Success Story - 18.12.2011

Abdeljélil Témimi : Plus qu'une fondation, une institution exceptionnelle

«C’est l’oeuvre de ma vie !», affirme fièrement le Pr Abdeljélil Temimi, 72 ans, professeur émérite (histoire moderne), montrant les deux tomes de «L’observatoire de la Révolution Tunisienne» qu’il vient juste de publier. Fondateur d’une institution exceptionnelle, la Fondation Temimi pour la recherche scientifique et l’information, il s’est empressé, dès la chute de la dictature, d’organiser 23 rencontres exceptionnelles avec des personnalités politiques, juridiques, intellectuelles, économiques et syndicales de premier plan.

Leurs témoignages et analyses à chaud est transcrit dans ces deux volumes qui portent à 193 le nombre de titres publiés, dans 9 spécialités, sans compter les 31 ouvrages personnels dont il est l’auteur.

Temimi, c’est aussi 150 congrès régionaux et internationaux organisés en Tunisie et à l’étranger, une bibliothèque de plus de 21 000 titres, un centre de recherche couvrant plus de 5 400 m2, implanté près de Zaghouan, pour plus de 2,5 MD d’investissement, longtemps voué à la fermeture par le régime déchu et des centaines de témoignages recueillis et enregistrés. Ni les intimidations ni l’étouffement financier, n’était-ce le soutien de généreux mécènes, n’ont pu ébranler sa foi. « J’ai tenu bon, dira-t-il, avant d’ajouter, je ne vous cache pas que j’ai eu peur pour la Fondation. Mais, voilà que la révolution est venue tout sauver, tout relancer ». Une oeuvre exceptionnelle. La fondation, comme son fondateur, méritent d’être connus.

Qui parmi les hommes politiques et leaders syndicalistes tunisiens n’est pas passé par sa tribune, à Zaghouan, et depuis ces dernières années, à son siège au Centre Urbain Nord, pour témoigner de son parcours, livrer ses souvenirs et se soumettre au feu roulant des chercheurs historiens ? D’Ahmed Ben Salah à Mansour Moalla, en passant par Ahmed Mestiri, Mohamed Mzali, Hamma Hammami , Rached Ghannouchi, et bien d’autres, de différentes générations et convictions. Plus qu’un think tank, la Fondation Temimi s’est imposée en véritable institution. Pour avoir résisté à la dictature, ouvert sa tribune à tous, sans exclusive, osé traiter de tous les sujets, sans tabou et recueilli de précieux documents et témoignages, le Pr Abdeljélil Temimi a gagné la confiance de tous, suscitant l’intérêt de grands centres de recherche de par le monde. Pourtant, rien ne prédestinait le jeune Kairouanais, issu, parmi 6 frères et soeurs, d’une modeste famille traditionnaliste, habitant la vieille ville de la capitale des Aghlabides, à réussir une carrière aussi brillante.

A 15 ans, il dévorait avec Jaafar Majed, Mongi Fekih et Hamed Alouini, la bibliothèque de l’Association de la fraternité kairouanaise, savourant les chefs-d’oeuvre des littératures arabe et française. Ses cousins, Néjiba, première femme syndicaliste de la ville, Mustapha et Mohamed, fervents nationalistes, lui ont inculqué le sens du patriotisme. Son père, petit agriculteur très attaché au patrimoine, commence par l’envoyer à l’école franco-arabe, puis le prédestine à la Zitouna. Monté à Tunis, il fera la découverte de Salah Guermadi, Abdelkerim Marrak, Mohamed Mganem et autres Ahmed Kacem. Il se présentera en candidat libre au brevet Sadiki, tout en réussissant au Tahsil qui lui ouvre la voie à une bourse d’études en Irak.
Un chemin croisé

Parti pour Bagdad en 1961, il dut traverser la Libye et l’Egypte puis passer par Beyrouth et Amman, découvrant ainsi tout cet Orient en pleine ébullition. Licence en poche, il se rend à Londres en 1965, pour préparer son Ph. D. Le Pr Bernard Lewis qui le reçoit courtoisement lui conseille d’aller plutôt en France, afin de garantir une équivalence de son doctorat, une fois rentré à Tunis. C’est ainsi qu’il ira à Aix-en-Provence rencontrer le premier historien spécialiste de l’Empire Ottoman, Robert Mantran. Premier conseil qu’il reçoit, c’est d’apprendre la langue turque… en Turquie. Et le voilà donc mettre le cap, dès 1966, sur Istanbul où il tirera un profit exceptionnel, des trésors d’archives et documents. Il sera le premier Tunisien à soutenir en 1972 à Aix-en-Provence une thèse de doctorat en histoire moderne. Il ne s’arrêtera pas là, obtenant également trois diplômes en archivistique, en sciences de l’information et en bibliothéconomie aux Archives Nationales de France, à l’Université de Pittsburgh et au National Archives à Washington (USA).

Parallèlement à sa carrière universitaire, il lancera trois revues spécialisées (en histoire maghrébine, en études ottomanes et la Revue Arabe d’Archives et de Documentation) qui continuent à paraître régulièrement, la première depuis … 38 ans.

De nouveaux défis

Ce qui passionne le plus aujourd’hui, le Pr Temimi, c’est de militer pour la préservation des documents historiques laissés par le régime déchu. Qu’il s’agisse des archives de la Présidence de la République, du ministère de l’Intérieur, notamment ceux de la police politique, ou encore de tous les autres départements et services, ils renferment des mines de trésors et constituent une partie de la mémoire nationale à sauvegarder précieusement et mettre, selon des modalités à convenir, à la disposition des chercheurs. Deuxième sujet d’intérêt, la création d’une chaîne TV documentaire, consacrant une large place à l’histoire de la Tunisie et aux témoignages de première main. «Je dispose à la Fondation de centaines d’heures filmées qui peuvent servir de base pour nourrir les programmes de cette chaîne, et on doit y aller rapidement.», affirme t-il.Ses efforts vont également à la réouverture de son centre de Zaghouan où son fils Sami travaille d’arrache-pied avec les différentes équipes de maintenance. Quant à l’avenir de la Fondation, il sait qu’il peut faire confiance à ses disciples et au soutien de ses deux filles, Sonia et Nadia. Sonia, spécialiste en histoire contemporaine de l’Egypte, vient de rentrer d’un long séjour de 8 ans au Caire. Quant à Nadia, turcologue, elle est chercheur à Paris.

Galvanisé par la révolution et toujours débordant de nouveaux projets, le Pr Temimi ne perd pas une seule minute, s’aménageant un petit studio, sur le même palier que son bureau, se consacrant nuit et jour à son devoir érigé en passion. Tôt le matin, il descend faire une heure de marche autour du jardin botanique avoisinant, avant de remonter au bureau, pour se remettre à l’ouvrage. Seul moment de respirer, le week-end, en rentrant chez lui à Zaghouan… le cartable plein de livres à lire, d’articles à relire…