Lu pour vous - 04.06.2015

Nul n’est prophète en son pays… : le cas de Hédi Bouraoui

Nul n’est prophète en son pays… : le cas de Hédi Bouraoui

S’il est un exemple en Tunisie qui illustre bien l’adage ‘Nul n’est prophète en son pays’, c’est bien celui  de notre compatriote Hédi Bouraoui. Voilà en effet un professeur  émérite, auteur de plusieurs études scientifiques, de romans et de recueils poétiques, connu et adulé un peu partout dans le monde,qui ne s’est jamais démarqué de son groupe, mais qui demeure injustement méconnu dans son pays natal. En effet, à notre humble connaissance, aucun hommage ne lui a été rendu jusqu’ici. Il est triste de constater qu’aucun colloque portant sur cet homme de lettres, pourtant auteur de plusieurs romans publiés en Tunisie, n’a été organisé à ce jour.Heureusement, un compatriote, l’écrivain et critique littéraire Rafik Darragi, vient de lui rendre enfin justice en lui consacrant une biographie. Intitulée Hédi Bouraoui, La parole autre, l’homme et l’œuvre, elle  vient de paraître aux éditions L’Harmattan.

Elle se compose de trois volets. Le premier a trait à l’homme et à sa trajectoire professionnelle aux USA et au Canada. Les deux autres aux ouvrages du poète, du romancier et du critique littéraire. Au départ, Hédi Bouraoui n’avait aucunement l’intention de se fixer définitivement ni en France ni aux USA. Cette idée ne lui est venue que bien plus tard. Il avait, comme tout un chacun, la nostalgie de son pays où il comptait retourner à l’issue de son stage linguistique. Mais il se rendit vite compte qu’un retour à la case départ serait hasardeux pour sa carrière. Mieux vaut rester aux USA et poursuivre des études supérieures. Les opportunités y étaient forcément plus grandes.

Vint le jour où notre compatriote fut obligé de renouveler son visa. Il lui fallait alors de ce fait quitter le territoire des USA et y rentrer de nouveau. Le pays voisin, le Canada, un pays bilingue,l’intéressait beaucoup. Il décida de se fixer alors dans l’Ontario, très proche de New York mais qui est surtout anglophone. Notre ami avait déjà une grande expérience dans l’enseignement de la langue française ; il pouvait donc prétendre à un bon poste dans cette région. En avril 1966, Hédi obtint un posted’’assistant professor’ à Toronto, à Glendon College, qui deviendra plus tard, York University. Là, il s’est mis à gravir les échelons. En 1978, il fut élu Master de  Stong College (1978 à 1988). C’était une belle promotion puisque il avait désormais sous son autorité un personnel de 200 ‘fellows’, c’est-à-dire enseignants, sept ou huit sections d’anglais et de linguistique, avec, au total plus de 3000 étudiants. En plus, cette fonction lui permettait de siéger au sein  de treize comités au Sénat de l’université.
En tant que Master de Stong College, Hédi Bouraoui n’avait pas ménagé sa peine. Pédagogue dans l’âme, il peut se targuer  d’avoir été au Canada  le premier à introduire dans l’0ntario, état pourtant anglophone, la littérature franco-ontarienne dans le cursus de York University.  C’est lui, encore,  qui a introduit, toujours  à York University, pour la première fois dans l’histoire du Canada, l’enseignement des littératures maghrébines, africaines, et antillaises francophones, en adéquation avec la fameuse mosaïque de la nation canadienne. Et dire que ces matières  n’existaient même pas alors dans le cursus des universités américaines!

Toutefois, il ne tirait pas sa fierté de toutes ces activités et de toutes ces responsabilités mais d’une seule réalisation, unique en son genre à l’époque, au Canada. Il avait en effet, institué, au sein de Stong college  l’identité multiculturelle et interdit le confessionnalisme, évitant ainsi le communautarisme. Hédi Bouraoui devint par la suite ‘Associate professor’, full professor, puis dans la foulée, university professor.
C’est sur cette splendide trajectoire et sur les innombrables écrits  de ce pédagogue que Rafik Darragi s’est appuyé pour écrire son ouvrage. Ancien professeur lui aussi, l’auteur a vite jugé que certaines  oeuvres  de Hédi Bouraoui sont partiellement autobiographiques, et qu’elles sont donc susceptibles d’être considérées comme un reflet intime, voire un engagement dans la mesure où, aujourd’hui, l’engagement est de mise:

« L’écriture peut être un reflet intime, une remise en question, ou encore  une manière de combat. Dans l’œuvre de Hédi Bouraoui l’écriture est tout cela, et peut-être bien plus car elle a acquis depuis quelques années, un ton combatif, un engagement total, celui d’un humaniste éclairé, dans la mesure où aujourd’hui, l’engagement est de mise dans le monde des intellectuels dignes de ce nom.(4e de couverture)

C’est dans La Francophonie à l’estomac, paru à Paris en 1995 que Hédi Bouraoui s’élève pour la première fois contre  ceux qui prônent la pureté linguistique française et qui persistent à maintenir la différence littérature française/littérature francophone. Hédi Bouraoui  a, le premier, saisi les enjeux et les espoirs que suscite cette « littérature-monde. Il a, d’emblée, pris soin de prendre position et a commencé à forger de  nouveaux mots-concepts  comme ‘émigressence’ ‘nomatitude’,Transculturalisme, ‘intertextuel’  ou  encore ‘transtextuel’.
Selon Rafik Darragi les problématiques identitaires sont les dernières des  préoccupations de Hédi Bouraoui. Ses romans comme ses recueils poétiques, n’évoquent ni les tristes séquelles de  l’héritage colonial, ni la problématique identitaire telle qu’elle est  perçue chez les écrivains issus de l’émigration, et souffrant de ce qu’il appelle « la binarité infernale ». Chez  ce poète qui se définit, comme son nom en arabe l’indique, ‘Fils du Conteur, Irrigateur’, les préoccupations doivent être autres, car la poésie est la “ Nourriture spirituelle qui informe…des problèmes cruciaux de la vie“, qui nous permet de « contempler le Soleil du savoir », le pouvoir qui  nous rend notre dignité et qui « assainit les conflits et les adversités ». (Livr’Errance, pp.8-9)

Hédi Bouraoui ou La Parole autre est un ouvrage à lire et à relire.

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2 Commentaires
Les Commentaires
Habib OFAKHRI - 05-06-2015 16:53

Pourquoi s’en plaindre…Même les authentiques prophètes -émissaires de l’Immanent suprême - furent en tout temps hais et ostracisés . Ils semèrent leur graine ailleurs .En retour ils auront accompli leur « moi « en léguant un héritage à la postérité. Dans un pays –le notre- noyé -depuis des lustres- dans les détails de la bêtise politiquante et les travers du quant à soi ; il semble inutile de vouloir rêver –en liberté -l’ horizon. Les nombreux Bouraoui seront auréolés le jour où nos compatriotes auront appris –dans l’humilité et la mesure - l’estime de soi -le respect de l’autre et la reconnaissance du mérite..En attendant l’avènement -hypothétique -de ce jour on continuera à galéjer dans « khirna machi el ghirna »( traduction : on roule pour les autres ). Prenons le cas actuel de ces milliers de jeunes diplômés chômeurs pour la formation desquelles la société et les parents ont fait tant de sacrifices ; quelle perspective leur offerte-t-on quand bien même la Tunisie demeure un chantier de tous les possibles …Arrivés à maturité ces jeunes n’ont le choix qu’entre oisiveté –les dents de la mer – les marchands de la mort ou les files humiliantes des chancelleries pour dérocher un visa aller –(physique)-sans retour ( mental).Sous d’autres cieux qualifiés par les néo-prophètes de « koufars « (hérétiques ) ou d’« impérialistes « ;il est permis d’embrasser l’universel lequel bien assumé équivaut de loin la recherche d’une reconnaissance poétiquement torturante et somme toute localement étriquée .

mourad regaya - 05-06-2015 20:24

BONSOIR, On aurait aimé avoir une biographie aussi succinte soit elle se Si Hédi Bouraoui,je crois savoir qu'il est originaire de la ville de Sayada dans le gouvernorat de Monastir. MERCI

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