Opinions - 05.05.2012

Les salafistes : pires ennemis de l'islam?

Lorsque les salafistes exigent avec «la délicatesse » qui les caractérise l’application de la charia et du Coran pour diriger les sociétés musulmanes sous la houlette d’un calife, on est en droit de se demander si ces gens sont des naïfs, des ignorants ou des apprentis politiciens cyniques. Car, par de telles prises de position, ils donnent l’impression de s’appuyer sur Ibn Hanbal et Ibn Abdelwahab et de mettre aux oubliettes l’apport d’Ibn Rochd, d’El Maâri, de Taha Hussein, de Tahar et de Fadhel Ben Achour et d’une longue liste de penseurs et de rationalistes musulmans qui prouve qu’ils sont en décalage total avec les sociétés musulmanes et l’évolution du monde en général.

Pour ces gens, ni Al Khawarizmi, ni Galilée, ni Einstein, ni Fleming n’ont jamais existé et pourtant, ils utilisent la télévision pour diffuser leurs messages, le téléphone portable pour convoquer leurs troupes… alors que rien de tel n’existait, bien évidemment, à l’aube de l’Islam.

A moins qu’ils ne veuillent nous donner en exemple le cas du seul Etat au monde qui porte le nom d’une famille (comme l’a dit justement M. Béchir Ben Yahmed) et qui pointe actuellement au 57ème rang parmi les Etats pour la corruption (voir Le Magazine du Monde du 07 avril 2012, p.44) : l’Arabie Saoudite, où la société de consommation à l’américaine est la norme... mais où les femmes n’ont ni le droit de conduire ni de voyager seules! Ces salafistes qui veulent nous renvoyer au Moyen Age devraient plutôt se pencher sur le triste état de bon nombre de pays musulmans. Ils devraient par exemple se demander pourquoi aucun pays musulman ne fait partie des BRICS qui tiennent aujourd’hui la dragée haute aux Occidentaux car ils ont décidé de conjuguer leurs forces, eux qui représentent 45% de la population de la planète et le quart de ses richesses.

Lors de leur 4ème Sommet à New Delhi, fin mars 2012, le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud ont, entre autres, harmonisé leur marché boursier. Ils ont publié la «Déclaration de New Delhi», critiqué l’ordre économique mondial et vilipendé l’hégémonie financière des pays de l’Atlantique Nord. Quel pays musulman peut se permettre ces prises de position qui vont dans le sens d’une plus grande justice dans le monde et d’une plus juste répartition des richesses entre les humains, objectifs que ne saurait renier l’Islam?

Quoi qu’il en soit, le discours salafiste est aujourd’hui abondamment utilisé par tous ceux qui veulent salir l’image de l’Islam, par tous les anciens et les nouveaux Croisés, par tous ceux qui n’ont pas encore digéré l’émancipation des peuples colonisés et par les racistes de tout poil. Il arrive même que ce discours les serve objectivement.

Ainsi, en France, les prières dans les rues (personnellement, j’avais six ou sept ans quand j’ai appris au kouttab de feu M. Béchir Chakroun à Bizerte que, pour prier, il faut d’abord s’assurer que les lieux sont propres), la question de la viande halal et celle du niqab ont été utilisées par tous les politiciens de droite et d’extrême droite comme M. Claude Guéant, le ministre de l’Intérieur, ou Marine Le Pen du Front national et candidate à la présidence de la République– qui ne s’est toujours pas remise de l’indépendance de l’Algérie.

Fielleuse, elle se demande même «Combien de Mohamed Mérah dans les bateaux ?» (de harraga) - pour stigmatiser l’Islam… Pour ces politiciens, les énigmatiques crimes du non moins énigmatique Mohamed Mérah sont venus comme pain bénit! Plus d’affaire Woerth, plus d’affaire Bettencourt pour l’argent supposé de la campagne de Sarkozy en 2007, plus d’attentat de Karachi et des mallettes d’argent pour financer la campagne de Balladur…..«Si les électeurs de Le Pen me quittent, on plonge », affirmait déjà Nicolas Sarkozy (voir le livre de Yasmina Reza « L’aube, le soir ou la nuit » cité par Le Monde du 25-26 mars 2012, p.15). La France a été tenue en haleine par cette affaire et par «des médias qui ne savaient rien mais qui pouvaient parler longtemps» des innommables «prouesses» d’un individu finalement descendu comme un lapin, les morts ayant cette rare qualité de garder bouche cousue ! On n’a pas assisté à une telle déferlante médiatique pour la tuerie du Conseil municipal de Nanterre quand Richard Durn a assassiné huit personnes en mars 2002. Sept morts violentes en Corse (attention : il ne faut pas utiliser le mot de terrorisme ici ! Il faut dire «nationalisme corse » ou « règlement de comptes ») depuis le début de l’année 2012… et la profanation d’un lieu de culte musulman dans cette île le 8 avril 2012 sont mentionnées comme une dépêche télégraphique par les médias. Le plus étonnant dans cette stigmatisation de l’Islam par un grand nombre de politiciens occidentaux, c’est qu’aucun Etat musulman ne lève la voix pour protester ou marquer au moins sa mauvaise humeur face aux insanités et aux contre-vérités déversées sur leur foi et qui assimilent les actes d’une poignée d’individus à celle d’un milliard de croyants de par le monde. Or, le roi du Maroc se déclare «Emir des Croyants», celui d’Arabie Saoudite «Protecteur des Deux Saintes Mosquées»… et pourtant, nulle réprobation n’effleure leurs augustes lèvres… tant ils sont inféodés à l’Occident ! Quant à l’Emir du Qatar, «business as usual» avec «ses amis français».

En Tunisie, les salafistes n’hésitent pas à crier « Mort aux juifs », ignorant là encore le passé des sociétés musulmanes qui ont servi de refuge aux adeptes de Moïse chassés d’Andalousie en 1492 par l’Inquisition et les Rois Très Catholiques et, dans la brillante cour de Haroun Ar Rachid, alors que l’Islam était à son apogée, le poète Al Akhtal se pavanait avec une croix en argent d’une livre sur la poitrine ! Montaigne disait : «Chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition» et partant, sa vie et son intégrité sont sacrées. L’Islam n’enseigne-t-il pas que les Gens du Livre sont nos frères et que, pour tout musulman, Moïse et Jésus sont des prophètes de Dieu ? Ils ignorent que les mots de ghetto ou d’holocauste sont étrangers à la langue arabe et à ses pratiques. Ils feignent d’ignorer que bon nombre de nos concitoyens juifs ont participé à la lutte nationale et connu les affres de la déportation comme ils feignent d’ignorer que feu Georges Adda (dont le fils, mon regretté ami Serge, a été un intime de Yasser Arafat) a eu le courage d’écrire au président déchu pour critiquer son régime quand d’autres croyaient «en Dieu et en Ben Ali ». Là encore, en confondant juif et sioniste, les salafistes rendent service à Benyamin Netanyahou qui n’a pas réussi – comme tous ses prédécesseurs – à faire venir en Israël les grosses communautés juives de France, des Etats-Unis, de Grande-Bretagne, d’Argentine…. Les salafistes justifient ainsi la possession par Israël d’une des plus puissantes armées de la terre, armée qui profite des immenses largesses en espèces et en armes des Etats-Unis et de l’Allemagne, entre autres. Berlin vient en effet de doter Israël de six sous-marins Dolphin, offerts pour certains, à prix d’amis pour d’autres… pour les doter probablement de têtes nucléaires et frapper l’Iran.

A l’heure où l’Etat sioniste fait face à une grave crise morale (à titre d’exemple non limitatif : Elizer Marom, chef de la marine sioniste, a dû être démis car fréquentant une boîte échangiste d’après le Boston Globe du 02 avril 2012) et politique (Un Etat juif? Deux Etats ? La démographie ? La rébellion des colons ? La montée des haredim, ces ultrareligieux qui vivent aux crochets de l’Etat et ne font pas le service militaire pour s’adonner à l’étude de la Thora ? ), à l’heure où un Prix Nobel de Littérature, l’Allemand Günter Grass, affirme qu’Israël est «un danger pour la paix dans le monde» (ce qu’a, du reste, montré un sondage réalisé en Europe il y a quelques années), crier «Mort aux juifs », c’est aider objectivement Pérez, Barak, Liberman et tous les va-t-en guerre qui veulent garder le monopole de l’arme atomique à l’Etat sioniste au Moyen-Orient.. et ce n’est pas parce que les excités du club Betar Jérusalem hurlent, comme d’habitude après chaque match « Mort aux Arabes » et se livrent à des ratonnades devant une police complice ( lire Laurent Zecchini, Le Monde du 04 avril 2012, p. 6) que nous devons oublier qu’il faut dire un non catégorique et sans la moindre condition à l’antisémitisme mais qu’il faut énergiquement condamner l’occupation de la Palestine, le seul territoire encore occupé par des forces ennemies dans le monde et où croupissent – pour ne citer que ceux-là- 300 Palestiniens en « détention administrative» sans jugement et pour une durée indéterminée. Ce qu’a illustré récemment la courageuse prisonnière palestinienne Hana Shalabi qui a observé plus de quarante jours de grève de la faim pour faire connaître au monde ce dont est capable cet «Etat démocratique» et faire plier ses geôliers. Plusieurs autres détenus subissent, à l’heure où ces lignes sont écrites, les affres de la grève de la faim pour faire lever cette injustice sans nom. Plutôt que de crier « Mort aux Juifs», les salafistes devraient nous dire enfin comment un Etat de culture musulmane comme la Syrie peut massacrer à l’arme lourde 9.000 de ses citoyens réclamant la liberté et la fin de l’exploitation du pays par le clan Assad…

Les salafistes aident objectivement la réaction dans le monde comme ils aident l’Etat sioniste. Ils devraient méditer cette parole de l’essayiste de Bosnie-Herzégovine Predag Matvejevitch : «Nous avons tous un héritage et nous devons le défendre mais nous en défendre aussi, sinon nous aurions des retards d’avenir». Nos sociétés ne peuvent plus souffrir le moindre retard et doivent rejeter ceux qui défigurent l’Islam et prêtent main-forte à ses ennemis.

M.L.B