Opinions - 29.02.2016

Taoufik Habaieb: Qu’avons-nous fait de notre indépendance?

Taoufik Habaieb: Qu’avons-nous fait de notre indépendance ?

En 60 ans d’indépendance, l’œuvre aura été fructueuse. Constitution, République, armée, statut de la femme, évacuation de Bizerte, décolonisation agricole, planning familial, éducation, santé et croissance économique ont jalonné un parcours qui a hissé la Tunisie à des positions élevées. Mais surtout un Etat moderne qui se construit. Bourguiba l’a façonné. Tout ou presque a été déployé. Sauf la démocratie ! Un ratage qui sera lourd à payer. Dès les premiers signes d’essoufflement du modèle économique et la montée des revendications sociales, le régime politique a rapidement flanché. La faille démocratique lui a été fatale.

Face au tsunami de janvier 2011, l’État a résisté, l’administration a tenu bon, les services publics ont continué à fonctionner. Le rebondissement a été rapide : nouvelle constitution, élections libres et transparentes, libertés et expression démocratique. La société civile, plus que les partis politiques, a pris le pouvoir. C’est la principale nouvelle donne qui s’impose. Une société civile qui entend ne plus subir l’État mais le façonner.

Depuis Carthage, la Tunisie s’est employée à asseoir son système politique sur les fondements d’un État qui, au gré des temps et des dynasties, a épousé diverses formes et enregistré des performances inégalées. Bien avant le protectorat français, il faut reconnaître à la dynastie husseinite des tentatives méritoires pour organiser le fonctionnement de l’État sur des bases, à l’époque, très modernes. Les Archives nationales nous renseignent sur l’organigramme du gouvernement, les attributions précises de chacun (et sa rémunération), les procédures et délais de traitement des requêtes, les programmes éducatifs à Sadiki et autres. Kheireddine Pacha y avait laissé son empreinte. A sa manière, l’Etat fonctionnait et était en avance sur les autres systèmes politiques dans le monde arabe, jusqu’à épuisement. La Tunisie nouvelle peut-elle aujourd’hui faire moins, régresser, laisser ses nouvelles institutions, à peine installées, subir un ralentissement inexplicable au moment, précisément, du décollage ?

Un an depuis son entrée en fonction, le gouvernement Essid, remanié, peine à lancer les réformes promises et à relancer le pays. L’Assemblée des représentants du peuple traîne le pas, malgré les tentatives désespérées de son président, Mohamed Ennaceur, de booster son action mais ne sachant plus par où commencer tant les attentes sont nombreuses. Pas moins de 70 projets de loi essentiels, comme ceux de l’investissement ou des institutions constitutionnelles, sans parler du code des collectivités locales et des élections municipales. Ce qui risque de retarder la dynamique tant espérée et de compromettre la tenue des élections municipales — scrutin crucial — avant la fin de l’année.

Quant aux partis politiques, en attendant leurs congrès, dont les dates sont sans cesse repoussées, ils se débattent dans leurs querelles intestines où dominent les ambitions personnelles. Nombreux sont ceux qui se résignent à subir le destin au lieu de le prendre en main.

On ne le répètera jamais assez, l’espoir repose sur la société civile. La Tunisie sera ce que les Tunisiens voudront qu’elle soit. Plus que jamais, l’imagination doit être portée au pouvoir parce qu’elle est le meilleur antidote à la sinistrose, quitte à agir à l’instinct, lorsque l’intelligence risque de se poser en obstacle ; en libérant les initiatives, en talonnant les politiques qui, sans prise aucune sur la réalité,  cherchent à  donner le change en voulant nous faire croire qu’ils sont aux commandes.

Un nouvel État indépendant est en gestation avancée. La société civile doit en être le moteur essentiel, faisant de la démocratie, de la transparence, des libertés et de la croissance son énergie de propulsion. Nombre de Tunisiens avaient cru que l’accouchement au forceps de la nouvelle constitution viendrait à bout de tant de souffrances et ouvrirait du jour au lendemain les portes de la délivrance. Alors que tout ne fait que commencer et que tout résidera dans l’application et l’interprétation.

Dans cette œuvre de longue haleine, ce sont les Tunisiens qui doivent prendre leur destin en main. Par la force de leurs propositions, par leur vigilance de tous les instants, par leur détermination à reprendre le travail et à créer de la richesse. N’attendons pas que les faux rois autoproclamés confisquent notre révolution. C’est à ce prix que l’indépendance se concrétisera et que l’Etat moderne et moderniste sortira des limbes.

L’Histoire ne nous pardonnera pas!

T.H.


 

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