Opinions - 05.03.2013

Avons-nous "la gauche la plus bête du monde"?

Guy Mollet qualifia la droite française  de « la plus bête du monde », qui  par sa division, ses guéguerres intestines offrit sur un plateau à la gauche des scrutins qui lui étaient promis. L’opposition tunisienne court derrière elle-même, elle finira par attraper le titre de la  bêtise, lors que le pays est en passe de basculer dans une dictature théocratique. Les positions des uns, les postures des autres opposent  l’opposition  à elle-même. Un jeu qu’avait bien compris F. Mitterrand vieux briscard de la politique,  qui étrangla la droite républicaine par sa main droite, les triangulaires entre PS, RPR et FN ont  été systématiquement fatales à la droite. C'est le scénario qui se profile à l‘envers, si des élections se produisent en Tunisie, l’extrême-gauche pourrait contribuer à la victoire incertaine d’Ennahdha,  nous pourrions dire en politique-fiction, que la Tunisie sera dotée de « la gauche la  plus bête au monde » alors que, Ghannouchi n’est pas Mitterrand.

 L’alliance autour de Nidaa Tounes fut une initiative lucide qui appelait à un élargissement à sa gauche jusqu’à  "la Jebha". L’assassinat Odieux de Chokri Belaid aurait pu être le déclic qui persuaderait la Nomenklatura gauchiste de revoir son positionnement pour ouvrir la voix vers une coalition progressiste en face d’Ennahdha  dont l’arrogance ne  se nourrit que de la dispersion de ses opposants. Nous assistons depuis à la  course à l’échalote,  chacun poursuivant  ses projets chimériques, comme si des élections libres et démocratiques étaient garanties. C’est la maladie infantile des  révolutionnaires. A leur décharge, les ambitieux se verraient bien Président à la place du Président ou, 1er ministre à la place du 1er ministre, la compétition est ouverte à n’importe qui lorsque l’échec et l’incompétence deviennent des vertus.

Imaginons un seul instant une opposition organisée structurée, unifiée autour d’un socle minimaliste que d’aucuns partagent autour de l’Etat,  La République,   la Démocratie. Y a-t-il  de plus fondamental ?
L’arithmétique électorale donne  mécaniquement un poids à l’opposition, pour le moins équivalent à Ennahdha.   Dans une phase de transition,  le rôle de l’opposition est vital en raison de la persistance des reflux réactionnaires et du jeu des forces involutives. Ils ont beau s’égosiller  sur les plateaux,   les progressistes ne sauraient être audibles par la majorité du peuple que s’ils articulent distinctement   une alternative claire,  crédible   ouvrant une autre perspective, un espoir,  avec des mots  vrais affranchis des « éléments de langage »  et, du lyrisme incantatoire. Le peuple n’a pas atteint la maturité politique qui lui donne la possibilité de saisir la subtilité des nuances sur un échiquier politique  teinté par-ci de  centre- gauche, coloré par-là de  centre -droit. La force  du discours Nahdhaoui est sa simplicité,  son simplisme,  il sérine invariablement le même leitmotiv : « il  y a  nous,  musulmans et les autres » , un  manichéisme ô combien critiquable,  intellectuellement malhonnête à la portée  de n’importe quel orateur cadre ou sous-fifre de la myriade  wahabo- islamiste, il  fonctionne, il fait mouche.

Si "El Jebha"  persiste à faire cavalier seul, exploitant à l’excès le martyr de Chokri Belaid, elle risque de dilapider un capital sympathie  qui comme chacun sait s’amenuise aussi vite qu’il se constitue. Les enjeux actuels ne sont pas programmatiques, il serait dérisoire d’opposer au pôle « centriste » ses inclinations libérales. Dans  la situation économique actuelle,  aucun programme politique ne peut s’affranchir de l’intervention de l’Etat au moment où le gouvernement «  non constitué » signe un plan d’ajustement structurel avec le FMI, fidèle à ses dogmes utilitaristes, imposant aux débiteursde restituer au marché sa primauté. Il est bien connu que les lois du  marché sont solubles dans la piété et inversement, les besoins des pauvres Dieu y pourvoira,  quant aux   mœurs,  le calife y veillera. Le débat sur les choix économiques est central ; il est d’ailleurs très étonnant que personne n’en parle, faut-il rendre hommage aux manœuvres de diversion du pouvoir en place ? C'est Ennahdha qui donne le tempo, et désigne le sujet à débattre,  avec un certain succès somme toutes, aujourd’hui l’excision des filles, demain El Assida, après demain, la mixité dans les écoles. Entre temps, nos opposants s’opposent à eux-mêmes, ils  arrivent à se neutraliser. Cherchez le bénéficiaire ! 

La responsabilité du Front populaire dans les prochains mois sera énorme par-delà son poids électoral réel ou présumé sur la scène politique, son alliance avec les forces progressistes est une nécessité historique pour barrer la route à la dictature. Viendra le moment de discuter du programme politique et des choix économiques.Les fondamentaux  sociaux  de la Jebha dans toute sa diversité y trouveront leur place, qu’il s’agisse de rééquilibrage régional, de  protection sociale ou d’arbitrage  économique. Tout entêtement du Front de Gauche à vouloir se démarquer de la coalition centriste est un secours  indirect  apporté à la Troïka en perte de vitesse et, un soutien contre-nature  à Ennahdha responsable moral de l’assassinat de sa figure emblématique. Quant aux déclarations pour le moins troublantes  de certains responsables du quintet de la  coalition, elles sont pour le moins politiquement vaines, ils jettent  le doute sur la crédibilité d’une alternative unifiée. Dans le camp d’en face, on affiche une unité -au moins de façade-, on n’hésite pas  à embrasser le front de son chef devant les caméras pour  reprêter serment au Calife « El Bayâa »,  pour exprimer son obéissance « El Wala’ ».

Les sondages d’opinion affirment que près de 40 % de l’électorat est indécis ou ne voterait pas, si des élections ont lieu aujourd'hui. On  retrouve le  même désenchantement, le même désintérêt de la chose politique du  23 octobre. Le seul vainqueur d’un tel scénario sera celui qui a remporté le dernier scrutin. Lui, il mobilisera ses troupes et saura acheter ses votes, les défaits seront les mêmes  qui partis en ordre dispersé lors des dernières élections s’opposent à eux-mêmes aujourd’hui et, creuseront  ainsi le caveau de l’Etat, de la République et, de la Démocratie. Hara Kiri. Qui rira le dernier ? Ennahdha.

Mohedine Bejaoui
 

Tags : d   dictature   Ennahdha   Nida Tounes   r   troika   Tunisie  
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2 Commentaires
Les Commentaires
sarouchka - 05-03-2013 23:33

Bravo pour cette magnifique analyse lucide et bien édifiante !

ali bouziri - 06-03-2013 10:56

J'espère que nombreux sont ceux qui liront cet article, o combien clairvoyant, et prendront le parti d'être Politique dans cette phase de transition vers la démocratie. Car sachez que nous nous y orientons sans l'avoir encore atteinte tant les risques de retomber dans la dictature, théocratique ou autre, sont réels.

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