News - 04.12.2011

La Tunisie de 2011, de Kasbah 1 à Bardo 1

On venait à peine de se remettre des émotions de la prise d’assaut de la Faculté de Manouba par un groupe d’irréductibles, exécutée lundi, que le mercredi au soir, la nouvelle d’un sit-in organisé aux portes de l’assemblée constituante au Bardo se propage comme une traînée de poudre. 
 
Cette manifestation est à lier aux recrutements de la Compagnie Phosphate Gafsa dont les résultats partiels, ceux des délégations d’Om Larayes et de Mdhila, ont été vivement contestés après leur proclamation mercredi 23 novembre dernier. La violence des manifestants a été telle qu’un couvre feu a été décrété à Gafsa. Les contestataires décident alors de monter à Tunis et campent sous les bureaux de la direction générale de la CPG pour réclamer l’annulation des listes d’admission et une nouvelle sélection qui tienne davantage compte des critères sociaux. N’obtenant aucun résultat immédiat, entre la compagnie qui leur affirme que le concours a été géré par le ministère de l’emploi et ce dernier dont le ministre, démissionnaire, ne leur aurait fait aucune promesse, ils sont une vingtaine à venir, le mercredi 30 novembre, dresser leurs tentes sur le gazon qui entoure les barrières du palais du Bardo, siège du nouveau pouvoir de la constituante. 
 
A ces demandeurs d’emploi, se joignent rapidement, tous les contestataires des projets discutés en commissions de l’assemblée constituante, celui du règlement intérieur et de l’organisation provisoire des pouvoirs. Depuis plusieurs jours déjà, plusieurs personnalités appartenant à divers partis politiques ainsi que des indépendants et des experts en droit constitutionnel s’égosillaient sur les plateaux de télévision et les radios pour dénoncer ce qu’ils considèrent comme la concentration de tous les pouvoirs chez le Premier ministre et exiger l’adoption de la constitution aux 2/3 de l’assemblée et non à 50%+1 comme proposé. A la tête des contestataires, les militants de la liste indépendante Dostourna, candidats malheureux à la constituante, ont été parmi les premiers à se mobiliser et à dresser leur tente.
 
Le sit-in du Bardo, qui regroupait alors deux composantes, économique et sociale d’un côté et politique de l’autre, devait se renforcer le jeudi 1er décembre, décrété jour de grève nationale par le syndicat de l’enseignement supérieur, par les revendications d’autonomie de l’université exprimées par des milliers d’universitaires qui affluent vers … le siège de l’assemblée constituante au Bardo. Jusque-là, les trois mouvements vont dans le même sens, ils réclament tous une prise de position plus forte de la coalition au pouvoir dont ils dénoncent la perte de temps à se partager les sièges alors que le chômage bat son plein, que l’économie est en panne, que des individus n’appartenant pas à l’université y font la loi. Ils réclament également une révision de plusieurs articles du règlement intérieur et davantage d’équilibre entre les trois présidences, celle de la République, du gouvernement et de l’assemblée nationale et la séparation des trois pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.
 
Face à ces nombreuses contestations, plusieurs voix se sont élevées pour dire qu’il faut laisser l’assemblée travailler. La plupart d’entre elles sont des sympathisants d’Ennahdha et ils seront des milliers à venir exprimer, haut et fort et parfois violement, ce point de vue, en face … de l’assemblée nationale samedi 3 décembre. Et ce malgré la position d’Ennahdha qui, sur son site web officiel, appelle à ne pas participer à la manifestation. En milieu de journée, cette dernière tourne court entre un net clivage qui apparaît entre ceux qui contestent l’assemblée constituante et ceux qui la soutiennent. Le conflit se transformera rapidement, à coups d’insultes et slogans injurieux, particulièrement du côté des défenseurs d’Ennahdha, en affrontement islamiste versus laïc qui se terminera, en fin de journée, par une dispersion par les forces de sécurité à coups de gaz lacrymogènes.
 
Ces provocations ne feront que rallier des troupes supplémentaires au sit-in et les appels à le soutenir se font de plus en plus nombreux et insistants. Ils ne sont pas sans rappeler les appels au sit-in de la kasbah 1 et 2. Sur Twitter et Facebook, on peut suivre en live l’évolution de la situation. Des services d’ordre assurent la sécurité après les attaques des premiers soirs. Des matelas neufs et des couettes sont dépêchés sur place et la nourriture ne manque pas. Dimanche après-midi, des militants de l’UGTT, après avoir rendu un vibrant hommage à leur leader disparu Farhat Hached à la Kasbah, viennent renforcer le sit-in. Des sans emploi d’autres villes se sont joints au mouvement qui ne cesse d’enfler. Les abords de l’assemblée constituante se transforment en véritable Hyde Park où des cercles discutent indépendance de la banque centrale, libertés académiques, programmes économiques, etc. Une ambiance qui fait penser à cette fin janvier 2011 où des foules de citoyens se retrouvaient spontanément à la place de la kasbah, transformée en Agora, pour aider les sit-ineurs, les soutenir, nettoyer la place et discuter.
 
Mis à part quelques jeunes qui se croient au stade et qui continuent à insulter les contestataires et à décrédibiliser leur mouvement, l’ambiance de ce qu’on appelle désormais Bardo 1, signe que ce n’est pas le dernier, est saine et sage. Les sit-ineurs déclarent qu’ils ne veulent pas bloquer l’avancée du travail de l’assemblée constituante mais lui demandent de reconnaître leurs difficultés et d’écouter leurs revendications … comme dans une démocratie.
 
Anissa Ben Hassine