Notes & Docs - 30.03.2009

La crise financière et la Microfinance

  • L’impact de la crise financière sur le secteur de la microfinance reste, pour le moment, minime. Cependant, l’intégration de la microfinance dans les structures traditionnelles a un prix. Résultat: augmentation de la probabilité que la crise financière ait un effet nuisible sur les institutions de la microfinance.
  • La pression exercée sur les clients par la crise financière risque de se traduire globalement par l’accroissement du portefeuille à risque des IMF. Les effets de la crise sur ces institutions frappent les IMF en fonction de la structure de leurs passifs, leur état financier, leur situation géographique, leur structure de financement et la santé économique de leurs clients
  • S’il est vrai que les premiers effets de la crise financière internationale ont tardé à se manifester en Afrique, son impact est aujourd’hui bien visible et emporte entreprises, mines, emplois, revenus et moyens de subsistance.
  • Les perspectives de croissance se sont sévèrement détériorées dans tous les pays. Les déséquilibres macroéconomiques se sont accentués, plusieurs pays faisant désormais face à des déficits budgétaires aggravés. La crise a contracté les échanges commerciaux, principal moteur de la récente forte croissance en Afrique. Outre la contraction des exportations, les flux de capitaux ont commencé à se tarir, y compris les transferts de fonds des migrants et les recettes touristiques.

Effets sur les IMF

  • La préoccupation la plus immédiate : l’effet de contraction mondiale des liquidités sur le coût et la disponibilité des ressources pour les IMF qui ne collectent pas de dépôts, puisque l’argent provenant de banques tant nationales qu’internationales se fait de plus en plus rare.
  • Au niveau du refinancement des IMF, le problème risque de s’accroître au cours des deux prochaines années. Les besoins de refinancement des portefeuilles des IMF sont estimés être de l’ordre de 1,8 milliards de dollars en 2009 (estimation de l’IFC, KfW). Les IMF, anticipant une pénurie de fonds, sont susceptibles de diminuer leur croissance et de réduire le nombre de nouveaux prêts qu’elles effectuent. Heureusement, les institutions internationales de finance on créé des outils de financement d’urgence pour les grosses IMF (ex : BID, SFI, KfW).
  • Les IMF qui empruntent en devises étrangères craignent le double choc de la hausse des taux d’intérêt et des coûts du remboursement en monnaie forte, étant donné l’affaiblissement récent des monnaies nationales. On constate une diminution des revenus nets des IMF provoquée par des pertes de change de l’ordre de 7 à  43% dans les dernières années. Cette augmentation se traduit par une augmentation des charges d’exploitation qui ne peuvent pas toujours être répercutées sur les clients.
  • Il semblerait que certaines IMF qui mobilisent l’épargne seraient confrontées à des retraits importants : par exemple, des banques de microfinance en Europe de l’Est et en Asie centrale ont subi une vague de retrait d’épargnes dans les semaines qui ont suivi l’annonce de l’effondrement de la banque Lehman Brothers. Cependant, les cas de retrait sur une grande échelle restent, pour le moment, rares et les IMF qui ont établi une base d’épargne stable sont moins à risque que celles qui empruntent sur les marchés internationaux.
  • La région Afrique semble moins affectée que l’Europe de l’Est et l’Amérique latine, qui sont plus intégrés au secteur financier formel. Les nombreuses institutions africaines qui dépendent de l’épargne n’ont pas grand besoin de ressources externes. Cela dit, la plupart de ces IMF mobilisent d’important dépôts qui proviennent de clients qui ne sont pas pauvres, et par conséquent risquent d’être bien plus sensibles au ralentissement de l’économie.
  • En ce qui concerne le financement du secteur de la microfinance par des investisseurs, les fonds d’investissements dans la microfinance et autres vecteurs d’investissement privé ne constatent pas d’amortissements importants, mais s’attendent à ce que la levée de fonds se fasse plus difficilement dans les mois qui viennent.
  • Le CGAP prévoit une hausse dans le financement public par rapport au financement privé commercial. Il est difficile de prédire la réaction des gouvernements mais ils risquent de redoubler de prudence : l’augmentation récente du capital minimum de 5 à 35 millions pour les banques en Algérie en est un d’exemple. De plus, au fur et à mesure que les budgets des gouvernements sont consacrés aux « bail-outs » des banques, le budget prévu pour l’aide au développement risque de diminuer, et la microfinance se trouvera en concurrence avec d’autres priorités, telles que l’aide à l’agriculture ou l’assistance humanitaire. L’aide à l’étranger a diminué de 8,4% en 2007, et la plupart des donateurs ne sont pas en mesure de garder leurs promesses d’augmenter leurs dons dans l’année qui vient.

Le secteur de la Microfinance en Afrique

  • La Microfinance existe sur le continent Africain depuis des décennies, mais puisque la plupart des institutions œuvrant dans le secteur n’offrent que des services aux groupes (prêts groupés), leurs produits ne répondent pas forcément aux besoins de toute la population. Le citoyen africain ordinaire a eu, jusqu’à présent, un accès très limité aux produits financiers de base, et ceux qui ont un compte en banque ont seulement accès aux services d’épargnes et de dépôts, sans aucune autre forme d’assistance financière.
  • Typiquement, les activités des IMF africaines touchent les travailleurs indépendants. Les salariés à faibles revenus ne tombent pas dans la catégorie de gens les plus pauvres, et sont donc exclus des programmes offerts par les IMF. Mais en même temps, ils ne sont pas considérés « banquables » par les institutions financières conventionnelles.
  • Il existe aujourd’hui plusieurs types d’IMF en Afrique : jusqu’à présent, le continent a connu surtout des entités financées par des bailleurs de fonds, mais l’apparition récente d’entités commerciales a diversifié les acteurs participant au secteur de la microfinance. Chaque modèle a ses faiblesses : les IMF qui dépendent des bailleurs sont perpétuellement à la recherche de fonds, limitant ainsi leur indépendance et leur liberté d’action. Les IMF de nature commerciale doivent surveiller régulièrement leurs risques et doivent veiller à ne pas prendre trop de clients. Une croissance trop rapide dans le nombre de clients peut mener au non-remboursement et à des coûts de prêts plus élevés.
  • Au fur et à mesure que le secteur de la Microfinance arrive à un stade de maturité en Afrique, nous verrons un entrecroisement des marchés financiers et de la microfinance : quand les économies des pays africains se développent, la participation d’investisseurs locaux dans le secteur de la microfinance augmente. Mais pour le moment, le taux de croissance économique traîne face aux exigences du marché. Résultat : la libération du potentiel économique de l’Afrique dépend toujours des investissements directs étrangers.
  • Afin de rester économiquement viables et de fournir des produits financiers à des prix abordables, les IMF doivent obtenir des fonds à des taux raisonnables, et doivent veiller à emprunter sur le long terme tout en offrant des petits prêts à court terme. La viabilité des institutions commerciales dépend de leur capacité à rassembler des fonds à un taux minime, tout en évitant autant que possible d’accumuler des prêts non-performants. Evidemment que la crise des subprimes aura un effet sur le financement de ces entités : même si les fonds internationaux continuent à débourser du financement, la contraction du système financier global mènera certainement à une hausse dans les tarifs.
  • L’environnement réglementaire du secteur de la microfinance sur le continent Africain est encore en voie de développement. Les réglementations existantes se concentrent principalement sur les entités ramassant les dépôts de leurs clients, laissant les activités des organismes de prêt en dehors de toute surveillance. Résultat : certains opérateurs peuvent entraîner leurs clients au-dessus de leurs moyens, ou dissimuler leurs bilans. Ceci dit, étant donné la récente attention internationale portée sur le secteur de la microfinance, nous constatons une renverse du courant quant à la régulation. Des réglementations sur les prêts sont en train d’être développées dans la plupart des pays du continent.
  • Les benchmarks sur l’Afrique sont relativement positifs, avec deux régions qui montrent des progrès importants, à savoir ; l’Afrique du Nord et l’Afrique de l’Est et Australe. Le crédit individuel connaît une réelle expansion.

La crise vue par les bureaux africains de PlaNet Finance

  • La crise financière globale n’a pas forcément eu un énorme impact sur le secteur de la Microfinance en Afrique, mais nous constatons certains changements récents qui sont incontestablement liés à l’instabilité économique mondiale actuelle
  • Au Maroc, la fragilisation du secteur est liée notamment à sa croissance exponentielle des dernières années : à partir de juin 2008, il y a eu un ralentissement, et des failles sont apparues dans le secteur du fait de cette croissance très rapide et parfois non maîtrisée, et de l’absence de règles suffisamment strictes. Ainsi, le microcrédit au Maroc a atteint l’âge de maturité et vit une crise de croissance, amplifiée par l’absence de réglementation encadrant le secteur, et ceci dans un contexte de crise financière.
  • Le secteur de la microfinance dans l’Afrique de l’Ouest passe par une crise de nature différente, liée à la baisse des transferts venant des diasporas. Ainsi, la crise financière globale se répercute au niveau des emprunteurs : au Sénégal, par exemple, 80% du budget des ménages provient de l’étranger. Ces transferts jouent un rôle crucial pour la réduction de la pauvreté, le soutien de la consommation des ménages et l’activité de certains secteurs clés comme celui de l’immobilier. En 2008, on estime que les transferts officiels des émigrés étaient autour de 555 milliards de francs CFA, tandis qu’en 2009 la projection est de l’ordre de 400 milliards.
  • Le secteur de la Microfinance en Afrique de l’Ouest souffre également d’un faible taux de financement de la part des banques locales. Au Mali, la BNDA est la seule entité qui finance des IMF, mais les autres banques nationales de la région n’ont pas encore développé de structure de refinancement.
  • Globalement, l’Afrique attire difficilement les fonds d’investissement, à l’exception de quelques pays. Des efforts doivent être faits dans le renforcement du secteur et des IMF avant de relancer la croissance. Les causes de ce manque de financement sont multiples : secteurs mal structurés, financement local déjà difficile, manque de confiance dans la gouvernance de beaucoup d’IMF, risques de dévaluation du franc CFA. En effet, un grand nombre de fonds d’investissement n’osent pas prêter en Afrique, et surtout pas en francs CFA. Seules les grandes IMF parviennent à être visibles pour attirer les fonds d’investissement, qui en général semblent peu intéressés par l’Afrique (à l’exception du Maroc et de l’Egypte).

 

Jacques Attali

Lire aussi: La conférence de Jacques Attali à Tunis: La crise financière et la microfinance

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