Opinions - 24.01.2012

Une politique de Stop and Go serait-elle la solution ?

Face au marasme économique que vit actuellement la Tunisie, il n’y a pas de solutions magiques pour s’en sortir, juste il faut agir et au plus vite ! Certes, les marges de manœuvres sont très réduites avec un déficit courant qui pointe à 6 %, une croissance négative durant 2011 estimé à – 1,85 %, une baisse des exportations notamment au niveau du phosphate et une débandade inquiétante du secteur touristique, l’un des principaux secteurs pourvoyeur de devise et d’emplois en Tunisie ! Mais le potentiel est encore là, dans un pays qui doit savoir capitaliser et valoriser ses récents acquis en matière de liberté et de démocratie, et les exploiter au mieux dans une nouvelle dynamique créatrice de valeur économique et sociale !

Tout d’abord, c’est à ce gouvernement, nouvellement installé, de prendre l’initiative et d’annoncer dans les meilleurs délais, un plan de sauvetage à déployer dés le premier trimestre 2012 afin d’enrayer la chute et stopper l’hémorragie ! Ce plan de sauvetage pourrait comporter un premier volet financier sous forme de subventions d’investissement et d’exploitation, de crédit d’impôt et d’aides au développement notamment au profit des entreprises et des investisseurs. Un deuxième volet consisterait à mettre en œuvre des nouvelles règles de gouvernance garantissant une meilleure répartition des pouvoirs et une représentativité des parties prenantes, notamment des salariés, au sein des organes de gouvernance des entreprises publiques, notamment, qui souffrent d’un déficit flagrant à ce niveau. Le concept de l’administrateur-salarié, les systèmes duals à l’allemande ainsi que l’actionnariat-salarié sont des mesures de gouvernance pertinentes aptes à mieux gérer les conflits d’intérêt et à fiabiliser les processus de création et de répartition de la valeur à travers la consolidation de la coalition des parties prenantes, indispensables pour la bonne marche et le développement de chaque entreprise.

Cette réforme de la gouvernance des entreprises aura certainement un impact positif à court et long terme, en contribuant à l’amélioration du climat social dans les entreprises et à leur garantir plus de performance et de pérennité. Une stabilité relative pourrait même résulter immédiatement de ce genre de mesures, les expériences à l’international le prouvent bien ! 

Plus structurellement et au niveau macroéconomique, la réflexion est plus profonde et l’analyse doit prendre en compte un ensemble de paramètres qui rentrent en jeu dans l’optimisation de la décision politique à ce niveau. En effet, aujourd’hui, il peut s’avérer évident qu’une politique de rigueur ou d’austérité serait la solution unique pour « sauver les meubles » et amorcer un nouveau départ. Cette politique qui prône la hausse de la fiscalité et la baisse des dépenses publiques dans l’objectif de réduire le déficit, se justifierait en ce moment en Tunisie, par l’enregistrement d’un déficit courant en forte hausse et qui a atteint 6%, ainsi que par l’inflation rampante qui nuit au pouvoir d’achat, notamment celui de la classe moyenne, véritable force de frappe de l’économie tunisienne. Notons que dans le cadre de cette politique et afin de maîtriser l’inflation, le gouvernement serait amener à tenter d’encadrer les salaires et d’éviter les mouvements de hausse à ce niveau, ce qui risque de porter les salaires à un niveau trop élevé provoquant une sous-performance des entreprises et impactant in fine la création d’emploi. Les hausses de salaire peuvent également provoquer une hausse générale des prix et ainsi engendrer un cercle vicieux.

Le mérite d’une politique de rigueur se situerait essentiellement sur le moyen et long terme, à travers la restauration des comptes publics et de la balance des paiements, favorisant ainsi la confiance dans l'économie, la stabilité du taux de change, et augmentant l'investissement et les flux d'IDE (entrée de capitaux étrangers). À terme, la compétitivité économique est améliorée et par suite, la quantité d'emplois dans l’économie (en particulier dans le secteur privé) est plus élevée. Mais les questions qui se posent aujourd’hui, sont celles qui nous amèneraient à savoir si les Tunisiens sont prêts ou non aux sacrifices du court terme ? Accepteront-ils des baisses salariales? Par ailleurs, aujourd’hui, les attentes des opérateurs se concentrent plutôt sur la relance qui doit se faire au plus vite et la reprise des activités qui doit être perceptible dés la fin des élections et l’installation du nouveau gouvernement. Pour autant, devrons-nous adopter plutôt une politique de relance et éviter toute forme d’austérité ?

En pratique, une politique de relance consiste en un ensemble de mesures de politique économique, qui s'effectue par des dépenses publiques additionnelles et des réductions de certains impôts, décidées par le gouvernement, dans le but de provoquer une « relance économique », autrement dit une augmentation de l'activité économique et une réduction du chômage lors des périodes de faible croissance (ce qui est aujourd’hui le cas en Tunisie) ou de récession.

Les politiques de relance s’opèrent par le biais d’‘un ensemble d’instruments relevant de la politique budgétaire et de la politique monétaire. Ainsi, les politiques de relance sont l’essence même de la mise en pratique de la théorie keynésienne qui se base sur la capacité du gouvernement à relancer efficacement l'économie par des dépenses publiques additionnelles. Ces dépenses permettraient en effet de passer d'un équilibre sous-optimal (faible demande, faible offre, chômage et sous-exploitation du capital, absence de visibilité et manque de confiance induisant des mouvements de panique et de désillusion) à un équilibre plus satisfaisant (plein emploi, demande et offre plus forte, motivation et confiance accrues induisant la reprise des initiatives).

Ceci dit, l'efficacité des politiques de relance est à discuter de par les expériences vécues notamment dans certains pays développés qui ont vu leur déficit se creuser, les dettes publiques s’aggraver et la stagflation s’installer!

Ce constat nous amène à proposer d’autres alternatives qui pourraient convenir au mieux à la situation actuelle en Tunisie, caractérisée surtout par une croissance économique inférieure à la croissance potentielle
Ainsi, une alternance politique de rigueur-politique de relance ou ce qu’on désigne communément par les politiques de Stop and Go serait une solution pertinente à envisager dans cette conjoncture économique mauvaise! Plus concrètement, le gouvernement actuel doit mener une politique de relance, qui passe par une politique budgétaire expansionniste, autrement dit une politique qui se traduit par une augmentation de ses dépenses publiques.

A la moindre embellie ou amélioration de la conjoncture économique, le gouvernement doit alors mener une politique budgétaire plus restrictive en baissant ses dépenses pour éviter de creuser encore plus le déficit. Des rentrées fiscales, fruits de la relance économique réduiront la dette publique et permettront même de relancer l'économie encore une fois en assurant une alternance qui doit être bien huilée et cadencée.

Afin de bien réussir cette politique de Stop and Go, encore faut-il se référer au prix Nobel, Milton Friedman, qui met en garde contre les problèmes de délais dans ce genre de politique et qui pourraient les rendre inefficaces notamment si des décalages se font ressentir entre le délai de la prise de la décision et celui de sa mise en œuvre pratique.

Le nouveau gouvernement est appelé donc à être proactif et réactif et assurer une certaine efficience dans son fonctionnement. Le manque d’homogénéité et de cohérence, caractérisant ce gouvernement du moins dans sa composition et les lourdeurs qui peuvent en résulter, constitue-t-il un handicap l’empêchant d’adopter une politique de Stop and Go ? 

Dr Moez JOUDI
Président de l’Association Tunisienne de Gouvernance (ATG)
Universitaire
Administrateur de sociétés