News - 13.01.2016

L'Ecole publique tunisienne, l’ascenseur social en chute libre

L'Ecole publique tunisienne, l’ascenseur social en chute libre

Le système éducatif tunisien devrait en principe former des citoyens responsables, éveillés, capables d’intégrer le milieu du travail et d'évoluer aisément dans un milieu économique compétitif et évolutif. Mais le système est en crise et doit être refondu. C’est une nécessité que plus personne ne conteste compte tenu de son impact tant financier que social sur nos enfants et sur les générations futures. La situation de l’éducation est en effet désastreuse : Baisse du niveau scientifique, manque d'éthique des apprenants et des enseignants, infrastructures détériorées, absence de gouvernance, diminution chronique des budgets alloués, méthodes d’encadrement et de formation continue éculées, et crise d’employabilité des diplômés à la sortie. Cependant, jusqu’à l’heure actuelle, il n’y a aucune volonté proclamée d’y procéder et les causes de la crise scolaire ne sont pas clairement identifiées. Le recul de l’Ecole tunisienne a pour origine des réformes mal pensées, décidées à l’emporte pièces depuis l’indépendance à nos jours. Dans ce domaine, le mimétisme simiesque bat son plein. On copie bêtement des modèles que l’on importe au petit bonheur la chance sans se soucier de ce qui est bon ou pas.

Les programmes du primaire ont été alourdis inutilement, sur la base de statistiques faussées concernant les retards scolaires. Cette surcharge a ébranlé l’édifice éducatif. On a cassé ce qui fonctionnait bien pour improviser des solutions irréfléchies et hasardeuses. La réforme de l’école de base a été une catastrophe pour le système. Elle s’est traduite par des enseignements trop abstraits dans les niveaux élémentaires, même si certains contenus proposés n’étaient pas dépourvus de qualité en soi. Mais ceux-ci se perdaient irrémédiablement dans la masse puisque ce qui comptait c’était la quantité et non la qualité. Cela a précipité l’affaissement des matières enseignées et de leur niveau.

Une fuite en avant nommée «démocratisation»

En même temps, de grandes théories scabreuses étaient agitées comme des oriflammes au cours des joutes ministérielles dans la lice parlementaire pour justifier toujours et plus ce besoin de changer ce qui existait pour du pire. Ainsi les théories pédagogiques de l’éveil ont sacrifié l’enseignement raisonné des éléments des sciences, de l’histoire et de la géographie sur l’autel d’une pseudo-découverte ; et le sacrifice de l’enseignement de la grammaire, de la conjugaison et de l’orthographe sur l’autel de la communication.

La suite est connue et tient d’une fuite en avant nommée ‘’démocratisation ‘’ et bientôt renommée ‘’massification’’ de l’éducation et des diplômes. Les 80% d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat aboutissent avec la réforme des 25%, puis 20% à des diplômes moins le quart et moins le cinquième et par là à une régression de la crédibilité de ce même diplôme. Celle-ci sera d’ailleurs accentuée par la rénovation pédagogique, puis par la réforme dernière en date.

Le corollaire a été un baccalauréat général dévalorisé, ne préparant guère aux études supérieures. L’accès du plus grand nombre à un niveau d’études aussi avancé que possible est à l’évidence un objectif louable mais peu réaliste et préjudiciable en matière d’acquisition de compétences et de connaissances spécialisées. Les programmes actuels, par leurs incohérences et leurs lacunes, ralentissent l’acquisition des savoirs et des compétences fondamentaux. La compétence ne se développe-t-elle pas à partir du savoir, de la connaissance ? D'où l'importance du maître (le magister) - celui qui est investi de la responsabilité de transmettre les savoirs.
La solution serait d’exiger l’organisation d’un enseignement primaire de haut niveau prolongé par un niveau secondaire diversifié, sans renoncement, quelles que soient les voies offertes par les parcours, à la culture linguistique de base et à la culture générale (histoire, géographie, politique, instruction civique et civile et droits de l’Homme. Par exemple, il n’est pas normal qu’en sortant du cycle primaire et/ou secondaire, les élèves quelle que soit la filière suivie, ne sachent pas situer géographiquement la Tunisie, (que ce pays est un pays situé au nord de l’Afrique, sur la rive sud de la méditerranée). Qu’ils n’aient aucune idée sur son histoire contemporaine. Qu’ils ne sachent pas rédiger un essai correctement que ce soit en langue arabe ou française.

Nous connaissons tous la phraséologie méthodologique du domaine éducatif actuel. Usage des pictogrammes en maternelle, mathématiques modernes, lecture globale par hypothèses (naturelle puis semi-globale), histoire thématique dont on a évacué la chronologie, les dates et le nom des hommes qui l'ont faite, grammaire nouvelle qui prétend dépoussiérer la langue et permettrait une négociation de la langue et, enfin, la littérature jeunesse qui n'est rien d'autre qu’un autodafé programmé et commandé de la littérature classique. Des programmes toujours revus à la baisse. On nous parle d’’’Observation Réfléchie de la Langue’’ au lieu de dire ‘’grammaire’’. L'expression " a un vernis scientifique indéniable. Le mot "grammaire" est bien trop trivial, au sens d' "ordinaire", "commun", pour accéder au statut de terme "scientifique". Pourtant les élèves raisonnaient déjà très bien à l'école primaire quand ils étudiaient la grammaire plutôt que cette ’’Observation Réfléchie de la Langue’’. Quelle horreur !

Un système dévaluation abscons

Malheureusement, les politiques éducatives ont fait le chemin en sens inverse avec de mauvaises hypothèses. Il s’est ensuivi un appauvrissement et une déstructuration du primaire, un enseignement nivelé par le bas au collège et au lycée général, une stérilisation de la capacité cognitive et intellectuelle en général de toute la population de l’éducation nationale. L’enregistrement et la mémoire immédiate sont privilégiés au lieu de la compréhension et de l’assimilation. Passés les examens, passé le baccalauréat, plus rien ne subsiste sinon quelques bribes éparses de toute la formation comme si les cerveaux avaient subi un processus de formatage.

Dans le but inavoué de masquer des résultats déplorables du système éducatif, l'Education Nationale a mis en place un système d'évaluation tellement abscons que les parents n'y comprennent rien. Les enseignants quant à eux, dociles, renseignent les livrets et bulletins scolaires sans non plus pouvoir s'y retrouver. Au niveau national, on fait passer des évaluations qui ne permettent pas de contrôler les acquis des élèves mais seulement d'évaluer les démarches des enseignants. Quand les bilans sont finis, les résultats sont transcrits dans des tableaux ; tel ou tel pourcentage de réussite dans telle ou telle section ; il faut mieux faire ! La démarche imposée est tellement désincarnée, dénuée de substance que c'en est désespérant, car il ne s'agit plus de proposer à l'évaluation de véritables épreuves significatives mais d’accomplir une formalité.

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que le système universitaire tunisien se dégrade et ne soit plus visible sur le plan national comme international puisqu’il est alimenté par une population de bacheliers acculturés et illettrée. En lettres, en sciences, la chute drastique des vocations résulte sans doute autant de la mauvaise préparation des étudiants que de leur fuite vers des filières sélectives (I.U.T., B.T.S., Formations professionnelle). Faute de la souplesse que procurerait la possibilité d’orienter les étudiants en fonction de leurs acquis réels, et faute de proposer des enseignements non systématiquement dévalués et au rabais, on voit mal comment l’Université tunisienne pourrait se mesurer à ses homologues étrangères.


Pour autant, le déclin scolaire de notre pays n’est pas inéluctable. Ce n’est pas une fatalité. Il faudrait simplement convoquer des groupes de réflexion multi et inter disciplinaires sur les programmes. Des universitaires, des professeurs de toutes disciplines et de tous les niveaux de l'enseignement, des instituteurs qui communiqueraient et réfléchiraient ensembles sur l'école et ses problèmes. Un grand nombre d'enseignants voudraient pouvoir réfléchir, remettre en question les dogmes imposés par quelques doctrinaires officiellement accrédités. Cela n'est-il pas justifié puisque partout l'école actuelle est décriée, alors qu’elle doit se soumettre aux conclusions des sacro-saintes sciences de l'éducation. L'impossibilité dans laquelle on met l'enseignant de transmettre les savoirs devient insupportable. Nous sommes dans un système qui devient totalitaire. Comment peut-on admettre cet obscurantisme qui a pour but, à peine déguisé, d'empêcher de faire mieux que le médiocre standard prédéfini ? Ces groupes travailleraient à la conception de nouveaux programmes d'enseignement reconstruits de manière riche et progressive, et rédigeraient des documents pédagogiques. Il est légitime de douter que l'enfant soit un chercheur en herbe capable de construire tout seul ses savoirs. Le rôle fondamental de l'école est d'instruire. Celui de l'éducation n'en est qu'un corollaire implicite, qui ne peut d'ailleurs être atteint sans l'engagement actif des familles et de la société.

Il faudrait délivrer un enseignement renforcé par rapport aux programmes officiels pour les mêmes horaires et les mêmes effectifs. L’idée principale est de s’appuyer sur des progressions scolaires systématiques et des enseignements structurés, en profitant de toutes les synergies possibles entre les contenus enseignés. Par exemple : Dessin – écriture – lecture ; apprentissage du calcul et résolution constante de problèmes en lien avec le calcul écrit et la rédaction du raisonnement. Apprentissage des langues en liaison directe et étroite avec la grammaire, la conjugaison l’accentuation, la syntaxe et l’orthographe. Manipulation concrète de grandeurs physiques et calculs quantitatifs en relation avec l’apprentissage d’éléments scientifiques, littéraires et artistiques. Les sciences sans la langue et l’imagination sont sourdes aveugles et muettes.

Il faudrait revoir les manuels scolaires et les collections et diffuser des manuels et des collections correspondant à des programmes enrichis mais qui soient ludiques, attrayants et qui développent l’imaginaire et le rêve.

Il faut aussi supprimer les institutions eugéniques que sont les établissements pilotes, ces centres d’élevage d’une prétendue noblesse scientifique sur la base d’une prétendue culture de l’excellence. Il ne s’agit que de l’institutionnalisation d’une discrimination ploutocratique entre les élèves mais qui n’a rien à voir avec l’excellence. Il serait lus louable d’impulser un effet d’entraînement et d’émulation entre les élèves et de développer leur esprit de solidarité pour accompagner les plus faibles d’entre eux.

La conclusion est que le potentiel des élèves, et notamment des plus défavorisés, est fortement mal exploité pour ne pas dire négligé. Les programmes scolaires actuels, par leurs incohérences et leurs lacunes, ralentissent l’acquisition des compétences et des savoirs fondamentaux, en particulier de l’écriture – lecture – rédaction des langues et des premiers éléments des sciences et mathématiques et de culture générale.

Il faudrait un renforcement important de la cohérence des contenus des programmes de l’école primaire, avec un contrôle régulier des acquis réels des élèves par les enseignants sans qu’il soit pénalisant ou dévalorisant. Ce suivi ne doit pas exclure a priori le redoublement pour la faible proportion d’élèves ayant besoin de davantage de temps pour acquérir ces savoirs et compétences ou qui se trouveraient dans l’incapacité de passer dans la classe supérieure.
Le collège unique actuel, qui suscite la frustration des élèves en échec aussi bien qu’un ennui profond des élèves plus rapides, doit faire place à un collège commun diversifié, offrant des voies pratiques exigeantes et valorisantes à côté d’un enseignement général lui aussi de qualité.

Le lycée, plutôt que les actuelles filières à options qui engendrent un saupoudrage néfaste des savoirs, doit être envisagé avec une organisation, dès l’entrée en première année, autour de séries plus typées et plus diversifiées, permettant un enseignement disciplinaire moins dispersé, moins sectaire et plus approfondi tout en étant humain. L’introduction de disciplines nouvelles ne peut se faire correctement sans une forte synergie avec l’enseignement des autres disciplines notamment les mathématiques et les sciences, les langues, l’histoire et la géographie.

La prise en compte pragmatique de toutes ces nécessités est à notre sens le grand enjeu des réformes à mener dans l’avenir, tout comme l’est, à l’évidence la formation des instituteurs et des professeurs, aujourd’hui gravement sinistrée et en péril. Mais surtout il faut arrêter de considérer les élèves comme des rats de laboratoire et l’école comme un champ d’expérimentation pour des ministres de l’éducation en mal de reconnaissance.

Mardi 12 janvier 2016
Monji  ben Raies
Universitaire
Enseignant et chercheur en droit public
Université de Tunis-El-Manar

Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis

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