News - 15.04.2015

Exclusif - 16 avril 1988, Sidi Bou Saïd: Qui a tué Abou Jihad?

Exclusif - 16 avril 1988, Sidi Bou Saïd: Qui a tué Abou Jihad?

Le 16 avril 1988, les Tunisiens se sont réveillés, incrédules, sur une nouvelle qui les a ébranlés: le leader palestinien Abou Jihad a été assassiné chez lui, dans la banlieue de Sidi Bou Saïd sous les yeux de sa femme. De son vrai nom Khalil El Wazir, la victime était non seulement le numéro 2 de l’OLP et le commandant des opérations extérieures du Fatah, son aile armée, mais il était surtout le «père de l’Intifadha», cette révolte des jeunes Palestiniens «lanceurs de pierres» déclenchée en décembre 1987. Abou Jihad était aussi le concepteur d’opérations spectaculaires contre l’Etat sioniste de l’intérieur.

Le raid contre l’hôtel Savoy à Tel-Aviv en 1975  qui a fait 11 morts, c’était lui, celui mené contre un autobus israélien longeant le littoral (38 morts), trois ans plus tard, c’était encore lui. En 1985, Abou Jihad avait planifié une nouvelle action du Fatah par voie maritime contre des objectifs israéliens à Tel-Aviv, mais elle échoua. Le navire palestinien fut intercepté et coula près de la côte israélienne.

Le saint des saints israéliens ciblé

Pour autant, le facteur déterminant derrière l’assassinat d’Abou Jihad était une autre opération qu’il avait lui-même orchestrée, celle qui aurait dû frapper le saint des saints de la fierté israélienne, l’installation ultrasecrète d’armes nucléaires de Dimona dans le désert du Néguev. Le 7 mars 1988, trois fedayin ont réussi à détourner un bus de passagers dans le Néguev qui transportait des employés de haute sécurité du complexe de Dimona. Les trois guérilleros furent tués avec les trois employés israéliens, mais l’OLP cria victoire. Furieux, le ministre israélien de la guerre de l’époque, Itzhak Rabin, ordonna au chef du Mossad, Nahum Admoni, de préparer l’assassinat d’Abou Jihad, ce qui aurait un double objectif : se venger de l’attaque de Dimona, et remonter le moral des  Israéliens après quatre mois d’un soulèvement palestinien dans les territoires occupés, contre lequel Israël semblait impuissant.

La trinité de l’espionnage israélien

Dans leur livre, Israel’s Secret Wars (les guerres secrètes d’Israël) publié en 1992,  Ian Black and Benny Morris décrivent ainsi l’opération menée : «Le Mossad, le Shin Bet et Aman—la trinité de l’espionnage israélien— avaient traqué Abou Jihad depuis des années. Le 15 avril 1988, de la frégate «Fleet 13» de la marine israélienne ont débarqué sur une plage de la côte tunisienne à bord de canots pneumatiques 30 hommes-grenouilles membres du commando de l’unité de reconnaissance «Sayeret Matkal». Ils sont entrés en liaison avec les sept agents du Mossad qui, voyageant avec de faux passeports libanais et parlant bien l’arabe libanais, avaient formé l’avant-garde de l’opération. Ayant loué des véhicules, ces derniers ont conduit le commando au quartier où habitait Abou Jihad, qu’ils avaient étudié et repéré.

Le général Ehud Barak (devenu plus tard Premier ministre d’Israël) a coordonné l’opération avec le chef de l’armée israélienne en personne Dan Shomron d’un vol Boeing 707, aménagé comme un AWACS américain, donnant à l’opération une supériorité technologique écrasante. Sur le terrain, l’équipe a réussi à bloquer toutes les communications téléphoniques à Sidi Bou Saïd.

Un groupe du commando était responsable du contrôle de l’extérieur de la villa d’Abou Jihad. Cette équipe a tiré sur  le chauffeur, le tuant sur le coup. L’autre groupe a brisé la porte d’entrée de la villa et a tué un gardien tunisien à l’aide d’un silencieux. Abou Jihad était en haut de l’escalier, un pistolet à la main. Quatre membres du commando ont ouvert le feu sur lui. 70 impacts de balle ont été trouvés sur son corps.  Sa main droite, qui tenait le pistolet a été pulvérisée. L’assassinat a eu lieu devant les yeux de son épouse. Deux de leurs cinq enfants étaient dans la villa : Nidal, 2 ans, et Hanan, 14 ans. 

Le soir de l’assassinat, Avi Pazner, le porte-parole du Premier ministre Itzhak Shamir, a  nié la responsabilité d’Israël. Bien entendu,  il savait que Shamir et Rabin avaient ordonné le coup».

24 ans plus tard, la revendication

Ce n’est qu’en 2012, soit 24 ans après l’opération, qu’Israël reconnaît officiellement sa responsabilité dans un article publié par le quotidien Yediot Aharonot sur la base du témoignage de Nahoum Lev, l’officier qui l’a conduite sur le terrain. Le journal indique avoir été autorisé à publier les détails de cette opération à la suite de six mois de négociations avec la censure militaire.

Dans une interview réalisée avant sa mort dans un accident de moto en 2000, publiée pour la première fois, Nahoum Lev a raconté que le commando composé de 26 personnes  a débarqué secrètement sur la plage. Un premier groupe, dirigé par Lev lui-même, s’est approché en voiture à 500 mètres de la résidence d’Abou Jihad. Accompagné d’un soldat déguisé en femme, afin de passer pour un couple en balade nocturne, Lev tenait une boîte de chocolat dans laquelle était dissimulé un pistolet muni d’un silencieux. Il a d’abord abattu un garde ensommeillé dans une voiture, puis un second groupe, au signal prévu, s’est engouffré dans la villa après en avoir forcé la porte. Masqué, le commando a tué un second garde qui venait de se réveiller et n’a pas eu le temps de dégainer son arme. Un jardinier, qui dormait dans la cave de la villa, est aussi tué. Un des assaillants  monte les escaliers jusqu’à la chambre à coucher d’Abou Jihad «et a tiré le premier sur lui». «Apparemment, il (Abou Jihad) avait un pistolet. J’ai tiré sur lui une longue rafale, en faisant attention de ne pas blesser son épouse qui était apparue, et il est mort. D’autres membres du commando ont également tiré pour s’assurer qu’il était mort», ajoute Nahoum Lev.

Cette version des faits est contestée par les Palestiniens. Abou Tayeb, Mahmoud Natour, chef à l’époque de la «Force 17», le groupe d’élite chargé de la sécurité de Yasser Arafat, pense qu’Israël avait donné cette version spectaculaire pour des raisons de propagande en estimant que les agents infiltrés à Tunis suffisaient pour accomplir le forfait sans besoin de la logistique de la marine et de l’armée de l’air. Les véhicules de location abandonnés près de la plage étaient destinés à la diversion et pour accréditer la version, estime-t-il.

Lire aussi:

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