News - 21.06.2016

Le triangle du savoir : vers la pédagogie inversée?

Le triangle du savoir : vers la pédagogie inversée?

1- Contexte

Un nombre de plus en plus important de chercheurs, dont des spécialistes de la cognition et des formateurs d'enseignants, estiment que le processus d'enseignement et d’apprentissage est un processus en évolution continue. On admet qu'il faut diminuer les cours magistraux, pour laisser place à l'apprentissage tout au long de la vie ainsi que  l'acquisition d’habiletés nouvelles de pensées. Les dirigeants d'entreprisessont désormais parmi les partisans de ces nouvelles approches de procéder en matière de pédagogie. Les entreprises et les industries se sont déjà rendu compte que la nouvelle culture du travail qui se manifeste par la collaboration, l'innovation, la contribution, la maturité et la loyauté, exige que nous modifions notre perception de l'apprentissage et, par conséquent, la façon d’enseigner.

Par ailleurs, avec le développement rapide des TIC et selon beaucoup d’experts, les apprenants du XXIe siècle devront non seulement avoir accès à des documents audio et vidéo, à des textes et à des données, mais aussi pouvoir les combiner, les fabriquer et les transmettre. Tout va beaucoup plus vite s'agissant de la connaissance et du savoir, car il s’agit de concepts immatériels. La mondialisation concerne aussi l’éducation et les systèmes de pédagogie.A ce propos, nous ne pouvons que mettre en exergue les efforts consentis par l’université virtuelle de Tunisqui a acquis beaucoup de savoir et de savoir-faire dans le domaine de la pédagogie à l’aide des TIC.

Voilà brossé à vision globale, le contexte dans lequel nous nous situons. Ce contexte conduit l’enseignement et la pédagogie universitaire à repenser les méthodes et les pratiques pédagogiques pour une meilleure efficacité.Ainsi, l’on se pose, la question suivante; Dans l’état actuel de l’enseignement supérieur, notre université est-elle en mesure de préparer les étudiants à devenir des travailleurs du savoir si différents des travailleurs à mentalitétraditionnelles et conformistes ? Si oui, sont-ils en nombre adéquat ? Il s'agit d'un enjeu critique auquel devront s'intéresser sérieusement les acteurs du système éducatif en Tunisie.

2- Le triangle du savoir

On peut définir tout acte pédagogique comme l’espace entre trois sommets d’un triangle : l’enseignant, l’étudiant, le savoir. Derrière le savoir se cache le contenu, la matière, le programme à enseigner. L’enseignant c’est celui qui transmet ou fait apprendre le savoir. Quant à l’étudiant, il acquiert le savoir grâce à une situation pédagogique. Un savoir qui peut être aussi du savoir-être, du savoir-faire, et du savoir agir Les relations des sommets du triangle sont les liens nécessaires à cet acte pédagogique : la relation Elaboration didactique est le rapport qu’entretient l’enseignant avec le savoir et qui lui permet d’enseigner, la relation Pédagogique est le rapport qu’entretient l’enseignant avec l’étudiant et qui modélise le processus de la formation, enfin la relation Stratégie d’apprentissage est le rapport que l’étudiant va construire avec le savoir dans sa démarche pour Apprendre.

Le triangle du savoir illustré par la figure ci-dessus présente la situation d’apprentissage comme un ensemble d’interactions entre l’enseignant, le savoir et l’étudiant.Généralement, toute situation pédagogique privilégie la relation de deux éléments sur trois du triangle pédagogique. Prenons le cas de l’enseignement traditionnel, il privilégie le savoir ou programme et le corps professoral avec ses charges de travail à respecter, les étudiants ne sont pas vraiment entendus, ils ne font que suivre un scénario prédéfini.Donc, un bon équilibre entre ces interactions devrait mener à un apprentissage efficace. Bien que, historiquement, c’est le rapport entre l’enseignant et le savoir qui était privilégié, désormais en plaçant l’étudiant au centre de son apprentissage, la pédagogie des compétences modifie l’équilibre des interactions, le rôle de l’enseignant dans la relation pédagogique à créer, sera essentiellement un rôle d’accompagnement de l’étudiant dans la gestion de son apprentissage. L’étudiant est ainsi invité à élaborer, sur base de ses ressources propres, sa propre stratégie et son propre rapport au savoir.

A ce propos, il est d’usage de distinguer principalement quatrefamilles de méthodes de pédagogie:

1) La pédagogie traditionnelle ou apprentissage par transmission de connaissances, où le cours magistral qui laisse peu de place à l’interactivité avec l’apprenant

2)Apprentissage par imitation, où l’enseignant détermine un chemin pédagogique, il montre, fait faire ensuite et fait formuler l’étudiant pour évaluer le degré de compréhension

3) Méthode active (ou de découverte), oùL’enseignant crée un scénario pédagogique avec du matériel qui permet d’utiliser les essais, les erreurs et l’improvisation pour apprendre. Il mobilise l’expérience personnelle de l’étudiant pour apprécier la situation et résoudre le problème avec leurs moyens

4) Apprentissage passant par la recherche et l’expérience, où de nombreuses disciplines ou savoirs ne peuvent s’enseigner mais s’apprennent en faisant avec des personnes qui savent faire comme par exemple, la médecine ou l’art.

La pédagogie classique est une pédagogie qu’on peut qualifier de pédagogie par objectifs, elle est centrée enseignant pour proposer une organisation scientifique et rationnelle de l’éducation. Les nouvelles formes de pédagogie sont par contre des pédagogies dites par projets ou compétences, elles sont basées sur l’étudiant, pour générer des apprentissages à travers la réalisation de productions concrètes.

3- Vers la pédagogie inversée ?

La pédagogie par objectifs se manifestedans la pratique pédagogiqueà traversle concept de classe inversée, qui à son tour, peut être perçue comme la simple inversion d’activités typiques d’un enseignement traditionnel : au lieu d’écouter l’enseignant en classe et de réaliser tout seul ses devoirs chez soi, l’étudiant réalise des apprentissages de manière autonome à l’aide de matériel informatique chez lui. Par la suite, il tente en classe d'appliquer les connaissances lors des résolutions d’exercices donnés par l’enseignant. À cet instant l’attention n’est plus centrée sur l’enseignant mais sur les étudiants. Ainsi, ils pourront interagir entre eux ets’aider mutuellement. L’enseignant se focalisera un peu plus sur les étudiants en difficultés.Le développement et la mise en valeur de la classe inversée devrait reposer sur :

  • une maîtrise approfondie des principes d’apprentissage;
  • une connaissance des capacités des étudiants à apprendre de manière autonome;
  • la souplesse des conditions d’enseignement pédagogiques et techno-pédagogiques dans lesquelles elle est expérimentée;
  • la propre capacité d’enseignant à recourir à une pédagogie active;.

Des études ont montré que la classe inversée combine les caractéristiques de plusieurs approches pédagogiques : l’auto-apprentissage, la pédagogie active, la différenciation pédagogique, l’apprentissage coopératif (approche par résolution de problème). Néanmoins, il n’est pas certain que tous les étudiants soient prêts à s’engager dans une expérience de classe inversée!

Les premières expériences de pédagogie inversée, ont été menées à l’université de Harvard dans les années 1990par Eric Mazur, professeur de physique. Par la suite, elle s’est étendue à d’autres disciplines. Très pratiquée aux États-Unis, au Canada, en Allemagne où s’est répandue sous le nom de « Offener Unterricht. », elle se développe également en France au travers de quelques expérimentations. En mathématiques, par exemple, certaines études réalisées en lycée, ont révélé que, en 1 an, 41% des apprenants sont devenus « avancés et compétents » en maths contre 23% un an plus tôt. L’enseignant explique que les élèves dessinent « un schéma mental » des différentes notions de la leçon..
Bien évidemment, une condition primordiale de la mise en place d’une classe inversée est de vouloir repenser le rôle d’enseignant au sein de l’espace/temps universitaire en décidant d’adopter une pédagogie centrée sur l’étudiant. Ainsi, il serait judicieux de prendre certaines précautions:

  • il sera nécessaire d’apprendre aux étudiants à devenir plus autonomes
  • le temps de préparation est plus long pour l’enseignant
  • le contexte universitaire doit être prêt à tolérer une autre gestion de classe, plus décentralisée, plus autonome, plus souple, plus active, voire plus mouvementée
  • l’accessibilité à des moyens technologiques de base pour tous les étudiants doit être garantie
  • il est nécessaire d’évaluer dans quelle mesure et quand il est préférable de laisser ses étudiants aborder seuls de nouveaux contenus pour mieux les accompagner dans l’application des connaissances.

4- Epilogue

Une méthode pédagogique décrit le moyen pédagogique adopté par l’enseignant pour favoriser l’apprentissage et atteindre son objectif pédagogique. En règle générale, un enseignant valorise plus à un instant donné une technique qu’une autre. Bien entendu  la méthode unique imposée serait une erreur, car elle appartient au libre choix de l’enseignant suivants les circonstances. Historiquement, il y a eu des effets de mode ou la croyance à certains moments en une méthode-miracle qui permettrait l’apprentissage de tous. Favorisant la facilitation de l’apprentissage et la médiation du savoir, il est important de ne pas céder aux illusions pédagogiques et donc régulièrement de faire l’autocritique,et le point sur la méthode pédagogique qu’un enseignantmet en valeur à un instant précis. Les limites de la classe traditionnelle encouragent les enseignants et les étudiants à expérimenter un changement de rôle dans la classe inversée. Cependant, dans une étude expérimentale de 2015, des chercheurs américains et brésiliens relativisent l’impact de l’inversion du cours. D’autres recherches menées en 2014 révèlent que « les élèves de bon niveau en sciences dans le système de classe traditionnelle sont globalement moins performants en classe inversée alors que les élèves de niveau plus faible dans la classe traditionnelle sont plus performants dans le système de classe inversée ». Quoiqu’il en soit,en ce qui nous concerne en Tunisie, tout n’est pas de l’évidence qu’on pourrait croire, tous les acteurs n’y sont pas forcément prêts. L’autonomie cognitive des étudiants devient un enjeu crucial de formation dans une société du savoir, cependant cette autonomie cognitive doit, elle-même aussi, faire l’objet d’un apprentissage. La pédagogie inversée mériterait sans doute un analyse didactique bien plus détaillée que les quelques réflexions ponctuelles auxquelles j’ai fait allusion ici.

Mohamed Ali Mahjoub
Maître de conférences à l’Eniso
 

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