Success Story - 27.03.2009

Karim Ghariani

Sweet shirt et sac à dos, comme tous ses pairs, Karim Ghariani, à 19 ans, est déjà une icône des mathématiques. « Mais je n’ai rien fait, rien inventé, s’en défend-t-il presque. Juste, ai-je trouvé une nouvelle formule. Une nouvelle démonstration et non de nouveaux résultats. Avec des outils simples, abordables, à la portée des cours de prépa. »

Derrière ses lunettes, ses yeux brillent. Le verbe est sincère, sortant des tripes, de l’âme. Ce jeune-père de la désormais célèbre Karimation, s’excuse presque de son succès, et surtout du plaisir éprouvé dans tout ce qu’il fait. Pianiste (Blues et Jazz, avec 3 CD déjà lancés), tennisman (et entraîneur), et simple étudiant en 1ère année à l’INSAT (bachelier de la toute dernière session, de juin 2008), parfaitement quadrilingue (arabe, français, italien et anglais), il entreprend le tout, simplement, avec passion, et pour le fun. Retour sur une saga précoce.

A chacun son quartier, véritable port d’attache. Hier c’était Bab Souika et Halfaouine. Aujourd’hui, c’est El Manar et Ennasr. Pour Karim Ghariani, son fief, sa « Houma », c’est Les Berges du Lac, là où il a grandi, où il vit, vibre et s’inspire, depuis maintenant 12 ans. Sa naissance, c’était une semaine avant la fin de l’année 1989, le 27 décembre, à Perugia, en Italie. Son père, Rafet, graphiste talentueux y était envoyé poursuivre ses études en beaux-arts et y était resté quelques années de plus, exercer son art auprès d’agences réputées. A 6 ans, l’âge de l’école, les parents de Karim conviennent qu’il faudrait revenir au pays et inscrire leur fils à l’école publique. Ce fut l’école Taieb Mehiri, à la Marsa, non loin de la maison familiale. Puis, dès que ses parents élisent domicile au Lac, ce fut celle d’El Aouina, la plus proche à la ronde. Avec ses copains de quartier, il ira par la suite au Collège, le plus proche toujours, de l’Avenue Louis Braille. Mais, une fois admis au Lycée, il remonte vers celui de Carthage Byrsa. Et c’est là que se produit alors son coup de foudre pour les mathématiques.

Piano, tennis et Maths


« Je n’y avais aucune disposition particulière, se souvient Karim. Je m’appliquais beaucoup plus lors des cours privés de piano, avec Si Mohamed Ali Kammoun, un virtuose, et de tennis, avec Si Walid Ben Youssef, une raquette d’or. Mais, mon professeur de maths, Si Mohamed Bakkay, avait décelé en moi un embryon d’engouement qu’il s’est empressé de cultiver et encourager. Va pour les maths ! Exercices, participations aux éliminatoires des Olympiades, jeux mathématiques, et exercices. Bac Math, avec un score de 16.90, ni exceptionnel, ni moyen, mais respectable et surtout utile pour me permettre de rallier mon 1er choix, l’INSAT. »

L’année commence bien. Découverte de ce nouvel univers et de l’excellente ambiance de l’INSAT avec des enseignants de grande qualité : Mehdi Abouda, Hichem Gargoubi et Mme Nadia Hmida, sont dans le peloton de tête. En décembre 2008, il se lance dans une démarche très attractive, en matière de développement limite de la tangente. Jusque-là, le résultat existe et, il est sans cesse enrichi depuis plus d’un siècle. Les premiers cheminements sont connus et communs. Mais, soudainement, Karim Ghariani plonge dans une nouvelle démonstration. Trois jours durant, sans relâche, il griffonne ses formules, les affûte, essayant de pousser à fond l’analyse, à la recherche de nouveaux coefficients, avec des outils simples, accessibles. Ces 3 premiers jours, de 24H en fait, lui ouvrent de nouveaux horizons. Et c’est une nouvelle plongée, de 3 semaines, cette-fois-ci, les vacances d’hiver aidant. Karim n’a aucune certitude et ne soupçonne pas la moindre innovation. Mais, la démonstration lui semble originale.

Le réconfort des Maîtres

Humblement, il soumet ses brouillons à son « Maître », M. Mehdi Abouda qui les déchiffre attentivement. L’éminent enseignant s’arrête longuement sur certaines formules, les relit patiemment, revient sur des détails, puis, soudain, il semble tomber sur des pépites. Aller-retour en plusieurs épisodes, Karim remet ses formules sur le métier. Restructuration, rédaction, reformulation. M. Mehdi Abouda n’est pas un simple enseignant. Spécialiste en analyse factale, fondateur de l’association tunisienne de nanotechnologie, la première au Sud de la Méditerranée et en Afrique, c’est une véritable référence en la matière.

Plusieurs fois il retourne la démarche de Karim Ghariani dans sa tête. Plusieurs fois, il consulte ses pairs en Tunisie et à l’étranger. Nous ne sommes pas devant de nouveaux résultats, mais des outils simples et quasi-élémentaires.

Karim Ghariani n’en croit pas ses oreilles. En toute confiance, il avait confié ses recherches à ses maîtres qui, dans l’honnêteté la plus absolue et la rigueur scientifique, l’ont encouragé, soutenu, aidé à les peaufiner. D’autres, sous d’autres cieux, les auraient usurpées. Mettez alors la parole d’un jeune tunisien contre celle d’un grand professeur d’un grand pays. Certains poussent Karim à garder ses trouvailles en catimini, pour les ressortir dans quelques années, pour décrocher la maîtrise, ou le mastère. Mais, les conseils de ses maîtres, précieux, sont univoques. Il faut y aller et les publier. « Je ne cherche qu’à les partager avec la communauté des mathématiciens, sans la moindre prétention, confie Karim à Leaders. Je suis persuadé qu’en les publiant, elles seront enrichies et serviront davantage ! »

Pourquoi Karimation ?

Soutenance en interne devant des mathématiciens tunisiens émérites : la démonstration est très convaincante ! « Tbarkallah Alik, lui dira un grand scientifique ». Il ne manque plus qu’à lui recommander du Seinouj contre le mauvais œil. Mehdi Abouda l’aidera dans la rédaction, et la présentation de ses travaux à Wikiversité ce grand réseau « communautaire francophone visant à produire et à diffuser des documents pédagogiques (cours, exercices, TD, documents audio, etc.) » collaboratif où tout le monde peut participer. Vérifications faites, c’est accepté ! Google fera le reste.

Quel nom donner à ses trouvailles? Karim n’hésite pas une seconde. Pianiste talentueux, il est connu sous le nom de Karimdione ! A présent, et s’agissant de mathématiques, va pour Karimation ! La formule fait mouche. Karimation et formule explicite des nombres de Bernoulli deviennent  rapidement, par la viralité du Net, l’actualité en la matière.

Evidemment, les félicitations sont aussi chaleureuses que nombreuses. Mais, avec des bémols, parfois, des controverses sur certains blogs et forums. « Il me rappelle, quelque part le Will Hunting (Good Will Hunting) du film américain de Gus Van Sant sorti en 1997, remarque une cinéphile doublée d’une mathématicienne. »

Gardant la tête froide, et ne comprenant pas le Net qui lui tombe sur la tête avec tant de félicitations que de controverses, Karim revient à son simple statut d’étudiant en 1ère année à l’INSAT, confronté à la pression de la révision, et aux examens qu’il doit passer dès le retour des vacances, ce lundi. Pour lui, Karimation, c’est déjà du passé. C’est vers l’avenir qu’il faut regarder. Une lueur éclaire son visage : heureux de contribuer à montrer ce qui se fait par les étudiants et les enseignants de l’INSAT. Mais il va falloir faire encore plus… humblement, modestement. Karim reprend son sac à dos. Point de piano, ce week-end et encore moins de raquette ! Téléphone éteint, chût ! Il révise.

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