Opinions - 31.07.2012

Evitons de politiser la Banque centrale

Dans la plupart des pays, développés et émergents où la Banque centrale est indépendante, elle est également aussi apolitique que possible. L’idée de l’indépendance des banques centrales, relativement récente, est précisément de placer à sa tête un gouverneur et un conseil d’administration composés de techniciens, économistes de renom, de préférence monétaristes.

Cette idée a connu un grand succès comme une alternative à la thèse de Milton Friedman de l’école de Chicago qui préconisait la neutralité complète de la banque centrale, non seulement politiquement mais même économiquement. D’après cette thèse, il suffit  que l’Institut d’émission crée une quantité stable de monnaie d’année en année pour huiler les transactions économiques.

Face à cette proposition trop extrême, on a mis en place un système de nomination de techniciens responsables des banques centrales, connus pour leur compétence et jouissant d’indépendance des autorités politiques pour concevoir et moduler la politique monétaire de l’Institut d’émission, loin des décisions politiques quotidiennes des autorités politiques. Cette indépendance est le pendant monétaire de l’indépendance de la magistrature sur le plan de la justice.

Mais cette indépendance n’est pas absolue. Elle est prescrite dans le cadre de la loi ou statut créant l’Institut d’émission dont elle définit  le pouvoir et les règles de fonctionnement. La nomination de la gouvernance de la Banque centrale est faite par l’exécutif (autorité politique) et approuvée par le législatif (autorité politique) pour une période donnée, donc limitée dans le temps. De plus, le gouverneur de la banque centrale est appelé par l’autorité législative, quand nécessaire, pour rendre compte de sa gestion et expliquer les décisions monétaires prises.

Il s’agit donc bien d’une indépendance relative. Elle protège la direction de la politique monétaire à moyen et long termes des fluctuations quotidiennes et des aléas politiques, notamment de l’exécutif, mais la banque centrale reste redevable de sa gestion non seulement vis-à-vis de l’opinion publique mais aussi devant le pouvoir législatif qui peut procéder à la destitution de sa gouvernance si elle enfreint son statut ou loi organique ou à sa responsabilité de politique monétaire judicieuse définie dans ce statut. Le président de la banque centrale suisse vient d’être démis (limogé) pour conflit d’intérêt avec les investissements personnels de sa femme (sans pour autant provoquer la moindre protestation). Le président de la Bundesbank serait immédiatement démis s’il s’amusait à attiser l’inflation dans son pays au-delà de ce qui est défini par son statut et la politique monétaire de la Banque centrale européenne.

Dans ces conditions, il est important pour notre pays de s’orienter vers un tel système. Indépendance de la Banque centrale mais dans les limites de son statut et d’une bonne gouvernance monétaire démontrée par les chiffres officiels de l’Institut de statistiques. A ce propos, il est urgent de revoir le statut de la Banque centrale pour lui assigner un double rôle à savoir la stabilité des prix mais aussi la promotion de la croissance économique et de l’emploi.

Par ailleurs, il est urgent de procéder à la réforme du système bancaire tunisien. Cette réforme devrait avoir trois volets. Le premier est de faire des tests de stress pour déterminer l’adéquation des fonds propres de chaque banque et sa recapitalisation immédiate. Le deuxième est de procéder, si nécessaire, à la consolidation de certains établissements non viables. Le troisième est d’introduire de nouvelles formes de statuts de banques telles que le crédit mutuel, qui avait existé dans les années soixante et qui a disparu depuis, ou la finance islamique.

Cessons de politiser notre Banque centrale. Donnons-lui la chance de réparer les erreurs commises et de tracer une politique monétaire non inflationniste et au service de la politique de développement économique et social de notre pays.

Dr.Moncef Guen
Ancien haut fonctionnaire du FMI