Success Story - 13.09.2012

Kamel Sammari : Un parcours de combattant

Depuis qu’il était encore à son école primaire de Thala, il caressait le rêve de réussir ses études et faire carrière au service de son pays, indépendant et démocratique. Ce rêve, il a dû attendre l’âge de 70 ans pour le réaliser, mais pendant 11 mois seulement. A peine nommé en septembre 2011 directeur général de Dar Assabah, Kamel Sammari en est viré en aout 2012.

En près d’un demi-siècle, Kamel Sammari a toujours été sur la brèche, à Paris, durant ses études et ses premières luttes politiques, puis à Londres, en exil, dans son combat pour les droits humains. Jeune bachelier, il part pour la France en 1964 poursuivre ses études en philosophie à Paris IV. Sans bourse, il a dû affronter les difficultés de subvenir à ses besoins et de réussir ses études à la fois. Au Quartier Latin, il découvrira les tiraillements politiques et sociaux qui vont déclencher le fameux Mai 68, tout en gardant l’œil sur l’expérience du collectivisme en Tunisie. Kamel prendra goût à cette ambiance, vivra en plein la révolution de la jeunesse française et s’engagera aux côtés des étudiants progressistes tunisiens, ne pouvant rester insensible à la répression menée contre les perspectivistes et autres militants de gauche.

Le coup d’arrêt du système coopératif, sans le moindre bilan approfondi, et le procès fait à Ahmed Ben Salah l’ébranleront. Avec Abdellatif Ghorbel, Hichem Moussa, Slimane Douggui, il montera au créneau sous la bannière du Mouvement de l’unité populaire (MUP), fondé autour de Ben Salah. Commencera alors un long combat, ponctué d’activisme pressant auprès du Parti socialiste français et divers mouvements progressistes, de mobilisation des Tunisiens à l’étranger comme au pays. Les évènements du 26 janvier 1978 viennent donner un nouvel élan à son engagement militant. Privé de passeport tunisien qu’on refuse de lui renouveler, il commence à sentir le poids des menaces d’extradition qui pèsent sur lui en cas de simple contrôle d’identité. Connaissant la connivence entre les Services tunisiens et français, il se résout à trouver refuge dans un autre pays pour demander l’asile politique.

Son choix se portera sur Londres où il compte un ami fiable, Khaled Ben Attia, le fameux Lord Ben. Kamel réussira à franchir la Manche et rejoindre avec un faux passeport, le 4 avril 1978, la capitale britannique. D’emblée, il commencera à faire le tour des rédactions des grands journaux pour les sensibiliser à la situation des droits de l’Homme et aux procès faits aux syndicalistes. La chance lui sourit en le faisant tomber sur un journaliste du prestigieux Times, Michael Coleman, qui, précisément, était à Tunis juste à la veille du 26 janvier et a pu vivre en direct l’escalade de la répression. Michael lui sera très précieux comme d’autres grandes signatures de la presse anglaise, notamment Edmond Mortima, qui appuieront sa demande pour l’asile politique. Kamel Sammari deviendra, six mois seulement après son arrivée, ainsi le premier Tunisien réfugié politique au Royaume-Uni.

Mais, il lui fallait trouver un travail. Grâce aux introductions de ses amis, il décrochera un premier job au mensuel Arab Month, avant de rejoindre une grande publication arabe, Ad-Doustour, puis, finalement s’établir à la BBC. Le travail journalistique exige à la BBC une totale neutralité politique. Cela tombait bien pour Kamel qui voulait élargir les horizons de son combat au-delà de la Tunisie pour s’engager dans la défense des droits humains. Amnesty International ne pouvait lui offrir alors meilleur cadre. Il s’y joindra d’abord en tant que volontaire, puis, dès 1991, à titre de permanent, en qualité de membre du groupe de travail en charge du développent au Moyen-Orient. «Ce fut pour moi, déclare Sammari à Leaders, une épopée fantastique. Je me sentais faire partie de ce monde humain où tu peux être utile, très utile, et dormir la nuit à poings fermés. En écoutant les souffrances des victimes et de leurs familles, cherchant des solutions d’urgence pour elles et harcelant leurs bourreaux, on peut sauver des vies, réduire les atrocités.»

Au fil de ses combats, Amnesty a bien affiné ses outils de combat, notamment la mobilisation des médias et l’envoi massif de cartes postales, lettres et fax. Kamel s’y exercera intensivement. «L’essentiel, comme nous l’avons appris, souligne-t-il, c’est de faire aboutir une cause, de sauver des vies. Grâce à notre force de mobilisation, nous y sommes parvenus dans nombre de cas et contribué à faire chuter plusieurs dictatures». Evoluant dans la hiérarchie de l’organisation, Sammari s’impliquera à fond dans tout ce qui concerne le monde arabe, avec une concentration particulière sur les pays totalitaires, c’est-à-dire presque tous, et les conditions des Palestiniens et les atrocités commises à leur encontre dans les territoires occupés. Se rendant souvent sur le terrain, il apprendra à mieux connaître la réalité et accroître le poids qu’exerce Amnesty contre les dictatures. Sa fonction de porte-parole de l’organisation dans la région lui permettra de nouer des relations très proches avec les médias de la région et, du coup, étant trilingue, de donner de larges échos aux communiqués et positions d’Amnesty. Il prêtera également son concours aux équipes en charge d’autres zones et d’autres causes et le voilà en globe-trotter, sillonner le monde, se rendre sur tous les fronts.

«De cette expérience exaltante, je garde un souvenir extraordinaire, nous confie-t-il. Mais, comme à chaque chose une fin, je préfère quitter la table quand l’amour est desservi et c’est ce que j’ai fait en 1996. Quitte à y reprendre plus tard du service en tant que conseiller auprès du président».

Sollicité par Al Jazeera, Kamel Sammari a été désigné officiellement directeur du bureau de Londres et chargé de la communication en Europe.

Mais en fait, on lui a demandé d’assurer la production de deux émissions phares, Akthar Min Ra’y (présentée par Sami Haddad, et Massarat. Pourchassé sous Bourguiba, il n’avait pu rentrer en Tunisie et reprendre son passeport pour la première fois qu’en 1988. La persécution s’est poursuivie sous Ben Ali qui voulait le faire condamner en août 1996 à 5 ans de prison, avant de le faire libérer sous la pression internationale.

La révolution du 14 janvier lui a donné une troisième jeunesse, comme il l’a confié à Leaders (la deuxième étant celle dont il avait bénéficié après une lourde opération de triple pontage coronarien). C’est ainsi qu’il a sauté dans le premier avion en partance de Londres, pour rallier Tunis.

Depuis son arrivée, il s’est mis, à titre bénévole, au service de la transition, ouvrant à la société civile et aux différentes instances tunisiennes son large carnet d’adresses et invitant à Tunis ses amis experts pouvant apporter leurs contributions utiles. Kamel a été derrière la participation de l’équipe de l’Article 19 aux travaux consultatifs engagés par la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, ainsi que ceux de l’Instance nationale pour la réforme de l’information et de la communication.

Puis, quand le problème de la gestion de Dar Assabah était fortement posé, après une courte expérience de mise sous administration judiciaire dès la confiscation —la participation majoritaire appartenant à Sakhr El Materi—, c’est naturellement à lui qu’ont pensé les nouvelles autorités.  Kamel Laâbidi, président de l’INRIC et ancien responsable d’Amnesty au Moyen-Orient, le connaît de longue date. Il apprécie surtout en lui sa double compétence journalistique et managériale, mais aussi son respect des libertés et de l’indépendance des rédactions. Comme Laâbidi, nombreux seront ceux qui le recommanderont pour présider aux destinées de Dar Assabah.Ils ne seront pas déçus. Mais…

Qu’à cela ne tienne, ce militant-né n’a ni rancune, ni amertume, il saura servir sur d’autres fronts.
 

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