Opinions - 09.02.2016

Le pacte social et fiscal pour l’emploi

Le pacte social et fiscal pour l’emploi

"Contre le chômage, tout a été essayé", affirmait le président de la République François Mitterrand en 1993, alors que le chômage dépassait pour la première fois les 10 % de la population active. En Tunisie, a-t-on tout essayé ? a-t-on vraiment tout essayé ? on- a- peut-être tout essayé, sauf ce qui marche ? En tout cas et n'en déplaise à plusieurs, non, tout n'a pas été essayé contre le chômage en Tunisie et le chômage n’est pas une fatalité.

La situation économique de la Tunisie caractérisée par une stagflation et un double déficit nécessite la mise en œuvre d’une politique de relance. Or, la contrainte budgétaire de l’économie et le risque d’insoutenabilité de la dette font en sorte que le choix de la relance par une politique de gestion de la demande publique est quasi-impossible faute d’espace fiscal adéquat. Il reste par conséquent le choix d’entreprendre une politique de relance basée sur l’offre qui permet de stimuler l’offre des biens et services des entreprises et par conséquent la création de l’emploi qui doit être une préoccupation majeure des autorités publiques.

Le pacte social et fiscal pour l’emploi (PSFE) est un dispositif de relance de l’économie en général et de l’emploi en particulier qui fait intervenir des mécanismes d’incitations fiscales conditionnées à des résultats en matière de création nette d’emploi. Il repose sur les mécanismes d’offre et non de demande dans le sens qu’il cherche à agir sur le coût du travail. Il s’agit d’un contrat social donnant-donnant entre l’Etat, les entreprises et le salarié. C’est un contrat incitatif car les entreprises ne sont pas des associations philanthropiques.  Il consiste à subordonner des réductions fiscales pour les entreprises moyennant des objectifs en matière d’emploi. L’ambition de ce dispositif est d’abaisser le coût du travail afin de permettre aux entreprises d’augmenter leurs embauches et de donner à l’économie un surplus de compétitivité en agissant sur le coût du travail.
Son mode de financement diffère et plusieurs options sont ouvertes allant de l’économie budgétaire à la TVA ou les taxes sur les hauts revenus. Des pays comme le Danemark ont choisi la TVA alors que d’autres comme la France ont choisi d’autres options fiscales comme le pacte de compétitivité.

L’idée paraît de prime-a-bord toute simple, mais sa mise en œuvre et ses répercussions sur l’économie et sur le chômage peuvent être relativement significatives.

I. Les mécanismes économiques du PSFE

L’objectif principal du PSFE est l’allègement du coût du travail. Le mécanisme escompté est que la baisse des charges sociales des entreprises incite ces dernières à embaucher davantage mais aussi à réaliser une dévaluation fiscale améliorant la compétitivité des entreprises. L’analyse sous-jacente est qu’une partie du chômage structurel est le résultat d’un coût excessif du travail.

L’ampleur de la réduction du coût du travail

Le mécanisme de réduction du coût du travail repose sur la baisse des cotisations sociales de l’employeur. Ce mécanisme diffère de celui traditionnel utilisé jusqu’ici et qui consiste par exemple à prendre en charge par l’Etat des  paiements des charges sociales de tout salarié nouvellement embauché pendant par exemple cinq année. Le mécanisme proposé est différent et repose sur l’application de la réduction des charges sociale sur toute la masse salariale de l’entreprise d’où l’importance du mécanisme.  

Concrètement, il consiste à proposer une réduction d’un certain points de cotisations patronales, x%, sur l’ensemble des salariés de l’entreprise, anciens et nouveaux, moyennant une augmentation  d’un pourcentage déterminée de l’emploi qui pourrait se décliner en un nombre absolu de nouveaux embauches(N nouveaux salariés) ou en termes de pourcentage de l’effectif total de l’entreprise ( y% de l’emploi total). Cette modalité dépendra de la taille de l’entreprise.
La nature de pacte nécessite que les termes du contrat soient discutés entre l’Etat et les partenaires sociaux et pourrait être établi d’une manière globale pour l’économie ou d’une manière sectorielle ou individuelle.  Le choix sera établi en fonction de la conjoncture économique, les capacités financières de prise en charge par l’Etat et la nature des activités.

L’effet emploi

Comme indiqué précédemment, le PSFE social conduit à un allégement significatif des charges payées par les entreprises et par conséquent à une réduction du coût du travail assimilable à une réduction du salaire réel. L’effet immédiat à court terme est l’amélioration de la marge des entreprises ce qui pourrait se traduire par une meilleure profitabilité et capacité à investir.

Le mécanisme le plus important est celui de la réduction du coin fiscal. Comme en général, l’offre d’emploi des entreprises dépend négativement du coût du travail, l’impact de la baisse de ce dernier génère une augmentation de l’offre d’emploi pour un niveau donné de la demande. Cet effet dépend fortement de l’élasticité négative du coût du travail. Plus elle est élevée plus l’impact escompté est élevé. Elle induit aussi à court terme une substitution de travail au capital. 
L’impact dépend aussi de la nature de la main d’ouvre. L’élasticité de l’offre d’emploi varie selon que la main d’ouvre est qualifiée ou non. Il est généralement admis qu’elle est plus élevée pour le travail non-qualifié ce qui justifie dans certains cas l’utilisation de la réduction des charges sociales des non qualifiés comme instrument de réduction du chômage des non qualifiés.

Il est par conséquent légitime d’utiliser le mécanisme du PSFE pour cibler ou non une catégorie particulière de chômeurs selon l’objectif escompté en choisissant d’appliquer la réduction des charges sociales d’une manière uniforme ou ciblée.
L’effet désinflationniste

Le coût de la main d’ouvre est une composante essentielle des prix à la production.  Dans un environnement concurrentiel et de flexibilités des prix et des salaires, toute réduction du coût de l’emploi devrait se répercuter par une baisse des prix à la production qui doivent se transmettre aussi à l’indice général des prix. Ce mécanisme est en principe désinflationniste mais il suppose que les entreprises répercutent au moins une partie de la réduction sur les prix. Sinon, toute la réduction est accaparée par les entreprises sous forme d’accroissement des marges.

Il n’existe aucun mécanisme obligeant les entreprises à répercuter cette réduction par une baisse des prix mais au moins elle ne justifiera pas un comportement excessif de hausse des prix de production. C’est la raison pour laquelle ce mécanisme est désinflationniste en fonction du degré de flexibilité des prix, de l’environnement concurrentiel et des autres tensions sur le marché du travail et de l’énergie.

II. La nature donnant-donnant du Pacte

Si le mécanisme escompté ne fonctionne pas, pour des raisons multiples, le PSFE se réduit à un transfert de revenu vers les entrepreneurs et l’impact sur le chômage est nul. Le risque le plus important provient du comportement de passager clandestin qui sera tenté par les entreprises qui feront en sorte de bénéficier de la réduction du coût du travail sans faire jouer le mécanisme escompté de création d’emploi. Par conséquent, comme c’est le cas dans les mécanismes actuels de prise en charge par l’Etat de la cotisation sociale pour un nouvel employé, le PSFE risque d’être un chèque en blanc pour l’entreprise.

Pour faire face à cet aléa moral, il est nécessaire de confectionner le PSFE sous forme d’un contrat win-win ex ante.. L’Etat propose un contrat sectoriel ou par entreprise de remboursement sous forme de crédit-impôt conditionné à la réalisation d’objectif en matière de création nouvelle nette d’emploi.  Ce remboursement s’effectue effectivement ex-post une fois que le résultat en matière de création nette d’emploi a été constaté par l’autorité compétente. Cette caractéristique ressemble au contrat sécurité sociale-médecins en France pour réduire le déficit de la sécurité sociale. Les médecins souscrivent à un contrat avec l’organisme de la sécurité sociale stipulant une prime pour le médecin payée en fin d’année au cas où le médecin prescrit un montant précis de médicaments génériques, moins couteux, dans l’année.  Ce contrat est de type donnant-donnant : le médecin obtient une prime et l’organisme de sécurité sociale réduit son déficit. La seconde caractéristique est que le contrat n’est pas un chèque en blanc mais conditionné aux performances du médecin en matière de souscription de médicaments génériques à ses patients.

C’est la raison pour laquelle ce contrat est de type contrat programme-performance. Les entreprises souscrivent à ce contrat et sont remboursées ex-ante ou ex-post selon les résultats en matière d’emploi.

III. Conclusion et Recommandations

Le PSFE est   une piste à explorer pour lutter contre le chômage et relancer l’économie tunisienne dans le contexte de la stagflation. Elle nécessite en tout cas que les entreprises jouent le jeu et traduisent la baisse des cotisations en un surcroit d’emploi. Sa mise en œuvre commence par un débat social et économique et se termine par un engagement de tous les acteurs :   Gouvernement, Syndicat et Entreprises.

Les recommandations essentielles sont:

1) Adopter des politiques d’offre pour stimuler l’activité économique en absence d’espace fiscal adéquat.
2) Entamer une évaluation du programme d’exemption des charges sociales payées par l’employeur pour les nouveaux recrutés utilisé depuis les années 2000.
3) Engager des estimations de l’impact budgétaires et d’emploi des différents scénarios possibles du PSFE.
4) Mener des estimations sectorielles et par taille d’entreprise
5) Mener une discussion tripartite avec les partenaires sociaux sur la mise en œuvre du Pacte Social et Fiscal pour l’Emploi.
6) Inclure dans le PSFE dans la loi de finance complémentaire 2015

Pour Plus de détails télécharger la note du CAE

Taoufik Rajhi
Président du Conseil des Analyses Economiques

 

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