Lu pour vous - 08.04.2012

Leila Laabidi : L'Islam est aussi humour

A ceux qui ne voient dans la religion musulmane qu’interdits, péchés, mises en garde, rituels et crainte de l’enfer, Leila Laabidi préfère montrer ses autres facettes de convivialité et de détente. Son ouvrage «L’humour dans l’Islam», première recherche analytique documentée en son genre, vient de lui valoir le Prix de la Fondation Sheikh Zaied du Livre. Une consécration qui lui ouvre de larges perspectives, notamment pour la traduction et une grande diffusion.

« Je me suis beaucoup attachée à ce thème, livre-t-elle à Leaders, pour en faire le sujet d’une recherche de troisième cycle et finir par convaincre le Pr Wahid Essaafi d’accepter de l’encadrer. Mon message central est de démontrer que l’humour en tant que véhicule de la religion, mais aussi de style de vie, a toujours été présent dans l’Islam, que ce soit dans la parole divine ou dans le caractère du Prophète. Une image que certains ne connaissent pas. »

La méthodologie suivie est intéressante : aller puiser dans les textes fondamentaux que constituent le Coran et les Hadiths dûment confirmés, les éléments appropriés pour les analyser et les mettre en perspective. Le style est attachant: une écriture limpide qui obéit certes aux styles académiques mais se simplifie agréablement pour le lecteur non initié. En alternant évocations historiques, citations précises, perles d’humour et commentaires, Leila Laabidi retient le lecteur et l’instruit tout en lui injectant une bonne dose de bonne humeur.

Première grande difficulté rencontrée: quel vocable choisir dans la langue arabe pour traiter de l’humour, le piège étant d’éviter celui de Foukaha, attribué aux «monologistes» et à l’amusement? C’est alors à force de plonger dans le Livre Saint et les vieilles encyclopédies que l’auteur tombe sur une racine plus appropriée, celle de Fakah, d’où d’ailleurs le prénom de Fakiha attribué aux femmes.

En six chapitres, le voyage commence par l’analyse de la notion de Fakah dans les cultures arabe et occidentale, l’essence divine qui la caractérise dans l’Islam et sa pratique dans la propagation de la religion. Puis, l’auteur nous introduit auprès du Prophète Mohamed pour révéler l’un de ses traits de caractère qu’est la finesse de l’humour, que ce soit en famille, avec les enfants, les bédouins, les vieilles femmes et autres, ainsi qu’avec ses compagnons. Une véritable leçon d’humanisme, qui rappelle cette atmosphère de détente, loin de tout enfermement, rigueur absolue et extrémisme.

Autorisé en Arabe Saoudite, interdit au Koweït

Avant même que la rédaction du livre ne soit terminée, Leila Laabidi commençait à être sollicitée par des amis éditeurs qui voulaient bien le publier. Son choix s’est porté sur les Editions Essaki, à Beyrouth. A force de fréquenter la Foire du livre de Tunis à chacune de ses sessions où elle fait d’importantes emplettes, elle a fini par nouer connaissance avec la plupart des éditeurs arabes et se lier d’amitié avec eux. Rania Elmaalem, d’Essaki, l’impressionnait particulièrement, surtout lorsqu’elle évoque devant elle comment May Gahssoub, la fondatrice de cette maison d’édition, s’est toujours échinée à faire connaître les bons auteurs arabes, transportant elle-même leurs ouvrages d’un pays à un autre. Et c’est ainsi que Leila a confié son ouvrage à Essaki qui s’est empressé de le diffuser un peu partout dans le monde arabe. Seul, le Koweït a refusé de l’autoriser alors qu’en Arabie Saoudite, il a été non—seulement admis mais aussi a bénéficié signe de grandes ventes — d’une proposition pour une traduction en anglais. Le Prix de la Fondation du Sheikh Zaied lui donne aujourd’hui un grand élan.

Premier livre publié et un grand prix? Leila Laabidi en est certes heureuse, mais ne s’en étourdit pas. Pour cette universitaire, d’à peine trente ans, le chemin est encore long. Originaire du Kef (Eddir), mais née à Ezzahra, elle plonge ses racines dans une profonde culture et tradition musulmanes, avec un grand-père imam et un père enseignant qui a fini lui aussi par assurer l’imamat. L’ambiance familiale, bien que marquée par l’attachement à la religion, a cependant toujours été, dans cette maison non loin de la plage, très conviviale et de grande ouverture d’esprit. Leila, la benjamine de 6 frères et soeurs, en a hérité le goût de la lecture, de la recherche scientifique et de la confrontation des cultures et civilisations.

En attendant son prochain livre sur les narrateurs et les prédicateurs

«Rat de bibliothèque, dit-elle, j’ai toujours dévoré tout ce qui me tombe sous la main. Je commence ma journée par la consultation de l’encyclopédie Lissan Al Arab, pour me concentrer sur un mot et essayer de bien comprendre son origine et ses significations, puis vaquer, selon une organisation minutieuse, à mes autres lectures et recherches». Après sa maîtrise en lettres arabes, elle soutiendra deux certificats d’aptitude à la recherche (CAR). Le premier portera sur la typologie des sciences et le second sur le modèle omarique (Omar Ibn Al Khattab) du point de vue chiite. A présent, elle a pris une année sabbatique pour finaliser une thèse de doctorat sur «L’Islam des narrateurs et prédicateurs, jusqu’à la fin du VIIIème siècle de l’hégire». Un sujet bien d’actualité, aussi, surtout avec la floraison de prédicateurs de toutes obédiences. Grâce à sa bonne connaissance du Livre Saint, des Hadiths et de l’oeuvre des grands exégètes, mais aussi à la profondeur de ses recherches et à la rigueur de son analyse, Leila Laabidi constitue aujourd’hui, au-delà de l’universitaire brillante, un auteur prisé qui capte l’attention. Son ouvrage sur L’humour dans l’islam mérite lecture. En attendant les suivants.