News - 20.05.2016

Mustapha Zaanouni: Le pacte social du 19 janvier 1977

Le pacte social du 19 janvier 1977

En 1977, le monde développé, frappé par le premier choc pétrolier à la fin de 1973, subissait une inflation parfois à deux chiffres. Dans leurs entreprises, des travailleurs acceptaient la diminution de leurs salaires pour éviter le licenciement de leurs camarades. La Tunisie a jugulé l’inflation en subventionnant les prix des produits de consommation essentiels par le biais de la caisse générale de compensation. Encouragé par une embellie de la croissance enregistrée durant la première moitié des années 70, le gouvernement Nouira, après une série de mesures sociales et pour réaliser une croissance forte et soutenue obtenait des partenaires sociaux, UGTT et UTICA, la conclusion d’un pacte social le 19 Janvier 1977. Ce fut un grand jour. L’application de cet accorde mémorable se poursuivit pendant plus de 30 ans jusqu’à la veille de la révolution.  Aujourd’hui dans une économie caractérisée par une croissance en berne, des mouvements sociaux se manifestent ce qui constitue un paradoxe.

Après cinq années écoulées depuis le déclanchement de notre révolution, nous pouvons nous réjouir aujourd’hui et a juste titre de constater que la transition démocratique est presque achevée. En effet, nous disposons, aujourd’hui, d’une constitution, d’un cadre juridique institutionnel propre à son bon fonctionnement, d’une assemblée et d’un président de la république élus au suffrage universel.

Mais la transition vers une croissance forte et soutenue n’a, vraiment, pas commencé. C’est le climat d’insécurité qui en est la cause principale. Il constitue, en effet, aujourd’hui le premier obstacle à la reprise des investissements. Des évènements d’une particulière gravité ont marqué la période postrévolutionnaire, si bien que le tunisien n’arrive pas à se départir d’un certain doute sur son avenir. Il a, en effet assisté à un nombre impressionnant de violences multiformes qui se sont déroulées sur une période relativement courte : manifestations, sit-in, grèves, blocages de voies de communication, tentatives d’attaque de quartiers d’habitation, agressions de milliers d’hommes et de femmes, exerçant des activités dans les médias, la politique, le syndicalisme, le barreau, l’enseignement et la culture, pillage de grands commerces, saccages de sièges des force de la sécurité, de partis et d’une vingtaine de mausolées, entraves à de nombreuses activités essentielles. Quant aux menaces de mort et mutilations physiques, il serait vain d’essayer de les dénombrer. Trois assassinats politiques ont été perpétrés, tandis que l’ambassade et l’école américaines étaient sérieusement attaquées.  Et pour faire bonne mesure, d’une base arrière du terrorisme islamique implantée en Lybie, étaient organisées deux attentats meurtriers visant des touristes au musée du Bardo et à Sousse et un troisième, la garde présidentielle dans ses quartiers à Tunis. Enfin, tout récemment un commando en provenance de Libye s’attaquait à nos forces de sécurité dans la ville frontalière de Ben Guerdane, une réédition du « du coup de Gafsa » concocté, en Janvier 1980, par Kedhafi. Et dans la vie de tous les jours, ponctuée par l’appel à la prière, les mosquées se transformaient en lieus de prêche incitant à la violence et au meurtre en Tunisie et ailleurs en Syrie et en Irak, tandis que le tapis rouge était déroulé à l’arrivée de prédicateurs orientaux venus pour « Re islamiser » les tunisiens.

Avant nous, une dizaine de pays du sud et du centre de l’Europe ont connu une transition politique et pour certains, également économique, sans avoir eu affaire au terrorisme et à l’intrusion de la religion dans les sphères politique et prive. Bien que ces deux fléaux leur aient été épargnés, leurs économies ont été frappées par une inflation vertigineuse et un déclin massif de leur croissance.  Or il n’en fut rien en Tunisie. Le taux d’inflation a été de l’ordre de 4 % et celui de la croissance du PIB atteignait 1.5% en moyenne par an durant toute la période postrévolutionnaire. Il se trouve que forte heureusement les agents économiques tunisiens ont continué à produire des biens et des services en ralentissant, toutefois, le rythme de leurs activités. Par ailleurs, les instituions de l’Etat ont continué à fonctionner en fournissant leurs services de façon relativement satisfaisante. Ce miracle est dû essentiellement au fait que la Tunisie est un petit pays de 11 millions d’habitants occupant un territoire aux frontières fixées depuis des siècles et dont la population est composée d’une unique ethnie pratiquant l’islam Sunnite et parlant une seule langue, l’arabe. Notre pays jouit donc d’une forte cohésion nationale, qui en fait réellement, une exception dans le monde arabe. Par ailleurs ces dirigeants dans le passé, somme aujourd’hui, privilégient la recherche du consensus à la confrontation.

Un regard jeté sur la crise la plus grave qu’ait connue la Tunisie dans le passé, pourrait être une source d’inspiration pour résoudre celle que nous vivons aujourd’hui. Il s’agit de la crise de 1969 qui a fait suite à sept années de mise en œuvre d’une politique de collectivisation de l’agriculture, de l’industrie et des services. Mais si ces effets sont comparables à ceux de notre crise actuelle (déficits énormes du budget et de la balance des paiements, endettement excessif), la sécurité n’a été en 1969 en aucune manière, altérée. Aussi la confiance dans les milieux d’affaires s’était rétablie très rapidement juste après la restitution des terres aux agriculteurs et des activités industrielles et commerciales aux anciens operateurs. Aussi, de 3.5 % en 1969, le taux de croissance du PIB grimpait à 5.9% en 1970 puis à 10.6% en 1971 pour culminer à 17.7% en 1972 et atteignait une moyenne de 6% par an durant les quatre années suivantes (1973,1974,1975,1976).

La situation économique apparaissait donc en 1970très favorable à la réalisation d’avancées sociales substantielles. Aussi, le gouvernement Nouira prenait-il sans tarder les mesures appropriées dans ce sens en augmentant les salaires dans les secteurs public et privé. Il engageait l’UGTT et l’UTICA à signer une convention collective cadre le 1er Mars 1973, suivies de 39 conventions sectorielles qui ont eu pour effet des augmentations substantielles des salaires et des améliorations sensibles des conditions de travail dans l’entreprise privée. Puis le gouvernement promulguait 70 statuts fixant la rémunération du personnel des entreprise publiques et prenait plusieurs mesures qui s’étalant de 1971 à 1975, augmentait les salaires de toutes les catégories de fonctionnaires. Toutes ces améliorations ont été calculées au vu de l’évolution des couts de la vie et du PIB  et ce, année après année.

Or la croissance de notre période poste révolutionnaire se présente différemment. Elle n’a été en moyenne par an que de 1.5% au lieu de 8% de 1970 à 1976. Compte tenu d’une croissance démographique de 1% par an, il est évident que l’augmentation de la richesse par habitant a été quasiment nulle. Malheureusement et contre toute logique les gouvernements successifs, au lieu de geler les salaires et de s’abstenir de tout recrutement dans l’administration, ont pris des mesures contraires qui ont plongé notre économie dans une grave crise. Ils se sont donc écartés du mode opératoire adopté en 1970. Si on peut comprendre le désarroi qui s’est emparé des esprits dans le tumulte révolutionnaire des premières années, le moment semble venu pour mettre en œuvre une politique différente. Paradoxalement assistons aujourd’hui à des mouvements sociaux dans une économie sans croissance notable. Mais par ailleurs et forte heureusement des voix s’élèvent pour un appel à une trêve sociale. Précisément le pacte conclu par les partenaires sociaux le 19 Janvier 1977 est encore en vigueur.  Il a réalisé des augmentations des salaires en fonction de l’évolution du cout de la vie et du PIB et organisé des rendez-vous périodiques des partenaires sociaux pour statuer sur les augmentations à promouvoir. Il est donc d’actualité. La signature du pacte avait été accompagnée par ailleurs, de mesures choc : des augmentations de 33 % du SMIG et du SMAG et de majorations des salaires du personnel des entreprise publiques et privées.

Pendant les six mois qui suivirent la conclusion du pacte, l’UGTT ne tarit pas d’éloges adressés au gouvernement pour son initiative et fit campagne pour inciter les travailleurs à augmenter leur production. Mais elle changea brusquement d’attitude durant les six derniers mois de l’année 1977. Elle accusa les services gouvernementaux de falsifier les chiffres de l’indice des prix à la consommation familiale et de la production et de les sous évaluer pour éviter des augmentations de salaires. Accusations sans fondement, car nos bailleurs de fonds très pointilleux dans l‘examen des données chiffrées que nous leur fournissons à l’occasion de nos demandes de prêts, n’auraient pas manqué de réagir. Il n’en fut rien et ils jugèrent fiables nos données, qui sont d’ailleurs régulièrement publiées dans les budgets économiques.

Plus grave l’UGTT, s’engageait sur le terrain politique, domaine réservé du gouvernement, et s’opposait à ce dernier sur le projet avorté, en Janvier 1974, de l’union tuniso-libyenne, la résistance Palestinienne et la forme de l’état tunisien. Ainsi la confrontation du 26 Janvier 1978 n’avait pas eu lieu pour des motifs socio-économiques. En toute état de cause, la grève générale déclenchée par l’UGTT qui fut suivie d’une émeute dans la capitale, n’avait pas arrêtée l’application du pacte social, et n‘a pas affecté la croissance du PIB des années suivantes (6.4% en 1978, 6.6% en 1979 e 7.4% en 1980).
Le gouvernement actuel se trouve face à des taches très difficiles à accomplir avec comme objectif le raccourcissement de la transition économique caractérisée par la stagnation de la croissance. Il aura notamment à:

1. Réduire dans l’Ouest tunisien le chômage par la mise en valeur des massifs montagneux et désenclaver par la transformation de toute les routes de grand parcours dans sa direction en voies express;
2. Mettre un terme à l’agitation dans le bassin minier du Sud par la conclusion de conventions liant salaire et production et y réaliser de grands travaux d’utilité publique;
3. Exécuter un programme de reconversion visant la formation des universitaires en chômage dans des activités autres que celles correspondant à leur diplôme;
4. Préparer la modernisation des 400 000Hectaresconsacrées aujourd’hui aux cultures irriguées intensives pour dégager, d’ici 15 ans, des excédents à l’exportation vers le marché de l’union européenne et ce dans le cadre de l’accord nouveau en cours de négociation;
5. Limiter la corruption dans l’administration en simplifiant au maximum ses procédures et formalités et dans la justice en utilisant des logiciels d’assistance à la formulation des jugements;
6. Réduire le commerce parallèle et la contrebande et prendre des mesures alternatives de compensation des pertes qui seront subies par les catégories sociales vulnérables.

Il s’agit bien de l’ouverture de nombreux grands chantiers dont les travaux ne peuvent se dérouler avec succès que dans un climat de paix social. Il est fort possible qu’il soit nécessaire de demander des sacrifices à l’ensemble de la population qui souffrira d’un blocage momentané de son niveau de vie. D’un autre côté le gouvernement se doit de réduire l’inflation a un niveau proche de zéro au profit classe moyenne et la catégorie vulnérable. Nous ne sommes pas arriérés au stade des pays qui dans leurs transitions ont fait subir à leur population une inflation annuelle de 10 à 20% et des réductions drastiques des salaires et des retraites de 30 à 40 %. La situation économique en Tunisie est bien maitrisée pour le moment mais un certain laxisme, dans les domaines des recrutements est des salaires, dans le secteur public, peut nous plonger dans un état susceptible de mettre en péril notre transition démocratique. Un consensus est donc, impérieusement, nécessaire entre le gouvernent l’UGTT et l’UTICA comparable à celui réalisé il y a plus de 30 ans lors de la conclusion du pacte social.

La Tunisie est encore sous la menace d’actes terroristes et sera confronté à des problèmes inhérents au retour de milliers de combattants tunisiens de l’état islamique engagées en Syrie, Irak et Libye. Notre pays a vraiment besoin de calme pour faire face aux nombreux défis qui menacent sa sécurité et son bien être. Si le consensus entre les partenaires sociaux aboutissait à la paix sociale, les agents économiques, aujourd’hui plus nombreux et plus qualifies que par le passe, ne mettront pas longtemps à redresser l’économie de leur pays comme il l’ont déjà fait lors des deux crises précédentes de 1969 et 1986.

Mustapha Zaanouni

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