Blogs - 03.04.2012

Ennahdha, la théorie du complot et… la loi Godwin

Quand la discussion est tendue plus que de raison, quand elle se prolonge indéfiniment, quand elle tourne au dialogue de sourds, quand on a épuisé tous ses arguments et qu’on est tout près d’en venir aux mains, on est souvent tenté de démoniser son interlocuteur, en le qualifiant par exemple de «nazi», de «sioniste», de «novembriste», de «suppôt de la contre-révolution»; en le comparant à Hitler, Sharon et à Ben Ali ; en lui prêtant de noirs desseins, histoire de l’acculer dans ses derniers retranchements et de prendre définitivement l’ascendant sur lui.

Il y a 20 ans, un avocat américain, un certain Mike Godwin, avait énoncé une loi qui porte, depuis, son nom, selon laquelle, «plus une discussion dure, plus elle est tendue et plus les possibilités sont grandes de voir un des participants recourir à des arguments excessifs dans l’espoir d’y mettre fin ». Une théorie qui s’est vérifiée une fois de plus, avec l’accusation de complot lancée dernièrement contre l’opposition par Lotfi Zitoun, le conseiller politique de Hamadi Jebali, avant d'être relayée par certains chroniqueurs politiques. On le sait depuis Goebbels, plus la ficelle est grosse, plus on a des chances d’être entendu. Il suffit de répéter à satiété l’accusation. Le problème, c’est que dans le cas d’espèce, on n’est pas à l’abri d’un effet boomerang, surtout quand on a mal calculé son coup. Ce qui est, de toute évidence, le cas de Lotfi Zitoun. Loin de discréditer l’opposition, il a donné d’Ennahdha l’image d’un mouvement aux abois, en proie à des difficultés telles qu’il est acculé à des procédés condamnables pour discréditer ses adversaires.

La participation jeudi 22 mars de Zitoun à une émission sur Wataniya 2 dont le thème était précisément « le complot» contre Ennahdha m’a remis en mémoire un vieux proverbe latin, «errare humanum est, perseverare diabolicum». Car, d’emblée, on a tout compris. Il ne fallait pas compter sur lui pour se dédire. Après avoir tourné autour du pot pendant une dizaine de minutes, l'animatrice finit par poser, sur un ton comminatoire, la question que tout le monde attendait : y a-t-il eu vraiment complot ? Enfin, on va connaître les auteurs du complot. Peine perdue. Ce sera le point de départ d’une séance de contorsionnisme intellectuel avec des oui, mais...des non, mais...des sauf que…et une série de distinguos subtils.En bon casuiste, il récuse le terme de conspiration (?????? ?????????) utilisé lors de la présentation de l’émission. Il préfère parler de complot politique permanent (???? ????? ?????). Sous un air faussement débonnaire, il s’en prend aux opposants qui cherchent «à gêner le gouvernement», décoche quelques flèches aux journalistes accusés de «ternir l’image de leur pays à l’étranger», articles du journal londonien The Independent, à l’appui, tout en reconnaissant à l’opposition le droit de critiquer : «Nous sommes bien en démocratie», concède-t-il. Les autres invités ont du mal à saisir. Y a-t-il eu complot? La critique peut-elle être assimilée à «un complot permanent ?». Sihem Ben Sédrine, présidente du Centre de Tunis pour la Justice Transitionnelle, explique que les réunions des ambassadeurs européens dont il est fait grand cas dans l’article d’Essabah sont une pratique ancienne qui a été même institutionnalisée par l’UE. «Cela n’a rien à voir avec un complot». En fait, observe-t-elle, «ce sont les gens qui cherchent à accréditer l'idée de complot qui font du mal à la Tunisie, en mettant injustement en cause des pays avec lesquels nous entretenons les meilleures relations».

L’auteur de l’article en question, présent sur le plateau, en est resté coi, lui qui croyait avoir réalisé le scoop du siècle. SBS venait de tailler en pièces sa thèse. Emna Menif (Kolna Tounès) évoque la fragilité de la jeune démocratie tunisienne, n’écartant pas «un retour du bâton» et s’étonne de «la publication d’informations qui mettent en cause des pays amis sans preuves sérieuses», tandis que Chokri Belaid (Watad), demande que «toute la lumière soit faite sur le fameux complot, car les faits incriminés sont passibles de la peine capitale». Les trois revendiquent en tout cas le droit de continuer à critiquer le pouvoir. «L’opposition est dans son rôle quand elle critique. Le danger n’est pas qu’elle en fasse trop, mais qu’elle n’en fasse pas assez», dira Sihem Ben Sédrine.

Peine perdue. Lotfi Zitoun n’en démord pas. Il tient à sa thèse du complot, même s’il est indirectement désavoué par quelques personnalités de son propre camp, se réfugiant, souvent, dans un discours victimaire.

Il se fait tard. L’animatrice interroge Salah Attia sur sa démission du journal Essabah dont il était, la veille, le rédacteur en chef. Ya-t-il un lien de causalité entre cette décision et l’article sur le complot contre Ennahdha ? Sans se démonter, le journaliste...crie...au complot. «Ce qui se trame à Dar Essabah, c’est un véritable complot. Je connais les parties qui sont derrière cette cabale. Elles étaient de mèche avec l’ancien régime et je ne vais pas tarder à les démasquer…». Ses interlocuteurs sont dubitatifs. A force de crier au loup...

 

H.B.