Opinions - 29.02.2012

Mansour Moalla : Il y a urgence

On ne peut plus continuer avec le système de gouvernement du pays mis en place depuis le 14 janvier 2011. Il a suffisamment montré ses insuffisances et ses résultats peu probants. Il ne s’agit pas d’un problème de personnes ou d’organismes politiques. Il s’agit des choix adoptés dès le début, choix qu’il importe aujourd’hui de réviser si l’on veut obtenir des progrès de quelque importance.

Ces choix n’étaient pas adaptés à la situation poste-révolutionnaire. La révolution a eu pour objet essentiellement la liberté, le progrès économique, l’emploi et la justice sociale. Pour réaliser de tels objectifs, il fallait des gouvernements à la hauteur de la situation, c’est-à-dire consensuels, acceptés par la population dans son ensemble, dirigés par des personnes expérimentées et qualifiées ayant un rayonnement social et populaire et donc détenant nettement une légitimité, révolutionnaire et politique au départ, et légale dès que possible. Or les circonstances régnant au lendemain de la fuite de Ben Ali ont privilégié la légitimité d’une constitution violée à plusieurs reprises et devenue très vite inapplicable, après les fameux 60 jours, les autorités mises en place se trouvant ainsi sans légitimité convaincante, qu’elle soit révolutionnaire ou constitutionnelle.

Cela étant, on aura donc affaire à un gouvernement provisoire, en attendant les élections, avec seulement une légitimité « fonctionnelle », le « vide » ne pouvant se concevoir. Cette situation n’a pas encouragé les responsables politiques de tous bords à participer à ce gouvernement, craignant l’échec et ses répercussions sur leurs parcours ! C’était l’attentisme. On aura donc un gouvernement «technique» composé de fonctionnaires et de techniciens, dont certains ont été «importés», n’ayant pas d’expérience politique et ne pouvant avoir de responsabilité devant l’opinion. On ne pouvait attendre des miracles d’un tel gouvernement. Il a fait de son mieux. Le Premier ministre « provisoire » Essebsi et le Président « provisoire» Mebazaa ont eu le mérite d’assumer la responsabilité du pays dans une conjoncture difficile et ont rempli l’essentiel de leur mission : un minimum de sécurité, de paix sociale et d’actions économiques et sociales et surtout des élections le 23 octobre 2011 dans le calme, ce qui était essentiel, même si la loi électorale et la pléthore de partis politiques et l’abstention en ont réduit la portée.

L’essentiel des problèmes ne pouvait être traité par les « volontaires » de ce gouvernement. On attendait des élections qu’elles permettent l’installation d’un gouvernement légitime et plus efficace. Or on va une seconde fois reprendre la formule du «temporaire» : président de l’Assemblée constituante, Président de la République et Chef du gouvernement ne sont là que pour un an. Ce nouveau gouvernement est donc condamné à la faiblesse dès le départ, surtout que ses composantes n’ont pas la même importance et que la domination de la plus importante d’entre elles ne pouvait être évitée. On ne peut donc pas, de nouveau, attendre des miracles de ce nouveau gouvernement qui présente l’inconvénient d’être pléthorique et manquant d’expérience et soumis à une organisation « provisoire » des pouvoirs publics comprenant trois «présidents». Une certaine « cacophonie » est inévitable, l’essentiel pour les uns et les autres est de « gagner » les nouvelles élections, évitant les mesures «risquées» ou impopulaires qui peuvent réduire leurs chances de garder le pouvoir ou d’y parvenir. D’où l’inquiétude de l’opinion devant ces faiblesses et la peur de la population devant la propagation de plus en plus importante de l’extrémisme. Que faut-il faire ? Il est nécessaire de réviser les choix faits au lendemain du 14 janvier 2011. Il convient d’envisager deux mesures essentielles et qui sont liées entre elles.

La première consiste à rompre avec le « provisoire » et le « temporaire ». Il est clair que l’on ne peut continuer à naviguer ainsi, talonné par le temps, des durées courtes et arbitraires, sans perspective ni pour l’immédiat ni pour l’avenir plus ou moins lointain. On doit pouvoir disposer du temps nécessaire pour au moins confectionner des budgets et des plans cohérents pour l’immédiat, pour l’avenir proche et pour le demi-siècle prochain qu’on espère meilleur que celui que nous avons vécu. Tout cet ouvrage ne peut être actuellement entrepris: on se limitera à des actions d’urgence pour un peu plus de sécurité et un début au moins de redressement économique. On doit donc, comme je l’ai indiqué dès le départ, avoir un gouvernement durable capable de faire face aux graves problèmes du pays. Il doit fonctionner durant la période jugée nécessaire et suffisante : deux à trois ans au moins.

Il est entendu que la Constitution doit être établie dans le délai convenu, un an, et en tout cas avant la fin de l’année 2012. Cette constitution devra prévoir dans les mesures « transitoires » qu’il n’y aura, de la fin de 2012 à la fin de 2014 ou 2013, qu’une seule élection, celle concernant les communes, organisées sous l’égide du gouvernement d’union nationale, toute autre élection prévue par la Constitution ne devant se tenir qu’à la fin de 2014 ou 2013. Mais on ne peut parvenir à la création d’un tel gouvernement que si on choisit en même temps « l’union nationale », et la participation de tous les courants d’opinion et de toutes les potentialités du paysà ce gouvernement. La raison en est toute simple. C’est qu’en dehors de cette «union nationale» les principaux partenaires concernés n’accepteront pas de voir, les uns leurs chances de quitter le pouvoir s’aggraver, et les autres leurs espoirs d’y parvenir s’éloigner. Spéculations, partisanes et hasardeuses! mais réelles et inévitables. Si tous ces partenaires assument leurs responsabilité commune, ils vont être rassurés et leurs craintes pourraient être dissipées et celles également d’une grande partie de la population qui tient à la sauvegarde des acquis de l’indépendance. Cette « union nationale » est de nature à apaiser le pays et à satisfaire l’opinion qui est lassée par la dispute et le trouble. Le risque de domination immédiate d’une fraction politique s’éloigne ou n’est plus immédiat. En outre, une telle « union» améliore notre potentiel de progrès en inspirant confiance au monde qui nous entoure.

J’ai souligné très tôt la nécessité de cette union nationale et l’inefficacité du « provisoire » et du « temporaire » et ce dès le mois de juin 2011 et à 5 reprises dans des articles publiés par la revue Leaders des mois de juin, juillet, octobre, novembre et décembre 2011. Enfin, cette «union» est compatible avec un objectif important à atteindre : le rééquilibrage du domaine politique composé d’un parti dominant et de plusieurs autres dispersés. Cette structure est malsaine. Elle n’offre pas la possibilité d’une alternance au pouvoir nécessaire à la démocratie: une durée excessive au pouvoir use et détruit même le crédit des gouvernants. L’alternance permet le renouvellement avec l’arrivée de nouvelles équipes restées crédibles. Mais elle ne peut exister que s’il y a une structure politique comportant deux formations politiques centrales capables de se relayer au gouvernement avec éventuellement le concours de formations moins importantes. L’union nationale, si elle est proclamée, va permettre aux formations politiques de «respirer», de se calmer, de ne plus travailler sous la contrainte des nombreuses élections à venir, de s’organiser, de mettre fin à la pléthore de partis et à la dispersion, grâce à une loi sur les partis et une loi électorale adéquates. On peut donc parvenir à une structure politique permettant au pays d’être gouverné plus efficacement et de pouvoir faire fonctionner une démocratie sans heurts et sans violence.

Union nationale et suppression du provisoire et temporaire sont deux mesures vitales. Une fois réalisées, une fois la structure politique réaménagée, le pays enfin stabilisé, la sécurité et la confiance revenues, l’extrémisme révisé ou contrôlé, on peut envisager un fonctionnement normal de la démocratie qui nécessite l’existence d’un gouvernement légitime et d’une opposition positive et crédible. Il appartient donc à tous les responsables politiques de prendre ces décisions courageuses. C’est leur devoir. Ils ne peuvent laisser le pays à la dérive. Une tâche énorme mais exaltante nous attend tous. Il faut nous dépasser héroïquement, mettre entre parenthèses les sujets secondaires sans rapport avec la santé et l’avenir du pays. C’est notre devoir à tous, responsables, citoyens, société civile. Sinon on nous accusera, à raison, de continuer ce mauvais jeu de massacre qui met la révolution et le pays en danger.

Mansour Moalla


 

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