Opinions - 08.11.2015

Sommes-nous tombés si bas?

Sommes-nous tombés si bas?

Rien ne va plus au pays de Didon (Elyssa). Le pays est en récession, et presque tous les signaux d’alarme sont au rouge. En 2017, la Tunisie devra acquitter une somme d’environ 8 milliards de dinars (près de 4 milliards de dollars) au titre du service de sa dette. Face à cela, les prévisions des taux de croissance avancés par la Banque centrale de Tunisie (2,5% pour l’année 2016) sont purement et simplement fantaisistes voire nettement exagérées et certainement hors de portée, vu la situation actuelle du pays et la crise financière globale qui y sévit depuis la Révolution. Le niveau de vie de la population se dégrade chaque jour davantage. Les investissements sont en net déclin, les indicateurs du secteur touristique ont largement régressé et la production nationale de gaz et de pétrole chuté. Notre pays fait également face au double défi du déficit de son budget et de celui de la balance des paiements extérieurs. En somme, nous avons touché le fond.

Pour remédier à ce constat alarmant, la Tunisie va encore devoir mendier sur la place publique et tendre la main à la charité des institutions financières internationales et des pourvoyeurs ainsi que solliciter le soutien du G8 ou du G20 pour financer un plan de sauvetage du pays de la situation catastrophique dans laquelle il est empêtré. La Tunisie de demander aux pays les plus industrialisés d’avoir la bonté d’âme de soutenir un programme, qui est un véritable Plan Marshall, d’une enveloppe de 25 milliards de dollars et qui s’étalerait sur une période de 5 années et servirait à financer le développement des infrastructures, à rétablir la paix sociale, à renforcer la sécurité dans le pays et à réduire le déficit budgétaire, qui pourrait s’élever selon les estimations à près de 3,9% du PIB en 2016.

Le pays devrait aussi entamer, en décembre ou janvier prochains, des négociations avec le FMI sur l’octroi d’une nouvelle ligne de crédits d’une valeur de 2 milliards de dollars. La nouvelle aide du FMI et le soutien d’autres créanciers seront, de toute évidence, accompagnés par une pression plus grande pour que le pays réduise son déficit budgétaire, qu’il mette de l’ordre dans son système bancaire lourdement endetté et qu’il consolide l’efficacité de son économie.
Les subventions de l’Etat accordées au secteur énergétique seront réduites de leur niveau actuel de 850 millions de dinars (MD) à 550 MD, l’an prochain. Dans le cadre de cette réduction la Tunisie envisagera de mettre en oeuvre un système d’ajustements automatiques des prix nationaux sur les prix mondiaux du pétrole.

Par ailleurs, le gouvernement prévoit la déréglementation de certains secteurs de l’activité économique afin d’attirer l’argent de l’économie informelle vers le secteur formel. En outre, le gouvernement envisage d’émettre des obligations sur les marchés internationaux, en janvier ou février prochains, d’une valeur de 1 milliard de dollars, et il compte également émettre, durant le premier semestre de 2016, sa première obligation islamique afin de réunir un milliard de dinars supplémentaire en vendant des biens publics comme le stade olympique de Rades.
La vente de biens publics comme le stade olympique de Radès quant à lui, entre dans le cadre d’un processus non déclaré visant à l’islamiser les finances publiques en Tunisie.

Le peuple Tunisien a cru avoir fait la révolution pour chasser un dictateur. Il ne s’attendait certainement pas à voir son pouvoir d'achat décliner de 40% durant les cinq dernières années à cause de la hausse vertigineuse des prix des denrées de consommation essentielle et d’une pression fiscale qui a atteint ses limites. La Tunisie est engoncée dans une crise économique et sociale aiguë qui risque de précipiter le pays vers la faillite et la dépendance vis-à-vis des cercles politico-financiers internationaux lobbyistes. L'Etat est absent et démissionnaire puisqu’il ne joue plus son rôle de protecteur naturel des faibles, laissant les classes défavorisées être les jouets des marchés économiques sauvages où évoluent des bandes plus proches de la Mafia que de commerçants. Le pillage de la nation par cette ‘’Cosa Nostra’’ tunisienne, la corruption omniprésente, tout cela ne laisse aucun doute sur le fait que nous dégringolons sur une pente savonneuse.

Le parti Nidaâ Tounès est agité de convulsions. Deux clans rivaux s'y disputent en effet la présidence, celui de Mohsen Marzouk, secrétaire général et le clan de Hafedh Caïd Essebsi, le fils du président de la République. Celui-ci voudrait écarter l’aile gauche de Nidaa Tounes et imposer un courant RCDiste favorable à une alliance avec les islamistes. Il s’agit d’une véritable implosion du parti qui peut avoir des conséquences sur l'action du gouvernement Habib Essid. Ce parti hétérogène dès l’origine, n’a été constitué que par l’union de personnes venues de tous les horizons et qui ne se sont unies, durant un moment, qu’autour d’une hostilité à la « troïka », ancienne coalition gouvernementale, et aux islamistes qui la dominaient.

Aucun programme, aucune base politique sérieuse n’a présidé à son élection puisqu’il n’a bénéficié que de l’appel d’une grande partie de l’intelligentsia au vote utile et du mécontentement de tous. Voilà qu’aujourd’hui il est en proie à une lutte pour le pouvoir qui a éclaté en son sein et qui menace à court terme de déstabiliser le gouvernement du pays. Il subit ainsi une véritable fracture idéologique en deux factions qui se battent littéralement. Cette cassure n’a aucune dimension d’ordre idéologique et/ou politique au sens pur, mais n’est que la triviale expression de la rivalité de petites ambitions politiques mesquines, une compétition basse pour le pouvoir qui est d’ailleurs souvent inévitable dans le cas d’instances sans colonne vertébrale, et qui naviguent à vue dans le brouillard.

Nidaâ Tounès est une maison vide, remplie de courants d’air, une coquille de noix qui se prend pour un navire, complexe comme une usine à gaz où ses dirigeants ne font que gesticuler et se livrer à une mascarade lors de rencontres qui ne sont qu’un concours d’effets de manches. Pour la Tunisie les conséquences seront graves puisque d’abord il est au pouvoir et que 30 députés menacent de quitter le bloc parlementaire de Nidaa Tounès, actuellement majoritaire avec 86 sièges. En se divisant, le parti serait totalement affaibli et permettrait à Ennahdha (69 députés) de revenir au premier rang en l’absence d’une coalition politique plus importante à l’Assemblée des représentants du peuple. Cela impliquerait forcément un changement de gouvernement et surtout un changement d’orientation dans la conduite de l’Etat et du pays.

Dans l’immédiat, signalons que le président de la République est ramené à son rôle de président de parti (dont il a démissionné après l'élection présidentielle), le président de l'ARP et le directeur de cabinet du chef de l’Etat se présentent à l’électorat, en cette veille d’élections municipales, affaiblis, avec des méthodes rappelant nettement celles du RCD avec une milice recrutée parmi les délinquants des bas quartiers. Aussi la Tunisie, après avoir célébré son printemps, entre dans un automne et un hiver social rigoureux qui pourraient être islamistes. Se greffant là-dessus, l'UGTT, menacerait d'une méga grève du secteur privé pour des augmentations de salaires non consenties.

Il y a aussi les kidnappings de Tunisiens en Libye qui continuent et dont tout le monde se fiche éperdument ; la contrebande qui prospère plus que jamais, le chômage qui est en progrès continu. Et en filigrane, l’islamisme rampant est toujours aussi actif, puisque dans certaines mosquées, à Sfax, Béja, les imams nommés officiellement par l'État sont victimes de la ‘’dégage attitude’’ au profit d’autres, islamistes salafistes. Entre guerre pour le pouvoir et difficultés structurelles (situation sécuritaire tendue, crise économique), le pouvoir issu des urnes bat de l’aile et devenu schizophrène, il se bat contre lui-même. C’est à vous dégouter de la démocratie quand elle est galvaudée de cette manière. Et dire que ces gens-là ont reçu le Prix Nobel ! Mais de quoi au juste ? On se demande si ce n’est pas une erreur! Qui sait!

Monji Ben Raies
Universitaire
Enseignant et chercheur en droit public
Université de Tunis-El-Manar
Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis

 

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