News - 13.08.2016

L’ambassadeur Mongi Habib: Le jour où la destinée du monde arabe bascula

L’ambassadeur Mongi Habib: Le jour où la destinée du monde arabe bascula

Le 2 août 1990, le monde, abasourdi, se réveilla sur la nouvelle de l’occupation, en quelques heures, du Koweït par les troupes irakiennes. Un pays membre de l’ONU était destiné à être rayé de la carte et proclamé province relevant de Bagdad.

Pourtant, ce tsunami, à l’origine du remodelage en cours de la carte géopolitique de la région, était quasiment annoncé.

Les vents annonciateurs de la tempête

Au sortir d’une guerre effroyable (1980-1988), prolongée par le jeu des grandes puissances (Irangate), le président Saddam Hussein se présentait en vainqueur cherchant à se positionner sur la scène régionale au lendemain de la chute du mur de Berlin.

  • Avril 1990, Amman

A l’occasion de la tenue du sommet du Conseil de coopération arabe, regroupant, outre la Jordanie, l’Irak, l’Égypte et le Yémen, je fus convié à une réunion à laquelle prenaient part, entre autres, les chefs de mission arabes accrédités à Amman.

Prenant la parole, le président Saddam Hussein soulignait que les Etats-Unis allaient imposer une pax americana  dans un monde unipolaire appelé à  se prolonger, selon lui, au moins pour une dizaine d’années. Il ajouta, sur un ton menaçant, qu’une guerre allait se produire dans la région avec la complicité de «déracinés» (مقطوعي الجذور)

Le dîner offert, le soir même, au palais royal par le souverain hachémite en l’honneur de ses pairs du Conseil de coopération arabe se déroula dans une atmosphère lourde et lugubre annonciatrice de l’explosion dudit conseil éphémère et tiraillé par des querelles de leadership.

  • Mai 1990, Bagdad

Membre de la délégation tunisienne à la réunion ministérielle en préparation du sommet arabe de Bagdad, je fus frappé par la suffisance, voire l’arrogance, des délégués irakiens et leur attaque frontale contre les «suppôts de l’impérialisme».

Je suivis, peu après, de Amman le discours du président Saddam Hussein considérant la chute des cours pétroliers, sur instigation, selon lui, de Washington, comme un casus belli en empruntant l’adage (قطع الارزاق من قطع الأعناق)

Le message diplomatique, relatant l’audience accordée par le président irakien à l’ambassadrice américaine Glaspie à Bagdad, une semaine avant l’invasion du Koweït, fut publié beaucoup plus tard par Wikileader. Selon ce document, Glaspie aurait assuré son interlocuteur que les Etats-Unis n’avaient pas d’opinion concernant le différend frontalier  et économique entre Koweït et Bagdad. Elle aurait même ajouté que Washington «n’a pas d’engagements spéciaux en matière de défense et de sécurité» vis-à-vis du Koweït.

Des Tunisiens dans la tempête

  • 2 août 1990, Tunis

Ayant appris, alors que j’étais en congé à Tunis, la nouvelle de l’invasion du Koweït, je rejoignis précipitamment Amman. La Jordanie était prise en sandwich entre l’Irak, l’Arabie Saoudite et Israël. Il fallait, toutes affaires cessantes, se préparer à l’évacuation de nos ressortissants installés à Koweït que je connaissais en partie à l’occasion de ma première affectation diplomatique dans ce pays. Hagards, déboussolés, pris au dépourvu et la plupart sans ressources, certains de ces déplacés, après un éprouvant voyage, au risque de leur vie, confiaient leurs meubles et leurs véhicules à l’ambassade (dont le produit de vente fut par la suite versé au Trésor).

Regroupés, dans un premier temps, dans les locaux de notre chancellerie à Bagdad, il fallait d’abord coordonner leur acheminement au poste frontalier avec la Jordanie.

Emmenés par autocar à Amman, ils étaient, ensuite, logés dans un hôtel géré par un directeur tunisien avec lequel fut conclue, à l’issue d’une consultation restreinte, une convention à cet effet.

Nos concitoyens étaient par la suite évacués par voie aérienne, avec transit à Damas, ou à partir d’Amman par vols spéciaux de Tunisair ainsi que par voie terrestre par des autocars via l’Egypte et la Libye.  Par solidarité, quelques ressortissants maghrébins avaient même bénéficié de l’évacuation aérienne par les soins de l’ambassade.

Force est de reconnaître que des moyens logistiques et financiers importants avaient été mobilisés pour l’occasion pour assurer le rapatriement  des membres de notre colonie sains et saufs et dans la dignité.

Il fallait en plus assurer, rassurer, évacuer le stress et gérer au plus près la situation de crise.

Ayant été informé par un collaborateur de la présence parmi les rapatriés de «barbus», je rétorquais que le premier devoir de la représentation d’un Etat, digne de ce nom, était d’assurer l’assistance et la protection de ses ressortissants.

Dans le même esprit, ayant apparemment mangé du lion, je n’avais pas donné suite à la demande de la «centrale» de faire signer des reconnaissances de dette par les intéressés couvrant les frais de leur rapatriement, arguant du fait «qu’à situation exceptionnelle, traitement exceptionnel» et que les services ncompétents pourraient aisément recouvrer les frais en question s’ils le jugeaient nécessaire.

Les retombées de la «Tempête du désert»

  • Janvier 1991, Amman

Je fus réveillé à l’aube par l’appel téléphonique du ministre Habib Ben Yahia qui m’informa que la guerre venait de commencer, par un déluge de feu sur Bagdad. Il me demanda de bien suivre la situation étant bien placé «au balcon» de la région. Au balcon?

La presse occidentale raillait la précision des missiles promis par Saddam Hussein, en représailles, à l’encontre d’Israël. Munis de masques de fortune, nous étions partagés entre la descente à la cave, en cas de bombardement, ou la montée à l’étage aux fenêtres, calfeutrées, où les impacts des particules d’armes chimiques seraient atténués.

Nous nous contentions de suivre la TV israélienne qui annonçait le lancement des missiles en question. Des boules de feu traversaient Amman à leur destination promise.

 

A l’issue de la guerre, la Tunisie a mis beaucoup de temps pour renouer avec le Koweït jusqu’alors redevable de la reconnaissance par feu Bourguiba du nouvel Etat contesté par l’Irak. Un homme d’exception, parmi d’autres, y a contribué: Abdellatif Hemad, ancien ministre koweïtien des Finances et président actuel du Fonds arabe de développement économique et social. C’est  grâce à son intervention que fut organisée, plus tard, à Tunis une réunion des dirigeants de fonds arabes pour reprendre l’examen des demandes tunisiennes de financement de nos projets de développement.

Nos partenaires koweïtiens se sont néanmoins retirés de plusieurs projets touristiques tunisiens et surtout du projet tuniso-sino-koweïtien.

Au niveau régional, le premier sommet qui avait suivi la création en 1980 du Conseil de coopération du Golfe avait réitéré son refus de toute présence étrangère militaire dans la région sous forme de bases ou de flottes maritimes.

Depuis l’internationalisation du conflit dans la région, les pays concernés ont étés contraints d’autoriser, voire demander, l’installation de bases militaires occidentales, prenant acte de l’échec de mise en œuvre du Traité de défense commune et de coopération économique entre les États de la Ligue arabe.

 

Bien avant l’attaque du 11 Septembre 2001, des think tanks américains ont appelé et obtenu, à la suite de la 2e guerre du Golfe, la diversification de l’approvisionnement pétrolier puis le remodelage de la carte de la région.

Des mouvements jihadistes ont proliféré, notamment à la suite de la décomposition de l’Irak. Le printemps maussade arabe a fait le reste conformément à la théorie du chaos créateur.

 

Complot? Nous y avons plus ou moins, directement ou indirectement, contribué par nos silences coupables, nos démissions et nos compromissions. «Fin de l’histoire» pour les Arabes? Le «Printemps tunisien» demeure un espoir ténu mais un espoir quand même. C’est notre défi, notre opportunité et notre obligation que de transcender nos querelles politiciennes en réhabilitant travail et solidarité. Solidarité qui a atténué les épreuves endurées par nos ressortissants au Koweït.

Celle-là même entraperçue, juste pour une semaine, au lendemain d’un certain 14 Janvier, un hommage à la mémoire d’un soldat de la République, alors attaché militaire à Amman, qui a contribué à cet effort collectif, feu général Skik. Allah yarhmou.

Mongi Habib
Ancien ambassadeur de Tunisie à Amman

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