie ? Je comprends qu’une partie va rester en Suisse, mais j’espère aussi qu’une grande partie, notamment les jeunes, rentre au pays, car il faut construire la Tunisie. Et s’ils ont acquis de l’expérience en Suisse il faut qu’ils en profitent ici-même. Mon cœur est partagé voyez-vous. A chaque fois où je prends un taxi je pose la question tout de suite au chauffeur « êtes-vous tunisien ? » et la réponse est la plus part du temps positive. Ils me reconnaissent et sont tous gentils et sympathiques. Mais je ne manque pas de leur poser une deuxième question : « quand est-ce que vous allez rentrer au pays ? ». Je sais que sans eux je ne sais pas qu’est-ce que je ferais, mais la Tunisie a aussi besoin d’eux.

Un message au tunisiens au terme de cette visite?

Respect et félicitations pour tout ce que vous avez fait. ca va durer beaucoup plus longuement que vous ne le pensez, mais à la fin vous allez gagner la liberté.

Propos recueillis par Rachid Khechana

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