Opinions - 15.01.2013

La révolution tunisienne est-elle finie ?

Edgar Morin a été le premier penseur à évoquer dans une contribution au Monde quelques mois seulement après la chute des dictateurs l’accumulation des nuages dans l’horizon des révolutions arabes(1) . Il a souligné notamment que « le magnifique élan des premiers mois de 2011 est entré désormais dans les aléas de l'Histoire. Comme tout élan de liberté il est un pari, et comme tout pari il doit s'accompagner de stratégie, c'est-à-dire de souplesse et d'inventivité face aux obstacles, aléas, et se modifier en fonction des informations nouvelles qui arrivent en chemin. Il connaîtra certainement des défaites et des malheurs(2)  ». Un regard lucide sur les défis multiples auxquels étaient confrontés les printemps en cours. Mais, en aucun cas chez Edgar Morin ces difficultés allaient mener à la fin des révolutions et les nuages allaient se traduire par l’avènement des hivers et le retour du froid glacial de l’autoritarisme. Au contraire, il réaffirme que l’espérance créé avec la chute des dictateurs ne fera que poursuivre son chemin pour faire de la liberté la nouvelle frontière du monde arabe. Il souligne que ce printemps « porte en lui un principe de génération et de régénération qui provoquera de nouveaux levers de soleil(3) » .

La thèse de la fin des révolutions arabes va surtout revenir au centre des débats après la victoire des islamistes dans les élections en Tunisie et en Egypte. Progressivement, l’espérance créée par la chute des dictatures se transforme en scepticisme et en inquiétude. Ces peurs et ces angoisses ont été nourris par la grande visibilité de l’islam politique dans le champ public et des attaques répétées sur les expressions libérales des modes de vie dans les pays arabes et qui vont des modes de se vêtir jusqu’à la consommation d’alcool ou aux attaques contre les journalistes et les artistes. Par ailleurs, la multiplication des attaques contre les femmes ont rappelé les sombres jours d’avant l’éclatement de la guerre civile en Algérie. Ces inquiétudes ont été renforcés par les valse de nominations tous azimuts opérés par les nouveaux pouvoirs aux différents échelons de l’Etat de cadres qui leurs sont acquis voire de leurs propres militants et qui a laissé croire à une volonté systématique de prendre le contrôle de l’appareil de l’Etat. La montée de la violence politique n’a fait qu’exacerber ces craintes et les désarrois.

Ces inquiétudes et ces interrogations ont été à l’origine d’un retour en force d’un grand scepticisme analytique dans l’analyse des transitions en cours dans le monde arabe. Zyad Limam pose la question de la fin de la révolution en Tunisie en couverture de son Magazine Afrique Magazine(4) . Mais, si la question est grave le propos est moins sceptique et il met l’accent sur les dynamiques en cours qui laissent présager l’invention d’une nouvelle démocratie dans le monde arabe. Il souligne «on pourrait croire que tout est perdu. Et pourtant, c’est peut-être ici que s’invente une nouvelle démocratie(5) .

Mais, ceux qui posent la question de la fin de la révolution arabe ne partagent pas l’optimisme de Zyad Limam et sont, au contraire, persuadés que ces printemps ont ouvert la voie à un long et douloureux hiver islamiste dans le monde arabe(6) . Ce sont Robert Malley et Hussein Agha qui expriment le mieux cette thèse et soulignent de manière aussi péremptoire que brutale que « les ténèbres sont tombées sur le monde arabe. La lutte pour une amélioration de la vie de chacun a sombré dans le gâchis, la mort et la destruction. Les puissances étrangères se disputent pour gagner de l’influence et elles règlent leurs comptes. Les manifestations pacifiques par lesquelles tout cela a commencé et les valeurs nobles qui les ont inspirées sont devenues de lointains souvenirs (7)» .

A qui la faute dans cette déroute des révolutions arabes et le retour progressif du « despotisme oriental » ? Deux explications sont avancées par Hussein Agha et Rober Malley. D’abord, l’absence de grandes figures et de grands leaders charismatiques qui à l’image des pays de l’Est de l’Europe ont usé de leur légitimité pour ouvrir les perspectives d’une transition démocratique consensuelles dans leurs pays. La seconde explication est la faiblesse des forces démocratiques et libérales qui n’ont jamais réussi à trouver un ancrage social et politique dans les sociétés arabes. Ces ingrédients ont laissé la voie ouverte aux forces de l’Islam politique et aux différentes tendances des frères musulmans de prendre un pouvoir qui leur tendait les bras. Ainsi, les islamistes ont-ils pu gagner facilement les élections démocratiques dans les différents pays arabes. Mais, surtout les deux essayistes soulignent que ces forces ne seront pas prêtes à quitter le pouvoir et par conséquent vont fermer définitivement la parenthèse ouverte pendant un demi-siècle par les pouvoirs nationalistes pour retrouver la grande tradition de l’Etat religieux et du Califat.

Dans cette thèse, la fin des printemps arabes et la restauration du pouvoir religieux ne sont pas des épiphénomènes pour beaucoup d’orientalises ou des situations conjoncturelles liées aux victoires électorales. Au contraire on est en présence d’un phénomène structurel et d’une lame de fond qui devraient remettre les sociétés « orientales » dans leurs trajectoires historiques et corriger la déviation opérée par les régimes nationalistes aux moments des indépendances. Mais, cette déviation n’a jamais réussi à inscrire l’Etat moderne et lui donner une véritable profondeur sociologique. Ainsi, soulignent Hussein Agha et Rober Malley, « intrinsèquement faibles et ne jouissant que d’une maigre légitimé, les Etats arabes ont tendance à être vus par leurs citoyens avec suspicion, comme des organismes étrangers superposés à des structures plus profondément enracinées, des structures sociales familières héritées d’une longue histoire n’ayant connu d’interruption(8) » . Certes, les deux essayistes reconnaissent qu’une fenêtre pourrait s’ouvrir à d’autres forces si les islamistes échouent à répondre aux aspirations des révolutions arabes. Mais, la grande interrogation demeure et si les jeunes manifestants libertaires de la Kasbah et de la place Tahrir n’ont fait que remettre la roue de l’histoire orientale dans sa véritable trajectoire en éliminant les pouvoirs nationalistes dont l’autoritarisme empêchait l’orient de retrouver son âme et le fondement religieux du pouvoir ? Et, les essayistes de préciser « le siècle écoulé a-t-il été une déviation aberrante de la trajectoire fondamentalement islamique du monde arabe ? Ou la renaissance islamiste à laquelle nous assistons est-elle un retour fugace et absurde à un passé depuis longtemps dépassé ? (9)» .

Ainsi, les inquiétudes et les angoisses devant les transitions en cours dans les pays du printemps arabe sont à l’origine d’un scepticisme ambiant et d’un important doute analytique qui s’exprime dans les thèses de la fin de la révolution et du retour du monde arabe à sa trajectoire historique marquée par l’hégémonie des royaumes des cieux et son incapacité à intégrer le temps des libertés et des démocraties. Mais, ces analyses imposent le regard orientaliste et omettent d’analyser et de scruter les dynamiques en cours et le potentiel libertaire et démocratique que projettent encore les transitions en cours. Certes, il faut saisir les défis et les difficultés et il faut les analyser et les comprendre. Mais, il faut aussi mettre en lumière le potentiel libertaire et la part d’utopie libéré par les printemps arabes et qui nourrissent encore la perspective de transition démocratique.

1. Voir Edgar Morin, Nuages sur le printemps arabe, Le monde, le 25 mai 2011.
2. Edgar Morin, op. cit.
3. Edgar Morin, op. cit.
4. Afrique Magazine, Novembre 2012.
5. Afrique Magazine, op. cit.
6. Voir plusieurs contributions dans ce sens notamment : Souhir Stephenson, Tunisia, a sad year later, International Herald Tribune, November 1, 2012. Voir aussi le dossier « Les grands chantiers du monde arabe », Le Monde du 7 et 8 octobre 2012.
7. Voir Hussein Agha et Rober Malley, Où mènera le réveil islmaiste dans le monde arabe ?, Le Temps, Jeudi 22 novembre 2012.
8. Hussein Agha et Rober Malley, op. cit.
9. Hussein Agha et Rober Malley, op. cit.

 

Hakim Ben Hammouda

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1 Commentaire
Les Commentaires
tounesnalbaya - 22-01-2013 10:07

Non Monsieur, la révolution Tunisienne n'est pas finie, une nouvelle révolution se prépare de plus belle, car le peuple Tunisien en a mare des promesses non tenues par ces anciens détenus.

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