News - 26.04.2015

Cinquantenaire de la Faculté de Médecine de Tunis : le témoignage du Pr Amor Chadli

Cinquantenaire de la Faculté de médecine de Tunis: le témoignage du Pr Amor Chedli

Le Pr Amor Chadli est l'un des fondateurs de la faculté de médecine de Tunis et son premier doyen. Il a tenu à apporter son témoignage à la fois en tant que «témoin et principal acteur» à l'occasion du cinquantenaire de cette institution.

 
Un demi-siècle s’est écoulé depuis que cette faculté, la première fondée après l’Indépendance,est venue se joindre à la jeune université tunisienne créée en 1960, en remplacement de l’Institut des Hautes Études qui, lui, avait vu le jour en 1945.
 
C’est en tant que témoin et principal acteur que je me propose de faire revivre, pour vous,les circonstances et quelques péripéties qui ont jalonné la réalisation de la faculté de médecine de Tunis.
 
Je dois rappeler que du temps du protectorat, la médecine évoluait dans la tradition libérale. Les structures hospitalières étaient réservées aux indigents qui y recevaient une assistance gratuite. Les médecins chargés de cette assistance y exerçaient sous forme d’une convention symbolique, tout en consacrant l’essentiel de leur activité à leur clientèle privée.
 
L’indépendance ayant fait de l’élément humain la priorité nationale, il fallait, pour garantir les droits du citoyen proclamés par la constitution, parer aux besoins les plus pressants, à savoir la santé et l’éducation. Dans les années soixante, plus de 50% des investissements étaient consentis au secteur social. Les hôpitaux furent dotés de locaux et d’un équipement adéquats. Il fallait également encourager les médecins à y exercer, non plus d’une manière occasionnelle, mais en réservant le meilleur de leur temps à leur activité hospitalière. Une réforme instaurant le plein temps intégral ou aménagé avec deux après-midi d’activité privée à l’hôpital fut proposée au choix des médecins, ce qui permit d’ouvrir l’hôpital à toutes les classes de la population. Le problème épineux était le manque de personnel. Si la formation des paramédicaux a pu être réalisée grâce à l’extension des écoles de santé publique, la pénurie en médecins risquait d’entraver la réalisation des objectifs. En effet, en 1958, le nombre de médecins tunisiens musulmans ne dépassait pas 130. La création d’une faculté de médecine digne de ce nom semblait alors utopique. Le gouvernement, prudent en la matière, entama auprès de l’organisation mondiale de la santé une consultation à ce sujet.
 
En janvier 1961, un groupe d’experts de cette organisation, formé de 3 professeurs, un français, un polonais et un anglais, est invité à Tunis pour étudier la faisabilité d’un projet de création d’une faculté de médecine et de pharmacie.Dans son rapport daté de juillet 1961, le groupe recommande de former des médecins familiarisés avec la pathologie locale et les problèmes de santé publique. Il propose notamment de répartir l’enseignement de la médecine préventive et sociale sur toutes les années, de prévoir des stages pratiques dans les zones rurales et de démarrer avec une promotion de 25 étudiants. Il estime qu’il ne faut pas attendre la construction d’un centre hospitalo-universitaire, mais utiliser des locaux déjà existants. Le groupe suggère enfin de constituer un comité technique de la faculté de médecine poursuivre la réalisation du projet.
 
Le 28 mars 1962, le secrétaire d’État à la Santé publique, Mondher Ben Ammar, désigne 3 médecins, les Drs Zouhair Essafi, Georges Valensi et Amor Daly, pour représenter son département dans ce comité. De son côté, le secrétaire d’État à l’Éducation nationale, Mahmoud Messadi, désigne 3 enseignants de la faculté des Sciences, le Pr Adnen Zmerli, le Dr Mohamed Fkih et le Pr Georges Velley.
 
Le 10 mai 1962,le comité technique de la faculté de médecine se réunit pour la première fois sous la présidence du Pr Ahmed Abdesselam, prorecteur de l’Université. Les débats s’orientent rapidement sur les qualifications à exiger des futurs enseignants. Les conditions retenues réservent l’enseignement clinique aux anciens internes des hôpitaux de Paris. Des contacts sont pris avec l’Université de Paris en vue de la participation de candidats tunisiens au prochain concours d’agrégation de médecine en France.
 
Le 20 octobre 1962, le secrétaire d’État à l’Éducation nationale, Mahmoud Messadi, reçoit un télégramme du Pr Jean Roche, recteur de l’Université de Paris, ainsi libellé : « Nécessité demander postes d’agrégation en médecine avant le 25 octobre candidats tunisiens. Paris désireux ouvrir 5 places section chirurgie, médecine, urologie, chirurgie orthopédique et anatomie pathologique ».
 
Quatre jours plus tard, le 24 octobre, Mahmoud Messadi répond au recteur Roche en lui adressant, par la voie de notre ambassadeur à Paris, une lettre mentionnant les noms de 10 candidats. La commission française de l’examen des candidatures,considérant qu’il s’agissait d’une faculté naissante, ne retint que les deux candidats des disciplines scientifiques, le Dr Ali Boujnah en bactériologie et moi-même en anatomie pathologique.
 
J’avais, pour ma part, exercé depuis 1953, les fonctions d’assistant en anatomie pathologique à la faculté de médecine de Strasbourg et obtenu le titre d’assistant dans cette discipline. En 1956, mon patron, le Pr Frühling avait envisagé de préparer trois de ses assistants - deux français et moi-même - au concours d’agrégation, prévu en 1962. J’avais donc déposé, en septembre 1962, en même temps que mes collègues français, mon dossier de candidature à Paris, dans les délais et les conditions prévus.
 
Ali Boujnah et moi-même passâmes avec succès les épreuves du concours d’agrégation en décembre 1962.
 
Le 5 février 1963, un second groupe d’experts de l’OMS comprenant deux professeurs français,un anglais et un belge, est invité à Tunis. En accord avec les membres du Comité technique de la faculté de médecine, il appuie l’idée de faire démarrer l’enseignement médical dans des locaux provisoires situés dans l’enceinte de l’hôpital Charles Nicolle. Il propose pour l’enseignement des deux premières années l’ancienne École Avicenne et pour l’enseignement des autres disciplines,le pavillon de pneumo-phtisiologie dont les malades ont été transférés à l’hôpital Abderrahman Mami à l’Ariana. Le groupe des experts de l’OMS établit un programme détaillant les heures d’enseignement, les besoins en personnel,ainsi que le montant des dépenses. Vue l’importance de ces dépenses et devant le risque d’abandon partiel ou total de leur profession par les femmes après leur mariage et du gaspillage qui en résulterait, il propose de réserver aux étudiantes un quota de places à la faculté de 15 à 20% au maximum.
 
En octobre 1963, je fus chargé de participer à l’enseignement de la biologie animale et de la génétique aux étudiants de l’année préparatoire aux études médicales, à la faculté des Sciences. Les étudiants, au nombre de 115, devaient pour la plupart accéder, en octobre 1964, à la faculté de médecine.  
Le 14 novembre 1963, le Président du comité technique de la faculté de médecine invita les deux agrégés, Ali Boujnah et moi-même, à rejoindre le Comité. Les discussions portèrent sur la participation des médecins tunisiens au prochain concours d’agrégation prévu en 1966, puis sur divers sujets tels les locaux,l’équipement, la bibliothèque et les moyens financiers. D’autres réunions,tenues le 9 janvier et le 6 février 1964 traitèrent de l’externat, de l’internat et de l’équivalence des diplômes étrangers.
 
En mars 1964, à 6 mois du démarrage de l’enseignement médical, rien de concret n’avait encore été réalisé, si ce n’est la décision de débuter l’enseignement dans des locaux à aménager, pour lesquels le Secrétaire d’État à l’Éducation nationale avait formulé une demande d’ouverture de crédits à son collègue des Finances. C’est alors que nous fûmes, Boujnah et moi, convoqués, non par nos deux ministres de tutelle, mais par le secrétaire général du Gouvernement tunisien, Habib Bourguiba Jr. Il souhaitait que l’un de nous deux se charge du projet de démarrage de la faculté. Ali Boujnah fit savoir qu’il ne pouvait suspendre l’activité de son laboratoire de biologie clinique pour lequel il avait consenti un important investissement. J’invoquais, de mon côté, mes responsabilités déjà bien lourdes, à l’Institut Pasteur. Le Secrétaire général du Gouvernement ne voulut rien entendre, ajoutant que nous étions réunis en conclave d’où nous ne pouvions pas sortir avant que le responsable de la future faculté soit désigné.La tâche me tentait, mais le laps de temps qui nous séparait de la rentrée n’était que de 6 mois. D’autre part, je savais combien le président Bourguiba tenait à ce projet. J’acceptai donc le challenge, à la condition expresse que mon action ne soit entravée ni par les propositions des experts de l’OMS, ni par celles du comité technique de la faculté de médecine, ce qui me fut rapidement accordé.
 
La tâche était immense. Je pris immédiatement contact avec l’architecte pour lui indiquer les modifications à apporter au plan d’aménagement de l’École Avicenne. Le plan définitif dressé, l’entrepreneur commença les travaux. Des difficultés de toutes sortes ne manquèrent pas de surgir. À la fin de l’aménagement de la première tranche du pavillon 1, l’entrepreneur, n’ayant pas été payé, suspendit ses travaux. Il fallut maintes démarches auprès du Secrétaire d’État à l’Éducation nationale puis du Secrétaire d’État aux finances pour que soit clairement formulée la confirmation de la réalisation du projet. Les crédits furent alors débloqués, et l’entrepreneur, honoré, reprit ses travaux.
L’enseignement de la première année débuta le 2 novembre 1964, avec 59 étudiants à la faculté des Lettres et des Sciences humaines. Deux mois plus tard, le 2 janvier 1965,nous déménagions dans nos propres locaux. Le pavillon I abritait aurez-de-chaussée, le département d’anatomie avec une salle de cours de 120 places et une salle de dissection de 60 places. Le premier étage logeait le département de biochimie d’un côté et de biophysique de l’autre, avec une salle de travaux pratiques commune. Les départements de physiologie et d’histo-embryologie étaient installés au second étage avec une salle de travaux pratiques commune ainsi que des bureaux, des salles d’enseignement dirigé et des laboratoires de recherche dans chacun des trois niveaux de ce pavillon.
 
Le pavillon 2,beaucoup plus spacieux, fut achevé en 1966, à temps pour accueillir les étudiants de 3e année. Il abritait les autres départements de la faculté : anatomie pathologique, microbiologie, parasitologie, médecine expérimentale, médecine préventive et sociale, médecine légale, pharmacologie et thérapeutique. Il abritait également trois petits amphithéâtres de 100 places chacun, des salles de travaux pratiques, des salles d’enseignement dirigé, des bureaux et des laboratoires de recherche.
 
L’augmentation rapide du nombre d’étudiants nous imposa de disposer d’un nouveau bâtiment comportant un amphithéâtre de 300 places et des locaux administratifs. Mais le Secrétaire d’État à l’Éducation nationale, n’ayant pas abandonné son projet de construction d’un centre hospitalo-universitaire au campus d’El Manar, ne s’empressait pas de donner son accord. J’étais d’un avis contraire, estimant qu’il n’était pas logique d’éloigner la faculté de la colline qui abritait  l’hôpital Charles Nicolle, La Rabta, l’Institut d’ophtalmologie et les instituts qui étaient en projet, ceux de pédiatrie, de carcinologie et de nutrition.Face à ce différend, le Président de la République, lui-même, organisa une séance de travail à Carthage, réunissant le secrétaire d’État à la Présidence,Bahi Ladgham et le secrétaire d’État à l’Éducation nationale, Mahmoud Messadi,et à laquelle je fus convié. J’insistai sur l’unité de lieu faculté-hôpital. Bourguiba trancha pour implanter le pavillon 3 au sein de l’hôpital Charles Nicolle. Ce pavillon fut terminé en 1968. Quelques mois plus tard, se dressait le pavillon 4 qui abritait la morgue de l’hôpital Charles Nicolle, une salle d’autopsie, un amphithéâtre de démonstration d’autopsie et un musée de pièces anatomiques. En 1970 fut entreprise la construction du pavillon 5 qui comportait deux amphithéâtres, l’un de 400 places, l’autre de 350 places ainsi qu’une vaste bibliothèque et une salle de lecture de 150 places.
 
L’équipement en appareils, réactifs, verrerie et autre matériel pour les travaux pratiques des six disciplines de la première année posait des problèmes bien plus ardus. Tout devait être prêt avant le mois d’octobre 1964, date de la venue des enseignants de première année, tous étrangers. Je dus dresser les listes détaillées des besoins et lancer les commandes de matériel des travaux pratiques pour toutes ces disciplines. Le retard dans la réception de certaines commandes m’imposa,dans l’urgence, des solutions de rechange. À titre d’exemple, les os nécessaires aux travaux pratiques d’anatomie, n’étant pas arrivés à temps,j’obtins du Maire de Tunis l’autorisation de faire déterrer les squelettes d’anciennes tombes abandonnées et les traitais à l’Institut Pasteur.
 
En ce qui concerne le personnel enseignant, l’OMS avait accepté la prise en charge de trois professeurs, un anatomiste, un physiologiste et un biochimiste. Pour les trois autres disciplines, biophysique, histologie et embryologie, je comptais sur la coopération technique franco-tunisienne. Mais la décision de la Tunisie de nationaliser les terres (loi du 12 mai 1964) eut pour conséquence une rupture des relations diplomatiques avec la France. Je dus contacter directement des collègues français pour assurer des missions d’enseignement dans ces trois disciplines. Il me fallait aussi recruter des médecins tunisiens pour les seconder dans le déroulement des travaux pratiques. L’enseignement de la sémiologie, commencé lui aussi en première année, était dispensé par des médecins tunisiens sous la supervision de deux professeurs parisiens, l’un en médecine générale, l’autre en chirurgie générale. Pour les stages, les étudiants étaient affectés dans les services hospitaliers les mieux pourvus en personnel et les mieux équipés. Il fallait aussi réglementer l’enseignement et les formalités administratives, ce qui fut codifié dans une brochure, le« Guide de l’étudiant ».
 
Nos étudiants étaient très motivés mais la crainte de ne pas être du même niveau que leurs camarades qui poursuivaient leurs études en France, restait présente. Ils redoublèrent d’ardeur au travail, à la grande satisfaction de leurs enseignants qui ne ménagèrent ni leur temps, ni leur patience pour satisfaire leur soif de connaissance. Animé par le souci de la qualité de leur formation et par la volonté de préserver l’homogénéité du corps médical tunisien issu, dans sa grande majorité, des facultés françaises, je décidai de faire juger nos étudiants par les plus hautes sommités médicales françaises. C’est ainsi que le Pr Delmas, titulaire de la chaire d’anatomie de Paris vint présider les examens de première année et interroger les étudiants aux épreuves orales. L’année suivante, le Pr Bargeton, titulaire de la chaire de physiologie de Lyon,présida les jurys des examens des deux premières années. En troisième année,j’invitais le titulaire de la chaire d’anatomie pathologique de Paris, le Pr Delarue. Pour la quatrième année, la présidence du jury fut confiée à l’éminent cardiologue parisien, le Pr Lenègre. Enfin les examens des 5 années furent présidés par le Pr Derobert, titulaire de la chaire de médecine légale de Paris.
 
J’avais, depuis 1965, soulevé auprès des autorités universitaires françaises, le problème de l’homologation de nos années d’études médicales avec celles des facultés françaises. Le Pr Cordier, doyen de la faculté de médecine de Paris et le Pr Beau, doyen de la faculté de médecine de Nancy, membres du conseil supérieur de l’Éducation pour les questions médicales me promirent leur soutien à toute demande de notre gouvernement. Le Dr Aujoulat, ancien ministre de la Santé et de la Population, directeur de la coopération de ce ministère, me fit part de son accord à ce sujet. L’homologation de nos années d’études médicales avec les années correspondantes des facultés françaises nous fut accordée par l’arrêté du 13 juillet 1968, paru au Journal officiel de la République française. Les premiers textes statutaires régissant le fonctionnement de la faculté de médecine de Tunis parurent alors que se terminait la quatrième année.
 
En 1969, la faculté de médecine de Tunis clôturait son cycle d’études. Elle comptait alors 6 enseignants tunisiens, deux agrégés issus du concours français de 1962, Ali Boujnah en bactériologie et moi-même en anatomie pathologique, et 4 issus du concours français de 1966, Hassouna Ben Ayed et Mohamed Ben Ismaïl en médecine générale, Zouhair Essafi en chirurgie générale et Mohamed Chelli en gynécologie obstétrique. Les professeurs français constituaient ainsi la majorité de nos enseignants. Certains d’entre eux résidaient à Tunis, les autres assuraient leur enseignement au cours de missions.
 
Le 20 septembre 1969, le nouveau titulaire du secrétariat d’État à la Santé publique, Driss Guiga, modifia la règlementation des carrières médicales dans le sens d’une intégration hospitalo-universitaire. Son projet prévoyait notamment, la création d’un conseil des formations hospitalo-universitaires, sous sa présidence. Estimant que ce conseil me déchargeait de l’initiative et de la responsabilité de l’organisation des études médicales que j’assumai depuis 1964, je décidai de ne pas présenter ma candidature à l’élection du doyen qui se déroula le 20 janvier 1971. Le seul candidat, Mongi Ben Hamida, inscrit en 1970 en France sur la liste d’aptitude de maître de conférences agrégé, ayant été élu, je lui cédai la direction de la faculté.
 
Deux années plus tard, en octobre 1973, alors que je participais à un congrès à Paris, je reçus une communication téléphonique du ministre Driss Guiga, m’informant de la démission du doyen Mongi Ben Hamida et me demandant avec insistance de reprendre les rênes de la faculté. Ses tentatives auprès d’autres collègues,disait-il, avaient toutes échoué. Me prenant par les sentiments, il ne me laissait pas d’autre alternative que d’accepter. À la reprise de mes fonctions, je compris les raisons de la démission du doyen Ben Hamida. Il fallait, d’abord,dans un délai d’un mois, organiser pour la première fois en Tunisie deux concours d’agrégation en médecine. L’un, fixé au 1er novembre 1973,visait l’intégration, en qualité d’enseignants, de chefs de service en exercice dans les hôpitaux, l’autre, fixé au 26 novembre 1973 était ouvert aux assistants. Si le concours du 1er novembre ne posait pas de difficultés d’organisation, étant donné qu’un seul jury formé de 13 professeurs français était appelé à examiner les dossiers des 35 candidats, celui du 26 novembre comportait pour chacun des 73 candidats, trois épreuves, une leçon de 45 minutes, une épreuve pratique et une épreuve de titres et travaux.Quarante-quatre maîtres de la médecine française et étrangère étaient invitéspar la Faculté pour juger nos candidats, en collaboration avec les 7 professeurs tunisiens, les 6 déjà cités et le Pr Saadoun Zmerli qui avait quitté Alger pour rejoindre Tunis. Les deux concours se déroulèrent à la satisfaction de tous.
 
À la fin du mois de novembre 1973, 17 agrégés issus du concours du 1er novembre et 37 agrégés issus de celui du 26 novembre s’ajoutaient aux deux agrégés de 1962, aux quatre agrégés de 1966 et aux 14 qui avaient été inscrits, en janvier 1970, en France, sur la liste d’aptitude aux fonctions de maître de conférences agrégé. Un concours d’assistanat organisé en décembre 1973 dotait également la faculté de 43 assistants hospitalo-universitaires.
 
La même année,une décision ministérielle supprimait l’année préparatoire aux études médicales, à partir de la rentrée 1974. Cette suppression eut comme conséquence une augmentation considérable du nombre des étudiants de première année de médecine qui, de 335 en octobre 1973, passa à 634 en octobre 1974. Ce doublement d’effectif des étudiants de première année ne manqua pas de poser de nombreux problèmes de locaux, d’équipements et d’enseignants qu’il fallut résoudre.
Dernier challenge, le projet de création des facultés de médecine de Sousse et de Sfax ayant été décidé en 1973, je fus appelé à planifier leur démarrage au point de vue infrastructure, équipements et recrutement des enseignants. Tout était en place en octobre 1974. À cette date, deux doyens furent désignés pour diriger les nouvelles facultés.
L’élection du doyen était fixée au 20 janvier 1975. À la demande de certains collègues, je présentai cette fois ma candidature, mais sans mener la moindre campagne. Le candidat Zouhair Essafi ayant été élu, je lui cédai la direction de la faculté.
 
Le bilan !On peut conclure qu’il est positif. Nos facultés ont été édifiées sur des fondations solides. Le nombre de médecins tunisiens est tout à fait satisfaisant et leur niveau unanimement reconnu. Ils maîtrisent les techniques thérapeutiques les plus avancées, telles les transplantations d’organes, la coeliochirurgie, la chirurgie bariatrique de l’obésité, la chirurgie réparatrice et esthétique,... Leur compétence dans ces domaines a drainé vers la Tunisie de nombreux demandeurs de soins des pays voisins et même d’Europe.
 
Mais d’autres défis persistent, bien différents de ceux relevés il y a 50 ans. La couverture médicale du pays souffre d’un déséquilibre prononcé : déséquilibre entre les grandes villes et les régions intérieures du pays, déséquilibre entre praticiens généralistes et spécialistes, déséquilibre entre secteur public et secteur privé. Les cliniques privées qui se sont multipliées dans les grandes villes dispensent sans conteste une médecine de qualité. Mais leur activité, au lieu de constituer un facteur d’émulation pour nos hôpitaux, semble se réaliser à leur détriment. Il importe d’arrêter cette tendance et de rendre aux hôpitaux leur rôle de locomotive, tant dans les soins que dans la formation et la recherche.L’avènement d’une médecine à deux vitesses que nous voyons lentement s’installer chez nous, va à l’encontre des options fondamentales de notre pays.
 
Le remède à ces déviances consiste, à mon avis, à moduler l’ouverture des postes en fonction des besoins réels de chaque secteur, à veiller à l’application, par les médecins hospitalo-universitaires, de leur exercice à plein temps et à réglementer et contrôler l’activité privée complémentaire. Les deux après-midi d’activité privée devraient se faire à l’hôpital. C’est en exerçant dans son service que le médecin peut jouer pleinement son rôle et offrir des soins de qualité dans les mêmes conditions à tous les citoyens. La durée d’hospitalisation pourrait alors être réduite et le suivi des patients amélioré, assurant de ce fait une meilleure rentabilité de l’hôpital. C’est en fonction de son apport à l’hôpital que le médecin peut être mieux rétribué.
 
Le remède réside également dans une bonne gestion administrative et financière de l’hôpital, en mesure d’éviter le coulage et le laxisme et d’engendrer des recettes lui permettant d’améliorer ses équipements, de veiller à leur maintenance et d’assurer la bonne tenue des locaux.
Un autre problème est celui des praticiens généralistes. Ils ont souffert du biais d’un concours à la fin de leurs études médicales qui leur a imposé leur orientation.La solution semble aujourd’hui trouvée dans la filière des « médecins de famille ». Le rôle principal d’une faculté de médecine n’est-il pas de former de bons omnipraticiens pour couvrir les besoins du pays ?
 
Une consultation sur ces sujets pourrait aboutir à un projet opérationnel et consensuel.
 
Mesdames,Messieurs,
En un siècle et demi, le savoir a évolué, bien plus que durant les trois millénaires antérieurs. Songez qu’en 1860, un médecin était aussi ignorant de l’origine des contagions que l’étaient Hippocrate et Galien. Cette explosion exponentielle des connaissances et de la technologie numérique a poussé la médecine dans l’ère génomique et la prédiction des maladies.
 
La spécialisation est indispensable en raison de l’extension des sciences et des techniques. Elle doit cependant être précédée d’une formation de base solide afin d’éviter de se borner à une application de techniques et d’automatismes. C’est dire l’importance, dans le cursus médical, de donner la place qui leur revient aux sciences fondamentales et à la médecine générale.
 
Ainsi armé,l’étudiant est à même de réfléchir plutôt que d’apprendre, de raisonner plutôt que de mémoriser et le futur médecin est amené à s’adapter à l’évolution rapide des sciences et des techniques.
 
Ce n’est qu’à cette condition que l’École médicale tunisienne pourra réellement prendre son essor et apporter sa contribution à l’édifice du progrès.
 
« L’étudiant n’est pas un vase que l’on remplit, mais un feu que l’on allume » disait Montaigne.
 
Jeunes gens,
 
Sachez que seul le labeur et l’effort sont payants. La facilité est mauvaise conseillère.
 
« Il n’y a que le travail et l’enivrement de créer qui infusent la saveur dans la vie » disait Michel-Ange.
 
Dr Amor Chadli
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5 Commentaires
Les Commentaires
Sarra - 27-04-2015 09:07

Un quota de 15 à 20% pour les filles dans un souci "économique"! Pousser la rationalisation jusqu'à l'aberration dans un contexte de démocratisation de l'enseignement. On voit bien que ces messieurs de l'OMS étaient plutôt conservateurs et certainement visionnaires puisque les filles ont fini à peine quelques années plus tard par forcer les portes de cette université comme d'ailleurs les enfants des couches défavorisées boostés par les généreuses bourses d'étude de l'époque pour en faire un vrai temple où l'excellence est le seul critère d'accès.

Docteur VARETTE Ivan - 27-04-2015 09:50

En Juillet 1968, en vacances en Tunisie, je me suis présenté à l'Institut Pasteur, par curiosité professionnelle, étant moi même anatomopathologiste à Marseille . Il y avait à l'époque un coopérant Français . Grands furent mon plaisir et ma surprise de faire connaissance de ce grand Monsieur empreint d'une non moins grande simplicité . Je devais le revoir plus tard, lors d'une Société savante Internationale sur le Cancer du Sein . Mes respects, Mr CHADLI

Sarra - 27-04-2015 18:45

Je voulais dire "ces messieurs de l'OMS étaient plutôt conservateurs et certainement pas visionnaires"

Imene - 30-04-2015 18:51

Je remercie Leaders d'avoir re-transcrit le temoignage de Pr Chadli.. c'est si emouvant de vivre les circonstances d'installation de la FMT. Le professionnalisme et le grand devouement de Pr Chadli, des responsables et de tous ceux qui n'ont pas hesite a mettre la main a la pate m'ont ete une vraie lecon.. De grands hommes, de grands esprits, et je suis determinee plus que jamais a faire de mon mieux juste pour exprimer par les actions ma reconnaissance tout comme ils ont traduit par le travail leur amour pour la Tunisie et leurs concitoyens. Merci d'avoir ete le passe lumineux, sur vos pas on va creer un avenir brillant..

Kort Brahim - 28-04-2016 14:37

Toujours impressionnant cher Maitre ,j'ai beaucoup de chance d'avoir été l'un de vos élèves à la faculté de médecine de Tunis . Grands respects

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