Opinions - 29.02.2012

Le degré zéro en politique

Le débat politique en Tunisie tourne de plus en plus court. Dans cette Tunisie post-révolutionnaire de qui on attendait monts et merveilles, on ne débat pas idée contre idée, programme contre programme. Le débat, si on peut appeler ce tintamarre ainsi, est fait à coup d’excommunications, d’anathèmes, d’invectives et de procès d’intention. Ce n’est pas ce que vous proposez qui alimente le débat, mais l’image que vous renvoyez et les arrière-pensées qu’on vous prête. Hamadi Jebali, Moncef Marzougui et Béji Caïd Essebsi en ont été les victimes, d’autres encore. A ce rythme, nos hommes politiques finiront pas ne plus avoir le choix qu’entre se taire ou pratiquer la langue de bois. 
   
Cette dérive peut évidemment être expliquée en invoquant notre tempérament méditerranéen, certains résidus culturels, l’absence d’habitus ou le poids de certaines haines inexpiables, haines d’autant plus ineffaçables que l’on arrive même pas à les justifier. Mais ce serait absoudre les citoyens que nous sommes, les partis politiques et la presse de toute responsabilité. Dans ce type d’interrelation, la causalité ne peut se séparer de la responsabilité. La classe politique dirigeante, puisque c’est sur elle que tout repose, regorge d’une somme d’inimités, de jalousie et de mesquineries telle que tout travail en concert est impossible et que tout débat politique est dérisoire. Le spectacle qu’elle donne tous les jours est si affligeant qu’on se demande jusqu’où peut conduire le jeu de cirque qui prévaut à la Constituante et ailleurs. Il est vrai que la mainmise des partis sur la vie politique, effet direct du mode de scrutin, a encouragé le  sectarisme et conduit à ce que militants et sympathisants se dessaisissent leur libre-arbitre au bénéfice du parti auxquels ils appartiennent «c’est si bien d’être dans un parti, on n’a plus besoin de penser». La virtuosité dialectique n’est plus utilisée pour élever le débat démocratique, mais pour intimider l’adversaire afin de l’empêcher de s’exprimer et pour décréter vérité absolue ce qui n’est au fond qu’une interprétation partisane et passionnée des choses.

Ce n’est pas du débat démocratique qu’il s’agit actuellement, mais d’une forme de manichéisme poussée à l’extrême. Il est si commode de s’abriter derrière l’idée fallacieuse qu’il existe une différence de nature entre son propre camp et le camp d’en face. En se plaçant tout naturellement du bon côté, il devient si facile de reléguer les autres du côté « obscur ». En laissant entendre que l’on est les seuls à être vertueux et à détenir la vérité, il devient naturel de faire croire que "l'enfer, c'est les autres". Aucun débat politique sérieux n’est envisageable dans ces conditions. Le régime démocratique lui-même n’y survivra pas. Déjà, quelques franges intégristes le réfutent en attendant de l’abattre. Dépassionner la politique, la soustraire aux diktats de tous les intégrismes, la soumettre enfin à la critique de la seule raison devient une tâche urgente et commune à tous. C’est à ce prix et ce prix seulement que le débat politique s’élèvera et que la démocratie s’installera.

Habib Touhami