Opinions - 08.11.2013

Soyons responsables avant de finir coupables

Nous venons de fêter 1435 et nous fêterons bientôt 2014 et la Tunisie continue comme si elle était en dehors du temps universel, perçue comme étant de plus en plus risquée elle se rend de moins en moins utile aux siens comme au reste du monde.

Au lendemain du déclenchement du printemps Arabe en Tunisie, nos frères Marocains ont engagé un dialogue impliquant majorité et opposition, société civile et institutions du Royaume puis refait leur constitution en 3 mois, renouvelé leur parlement et leur gouvernement en 6 mois et depuis 2012 l’économie du pays s’est remise en route malgré l’arrivée dans la nouvelle majorité d’islamistes qui apprenaient à gouverner. La jeunesse marocaine a vu ses revendications devancées par les propositions responsables du Roi et de la nouvelle classe politique qui ont certes composé avec leurs intérêts partisans tout en préservant l’intérêt supérieur de la Nation.

Le Maroc n’a pas de pétrole mais étant leader mondial dans le phosphate, son groupe OCP a pris les mesures nécessaires pour régler ses difficultés internes, gagner en performance, diversifier ses activités et se développer à l’international avec une stratégie de leadership agressive lui garantissant de nouveaux marchés à moyen et long terme. Ceci est juste un exemple d’attitude collective responsable parmi tant d’autres, chez un peuple qui travaille et produit bien plus qu’il ne parle ou consomme.

Nous pouvons nous féliciter en Tunisie d’être dans une situation meilleure que celle de l’Egypte ou la Libye, grâce à une administration qui a su tenir le pays dans la difficulté mais ne nous trompons pas en laissant plus de temps qu’il ne faut au temps, nous générons de nouvelles difficultés qui fatiguent nos citoyens et déroutent notre jeunesse, ralentissent durablement notre économie et augmentent la pression dans notre cocotte sociale!

Certes, le dialogue national a naturellement connu des difficultés, les divergences des intérêts partisans étant bien plus puissantes que les convergences vers l’intérêt de la Nation, une  focalisation excessive étant portée sur la personne qui serait le prochain chef du gouvernement et qui rassurerait la majorité ou l’opposition. Ne ferions-nous pas là une erreur de plus? Avec tout le respect que nous avons pour Si Abdelmajid Chetali, personne y compris chez nos politiciens ne croirait qu’en lui confiant aujourd’hui  notre équipe nationale nous garantirions mieux une prestation d’excellence au Mondial 2014 au Brésil! Si la compétition mondiale de football revient tous les 4 ans, la compétition économique mondiale est un combat de tous les jours (24x7). La Tunisie se noie dans ses querelles internes alors que sa vraie bataille est externe, elle s’appelle la mondialisation et nous ne saurions l’ignorer indéfiniment.
   
Depuis bientôt 3 ans, nous avons bien voulu croire que notre problème principal était politique, que la solution pour les uns et les autres passait par la prise du pouvoir, que notre approche serait démocratique et qu’elle serait portée par des acteurs dont certains sont de bonne volonté et d’autres malheureusement hypocrites et/ou incompétents et que nous pourrions sans risque faire chacun ce qu’il voudra avec ceux en qui il a confiance, sans pour autant être tenu pour responsable  de quoi que ce soit !

Pas étonnant si on a tourné en rond à côté de la plaque, sacrifiant de ce fait l’économique et le social, la justice et la sécurité… oubliant les exigences des artisans de la première révolution!

Avec toutes les tergiversations, c’est à se demander si notre classe politique a bien compris les vraies difficultés du pays. Malheureusement, en cas de naufrage, ceux qui auront cru avoir compris seront autant coupables que les autres responsables !

Comment peut-on continuer 3 ans après la révolution à ignorer que nous avons besoin d’un véritable programme avec plan d’action court terme solide pour sortir de l’impasse, plan à faire porter par une équipe compétente et dévouée qui en réussirait l’exécution dans les meilleurs délais, laquelle équipe a peu de chances de se trouver dans les rangs d’un quelconque parti politique, même en 2014 ! Ceci est d’autant plus surprenant que les ressources humaines en général et les compétences avancées en particulier représentent le principal capital de la Nation.

La réalité de notre Tunisie est unique même si nous avons l’impression que son interprétation change d’un parti politique à un autre. Si nos partis politiques avaient sérieusement élaboré et publié des programmes politiques économiques et sociaux chiffrés, nous aurions constaté que 90% des programmes étaient communs à court terme, car il n’y a pas 36 solutions pour sortir de notre crise structurelle. Il nous faut remettre le pays au travail dans la sérénité, créer davantage de richesses pour reconstruire le pays et rétablir les équilibres fondamentaux de la société… Force est de constater que la liberté d’expression et la nouvelle constitution n’ont pas encore donné un emploi aux chômeurs ni à manger aux pauvres !

Que ferions-nous en 2014 ou 2015 d’un parlement élu démocratiquement, d’un Président de la République et d’un Gouvernement nommés conformément à la nouvelle constitution si par ailleurs:

  • nos décisions ne sont pas pertinentes et nos capacités d’exécution sont faibles!
  • notre loi de finance ne fait pas le développement dont nous avons besoin ou n’est pas crédible!
  • nos investisseurs s’engagent pour la plupart dans l’immobilier minimisant les risques et évitant les investissements productifs et créateurs de richesse!
  • nos riches continuent égoïstement pour la plupart à échapper à notre fiscalité, prétextant qu’il ne faut pas encourager  une administration lourde et parvenant à obtenir les services dont ils ont besoin en les finançant discrètement et directement pour bien moins cher!
  • nos travailleurs refusent de produire davantage si c’est pour enrichir des patrons trop égoïstes dans le secteur privé ou pour servir dans le public un Etat qui part à la dérive!
  • nos compétences sont mal exploitées, notre jeunesse est profondément désemparée, nos citoyens préoccupés par les difficultés du présent sans énergie ni perspectives pour préparer l’avenir, notre société compte de plus en plus de cigales et de moins en moins de fourmis!!
  • l’informel, l’opacité, la corruption, les incivilités… deviennent la norme!
  • les institutions internationales nous regardent de loin dire ce que nous ne faisons pas et faire ce que nous ne disons pas et refusent de mettre de l’argent dans notre puits sans fond!

Si la situation s’aggravait davantage en Tunisie, une exaspération durable gagnerait nos citoyens et compliquerait davantage la tâche des prochains gouvernements sur les 15 prochaines années. Nous verrions alors une bonne partie de nos politiques opportunistes d’aujourd’hui se retirer parce qu’un pouvoir agonisant ne servirait plus leurs intérêts personnels!

Ces opportunistes qui cherchent encore à exploiter le système pour certains et à se protéger déjà pour les autres feraient mieux de faciliter la convergence et la sortie de crise de façon responsable dès à présent, bien avant qu’ils ne se retrouvent tous coupables.

Par ailleurs, c’est une chance que d’avoir autour de la table l’UTICA et l’UGTT et il faudrait en profiter pour que le dialogue national aboutisse aussi à des engagements qui dépassent notre impasse politique actuelle :

  • Que l’UGTT s’engage à convaincre l’ensemble des travailleurs de se remettre au travail productif (au-delà des heures de présence), que le travailleur dans le privé contribue à un gain de productivité pour mériter une augmentation de son pouvoir d’achat et que le travailleur dans le public accepte la nécessité pour nos services publics de gagner en efficacité en produisant davantage, plus vite et mieux, ramenant les dépenses publiques à la hauteur de ses recettes, sans recours à plus de dettes (nous et nos enfants en avons déjà beaucoup à payer!)
     
  • Que l’UTICA s’engage à convaincre l’ensemble du patronat tunisien de contribuer au développement du pays par l’investissement productif (hors immobilier) et le paiement des impôts (nous ne pouvons continuer à afficher des bilans peu bénéficiaires dans les entreprises alors que le patrimoine des actionnaires a augmenté de façon exponentielle depuis des années).

Le prochain gouvernement devra certes gérer les affaires courantes, permettre l’aboutissement des élections démocratiques, rétablir la sécurité et relancer l’économie mais il ne pourra réussir s’il n’a pas le soutien et l’engagement ferme et inconditionnel de toutes les parties, les partis politiques certes mais aussi la société civile en commençant par l’UGTT et l’UTICA (chacun pour ce qui le concerne ci-dessus).

Il nous faudrait absolument une bonne équipe de vrais courageux, sincères et loyaux, qui évoquent les sujets difficiles en toute transparence et affrontent les vrais challenges, qui proposent des solutions et osent engager leur mise en œuvre, qui agissent dans l’intérêt durable de la nation et produisent des résultats à court et moyen terme.

Nous n’avons pas nécessairement besoin de conditionner le choix de l’équipe par le choix de son chef. D’ailleurs s’il nous est permis d’inspirer un soupçon de démocratie participative, il sera plus pertinent et plus facile de faire avancer la convergence du dialogue avec les membres de cette équipe qui se constituerait progressivement dans les prochains jours et dont les membres devraient être consultés pour le programme à exécuter et pourquoi pas pour le choix de leur chef de gouvernement.

Faisons quelque chose quitte à nous tromper et corriger le tir, nous irons certainement plus loin en agissant dans l’intérêt du pays qu’en discutaillant sur place. Soyons les responsables d’aujourd’hui et évitons d’être les coupables de demain.

Vive la Tunisie.

Mounir Beltaifa

Tags : islamistes   opposition   p   Printemps arabe   soci   Tunisie  
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3 Commentaires
Les Commentaires
Riadh Chatti. - 09-11-2013 10:54

Analyse très pertinente ! BRAVO !!

tahri faycal - 09-11-2013 15:06

cher mounir ton article montre ton patriotisme et ton indépendance , certes une guerre idéologique aveugle bloque aujourd'hui toute les issus pour une solution durable pour notre paye une classe politique qui n a pas su donner une priorité au intérêts de la nation et une classe trahisante a ce pauvre peuple la solution est économique en premier lieu , puis politique économique en libérons la création de la richesse par des moyens et grand projets en dehors de l immobiliers pour créer des emplois et rassurer les régions défavorisées .... politique par le courage des hommes et femme indépendant qui rassurent ce peuple et cette classe politique également que ces technocrates son vacciner contre les dérivent idéologiques ... cher Mounir , je suis choqué de cette haine entre les politiciens de notre pays...multiplier les initiatives de médiation et de dialogue ... courage cher ami .... vive la Tunisie

Nouira Habib - 24-11-2013 23:21

Je pense cher Mounir que le premier obstacle au dialogue national est la crise de confiance qui s est installée entre les partis au pouvoir et l opposition et surtout entre les promesses non tenues par ennahdha et le peuple en général . C est un dialogue de sourds et de mauvaise foi auquel nous assistons avec une descente progressive des valeurs morales et intellectuelles vers le bas. Dommage pour notre beau pays mais je tiens à dire arrêter de dire toujours POURQUOI et de répondre par POURQUOI PAS

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