News - 17.04.2015

Habib Boularès : L’esprit historien d’un homme politique, ami du Patrimoine

L’esprit historien d’un homme politique, ami du Patrimoine

Dans les hommages rendus à Habib Boularès à la suite de son décès, l’évocation de son grand penchant pour l’histoire et le patrimoine culturel de la Tunisie,  et plus généralement, pour les éléments constitutifs de la personnalité tunisienne manque cruellement.

Après avoir reçu au Caire, à Paris et à Strasbourg une formation en langue et littérature anglaises, en économie et en journalisme, Habib Boularès a entamé une carrière fulgurante dans le domaine de la presse. En une dizaine d’années et sans avoir dépassé l’âge de 30 ans, il a occupé de hautes fonctions dans ce que le Tunisie comptait de mieux comme organes de presse et structures étatiques en matière d’information, tous genres confondus. Un premier couronnement de ce parcours prestigieux a consisté en sa nomination comme ministre de la Culture et de l’Information au début de l’été 1970. Il n’avait, alors, que 37 ans. S’en est suivie, un an plus tard, une démission courageuse et une longue traversée du désert qui a duré dix ans occupés, à l’étranger, par l’enseignement et, de nouveau, par le journalisme. A la fin des années 1980, celui qui se considérait avant tout comme un journaliste professionnel a été appelé à de hautes charges politiques et diplomatiques exercées pendant vingt cinq ans et marquées de nouveau par plusieurs  retraits rapides et une éclipse de plusieurs années.

A partir des années 1960, Habib Boularès a montré le grand intérêt qu’il avait pour l‘histoire de la Tunisie. Il le fit, d’abord, en publiant, en arabe Mourad III (MTE, Tunis, 1966 ; réédition en versions arabe et française, Médiacom, Tunis, 1998), pièce de théâtre  au souffle shakespearien dans laquelle ont été disséqués les moments de folie meurtrière du dernier souverain mouradite. La beauté de l’œuvre théâtrale et sa charge historienne ont été superbement rendus par le jeu de l’inimitable Ali Ben Ayed et par le décor de l’admirable Zoubeir Turki.

Un cran supérieur a été atteint avec la publication, en 2000, d’Hannibal (Paris, Perrin), première biographie du héros carthaginois, écrite d’un point de vue africain à partir d’une documentation livrée exclusivement par le vainqueur. Dans cette tâche ardue, Habib Boularès était armé de sa grande culture, d’une documentation impressionnante et de la vigilance de celui qui connaissait les apports et les limites des travaux des spécialistes. L’auteur, qui reconnaît avoir bénéficié de l’aide d’historiens et d’archéologues de l’Antiquité ainsi que celle d’un officier supérieur de la marine militaire, a insisté sur le fait qu’il ne voulait pas faire œuvre d’historien mais qu’il avait lu les « évènements anciens avec les yeux d’un ’’Africain’’ et d’un ’’Politique’’, assumant  la greffe des multiples souches d’un peuple dont il est issu et de la culture dont il se réclame ». Tout historien professionnel ne peut que reconnaître la rigueur de l’enquête de Habib Boularès et la légitimité de ses nombreuses remises en cause des idées reçues, même quand il ne partage pas ses conclusions. Se révèle à lui, ce que l’historien et le grand journaliste ont en partage dans leur quête : la vérité de l’information qui n’exclut pas la liberté du commentaire fondé sur des arguments pertinents.

Deux ans avant son décès, Habib Boulares a gratifié les lecteurs francophones d’un ouvrage aux qualités innombrables. Il s’agit de l’ ’’Histoire de la Tunisie. Les grandes dates de la Préhistoire à la Révolution’’ (Tunis, Cérès Editions, 2012). Le lecteur y trouve une information sûre, judicieusement ordonnée et portant l’empreinte d’un auteur qui n’est pas un simple annaliste. De la Préhistoire à l’époque contemporaine, les faits et les personnages sont présentés avec des informations et des commentaires marqués par une touche personnelle qui ne laisse pas indifférents les meilleurs connaisseurs. Le fait d’avoir relevé la lacune qui caractérise ce genre d’approche, dans l’édition tunisienne, constitue, à lui seul, un grand mérite. L’avoir comblée avec beaucoup de compétence et de pédagogie ajoute à l’intelligence de l’œuvre et à la beauté du geste accompli par l’auteur, au soir de sa vie.

En 1988, Habib Boularès a été appelé à la tête du Ministère de la Culture ; l’année suivante, son portefeuille ministériel a été élargi au domaine de l’information. Il reprenait ainsi les commandes d’un département ministériel stratégique qu’il avait dirigé une vingtaine d’années auparavant. Ses plus proches collaborateurs de cette courte période et les observateurs attentifs se souviennent avec quelle rigueur et hauteur de vue il a exercé ses fonctions. L’une de ses plus belles réalisations a consisté en l’acquisition, par l’Etat tunisien,   du palais du baron d’Erlanger  à Sidi Bou Saïd, convoité par plus d’un spéculateur. Depuis, le superbe monument historique, qui a retrouvé son éclat après les restaurations nécessaires, héberge le Centre des Musiques Arabes et Méditerranéennes (CMAM – Ennejma Ezzahra) dédié à la conservation du patrimoine musical tunisien, la recherche, la muséographie et la programmation artistique. La création de ce beau sanctuaire de la musique, il y a environ un quart de siècle, a constitué, incontestablement, la plus belle initiative de l’Etat tunisien dans le domaine de la culture depuis la création  du Centre Culturel International de Hammamet, en 1964.

Le ministère de la Culture et de la Sauvegarde du Patrimoine serait bien inspiré d’associer, à Ennajma Ezzahara, le nom de Habib Boularès, bienfaiteur du Patrimoine historique et culturel, décédé, coïncidence ô combien troublante,  un certain 18 avril…, Journée internationale des monuments et des sites. A défaut, il faut espérer que les décideurs consentiront, tout au moins, à donner le nom du cher disparu à la grande salle de conférences de la Bibliothèque nationale, encore tristement anonyme.

Houcine Jaïdi

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