Opinions - 25.01.2016

Lettre aux camarades journalistes et économistes

Lettre aux camarades journalistes et économistes

Depuis le début des années soixante-dix le libéralisme économique en tant que dogme idéologique a fait peu-à-peu son nid en Tunisie. La répression de la Gauche et des responsables de l’UGTT, lors de cette décennie, a donné libre cours aux idées libérales à tel point qu’elles en sont   devenues le paradigme de pensée de référence.

Résultats : chômage de masse, pauvreté, exploitation, arbitraire, disparité régionale, corruption,… Révolution! Après le 14 janvier, la Gauche et l’UGTT ont repris le flambeau du slogan de la révolution : Travail, dignité, démocratie. Ensemble, ils ont développé un discours qui prône la rupture avec le paradigme libéral. Ils ont pris donc à leur compte les revendications sociales ; l’UGTT a repris sa place historique, une place qu’elle n’aurait jamais dû d’ailleurs quitter.

1/ La Gauche revient mais pas pour longtemps

La Gauche a repris du poil de la bête. Les journalistes savourent ce vent de liberté d’un goût exquis : Ils distribuaient la parole sans réserve, tous azimuts ; ils invitaient sans discrimination ; ils relataient les revendications des pauvres gens sans censure ; bref, Ils organisaient même des débats en direct entre les Hauts fonctionnaires d’Etat, jadis inaccessibles,  et la Tunisie « d’en bas ».

Cinq ans après la révolution les données changent et le discours avec : Les idées keynésiennes ne font plus recette ; la social-démocratie n’est plus à la mode ; le vent a tourné ; « Les carottes sont cuites », comme dirait l’autre ! 

Place au discours culpabilisant, les économistes et responsables politiques libéraux se bousculent au portillon des chaines de télévision et radios : Dettes écrasantes, déficit budgétaire chronique, manque de flexibilité à cause de la rigidité du code de travail, trop de fonctionnaires, caisse de compensation source de gaspillage,... !
Bref, c’est bon,…, on a compris! Il faut dégraisser le mammouth : Désengagement de l’Etat, déréglementation et privatisation. En somme le processus de Washington.  En clair, il faut reconvertir les dettes en investissements (voir nos nombreuses contributions à ce propos), supprimer les barrières tarifaires et non-tarifaires concernant le secteur agricole ; permettre aux firmes transnationales mais aussi aux étrangers d’accéder à la propriété, etc.   

2/ Quelles responsabilités pour les médias?

Les derniers événements ont mis en exergue ce débat libéral et culpabilisant. En effet, j’ai pu observer  un certain nombre de faits qui ne laissent place à aucune équivoque sur cette dérive idéologique qui tourne le dos aux idéaux de notre victorieuse révolution:   

1/ Une large majorité de ces médias, du moins les plus influents, est davantage focalisée depuis 2 jours sur les comportements déviants de certains voyous que sur les motivations réelles de cette nouvelle révolte populaire. Une manœuvre de diversion assez insupportable!

2/ Une orientation idéologique dans le débat économique assez inquiétante. Les intervenants sur les antennes lors des émissions radiophoniques et télévisées vantent sans nuance les vertus des privatisations et l’urgence de convertir les dettes en investissement. Ces intervenants n’ont en aucun moment pris le temps nécessaire pour expliquer aux auditeurs la nature de ces conversions et les secteurs d’activité qui intéressent nos créanciers. En fait, il s'agit plutôt d'un discours, d'un monologue, que d'un débat c'est-à-dire la thèse et son contraire!

3/ Les jeunes qui animent ces émissions économiques sont majoritairement issus de HEC et de l'ISG; des écoles dont les orientations idéologiques sont assez libérales. Ces animateurs sont aussi issus des classes aisées et résident à Tunis. par conséquent, ils sont peu sensibles à la détresse de leurs compatriotes dans les régions déshéritées.

Pour finir je citerai Friedrich Van Hayek [(1899 -1992), Prix Nobel d’économie en 1974, économiste ultralibéral et ex-conseiller de Margaret Thatcher] qui disait  « Il n'y a rien dans les principes du libéralisme qui permette d'en faire un dogme immuable ; il n'y a pas de règles stables, fixées une fois pour toutes. Il y a un principe fondamental : à savoir que dans la conduite de nos affaires nous devons faire le plus grand usage possible des forces sociales spontanées, et recourir le moins possible à la coercition. » Pour dénoncer le dogme idéologique  et les analyses uni-disciplinaire en sciences sociales, il ajoutait : « Personne ne saurait être un grand économiste en étant seulement économiste et je suis même tenté d'ajouter qu'un économiste qui n'est qu'économiste peut devenir une gêne, si ce n'est un danger. »  (La route de la servitude, 1944).

Dr.Ezzeddine Ben Hamida
Professeur de sciences économiques et sociales (Grenoble)


 

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2 Commentaires
Les Commentaires
Skander Ounaies - 25-01-2016 18:52

Cher Dr.Ben Hamida et cher collègue, je suis de ceux qui prônent depuis longtemps un allègement du poids de l'Etat (nombre de fonctionnaires, avantages aberrants et irrecevables en période de crise, révision des recrutements faits sous la Troïka I et II pour ne rien faire,....),et surtout allègement des procédures administratives tatillonnes pour la création de projets, et je n’en suis pas pour autant libéral, loin de là, car je suis un fervent défenseur de la théorie de la régulation, que l’on m’a enseignée à l’Université de la Méditerranée à Aix en Provence (1980’s) et que Samir Amin enseignait à Grenoble, Université dont vous êtes issu. Actuellement, la Tunisie est en situation de crise économique structurelle grave, seuls semblent ne pas s’en douter ceux qui font semblant de la gouverner, et dans ce genre de situation, les théories économiques usuelles (classiques, keynésiennes, monétaristes)ne peuvent plus donner de solutions, globalement pour les raisons suivantes et que nous avons évoquées dans plusieurs articles : -existence d’un secteur informel important qui « aspire » une partie des mesures macroéconomiques prises pour relancer la consommation par exemple (fuite de consommation) ; -existence quasiment d’un marché « monétaire » informel qui incite quasiment la BCT à injecter continuellement des liquidités dans le système financier. Ainsi, et pour faire bref, en tenant compte de notre situation, il faut donc des idées nouvelles comme celle qu’a eue un certain Keynes en 1930 pour faire intervenir un nouvel agent économique à savoir l’Etat, idée qui avait crispé tout le monde économique et financier, mais qui avait donné des résultats, aidés il est vrai, par la production en période de guerre (39-45) pour les USA. Ces idées vont de la formalisation progressive du secteur informel, de la mise en chantier d’une réelle réforme fiscale avec introduction d’un impôt sur la fortune, de la suspension momentanée des accords de libre échange avec l’UE, situation qui est autorisée par l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) avec les clauses suspensives et qui n’ont jamais été appliquées, à ma connaissance, par la Tunisie ,à la création de Fonds de Développement Régionaux pour accélérer la mise en route des projets pour lesquels il faut mobiliser les compétences régionales, et si elles font défaut, il faudra les impliquer obligatoirement, c’est là le vrai rôle de l’Etat. Enfin, je voudrais ajouter un dernier pont qui fait sursauter à chaque fois que je l’évoque, c’est la réalisation d’un audit indépendant sur notre dette extérieure, et demander un rééchelonnement de cette dette, car à partir de 2017 nous commencerons à rembourser les crédits obtenus en 2011, et nous n’avons pas les moyens de le faire. Voilà cher collègue, quelques points qui sont aux antipodes du libéralisme, mais qui tiennent compte de l’Espace Sociétal de la Tunisie actuelle. Enfin, j’ajouterais que même en habitant Tunis et sa banlieue, on n’en est pas moins un vrai Patriote qui ressent les souffrances des jeunes des régions déshéritées (j’en ai eu un grand nombre en cours qui me racontent des éléments ahurissants !!!), alors, cher collègue, comme disait Michel Rocard, à propos de la Nouvelle Calédonie,pas vous et pas ça. Professeur Skander Ounaies

ben m'barek mohamed - 25-01-2016 20:06

priere démontrer cher professeur, sans user d'arguments d'autorité que: 1-la tunisie a été libérale. 2- que le libéralisme, s'il a existé, est responsable de ce que vous dites et notamment du mamouthisme.

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