Opinions - 25.10.2011

Réflexions à propos du gouvernement transitionnel post-23 Octobre 2011

L’objet de la présente note est de partager avec les lecteurs de Leaders quelques propositions, que j’ai laissé longuement mûrir en moi, avant de les livrer au public, à propos de la question ô! combien épineuse de l’organisation du fonctionnement des pouvoirs publics post-23 Octobre, et jusqu’à la fin - Dieu seul sait quand - de la période transitionnelle, qui succédera à la période transitoire, inaugurée le 14 Janvier 2011.

Je n’ai pas choisi par hasard ce moment-ci pour coucher par écrit les propositions qui vont suivre. En ce jour du 25 Octobre, en effet, ont été officiellement proclamés les résultats des élections à la nouvelle Assemblée Constituante. Sous réserve des ajustements – mineurs- auxquels pourraient donner lieu les recours en annulations, qui seront immanquablement introduits devant l’Instance Supérieure Indépendante pour les Elections (ISIE), les gagnants et les perdants de cette première joute électorale démocratique, comme l’identité des grands et des petits vainqueurs de la compétition et les rapports de force qui les hiérarchisent les uns par rapport aux autres sont aujourd’hui connus, mais diversement perçus, internalisés et appréciés

Le paysage politique de la future Assemblée, tel qu’il est sorti des urnes, est, en effet,  marqué par des configurations partisanes tout à fait inédites, au point de constituer pour les uns des chocs salutaires, et pour les autres, des chocs traumatiques. Pour ce qui est de l’organisation et  du mode de fonctionnement futurs des pouvoirs publics, notamment en période transitionnelle, question qui nous importe ici en dehors de toute autre, il nous faudrait bien reconnaître que les vrais enjeux politiques, institutionnels, économiques, sociaux  et culturels sous-jacents à la transition post 23 Octobre 2011 risquent fort d’être occultés par le jeu malsain d’intérêts partisans, en quête de pouvoir et de domination.   

Les propositions que je souhaiterai partager avec la communauté de vos lecteurs s’articulent autour de trois questions importantes relatives au futur gouvernement transitionnel:

  1. le choix de deux composantes du sommet de l’Exécutif : le Président de la République et le Premier ministre du futur gouvernement transitionnel
  2. le plan de charge du futur gouvernement transitionnel
  3. la réorganisation des départements ministériels du gouvernement transitionnel    


Le choix de deux composantes du sommet de l’Exécutif : le Président de la République et le Premier ministre du futur gouvernement transitionnel 

A propos  de la question du choix de deux composantes du sommet de l’Exécutif : le Président de la  République et le Premier ministre du futur gouvernement transitionnel, deux options (avec des variantes) peuvent être envisagées :

Option  A :

* Variante 1

Reconduction pure et simple dans leurs fonctions et prérogatives présentes du Président de la République, du Premier ministre et de l’ensemble (ou d’une partie) des membres du gouvernement provisoire actuel ; et ce, jusqu’à la fin de la période transitionnelle (élection d’une  Assemblée législative, suivie de celle d’un Président de la République, et désignation d’un  gouvernement, suivant les dispositions de la Nouvelle Constitution Tunisienne).

Cette variante a pour avantage majeur de garantir une continuité dans la gestion des affaires en temps de crise, dont le pays ne peut faire l’économie. Il est bien évident, par ailleurs, que :

  • a) les relations entre le Président de la République et le Premier ministre d’une part et l’Assemblée Constituante d’autre part, en attendant qu’elles soient déterminées par la nouvelle Constitution en confection, seront régies par la nouvelle loi sur l’organisation et le fonctionnement des pouvoirs publics, qui sera votée par l’Assemblée, très probablement, immédiatement  après l’entrée de celle-ci en fonction. A cet égard, et pour garantir la fluidité et la souplesse nécessaire dans les rapports entre les deux institutions exécutive et parlementaire, il nous paraît nécessaire que les domaines de consultations ex ante  entre les deux parties concernées, comme les actions gouvernementales requérant l’approbation préalable de l’Assemblée soient arrêtés d’un commun accord  et de manière à ne pas entraver le bon fonctionnement de l’Etat.                                                         

Il en est de même des domaines où l’Assemblée Constituante serait appelée à exercer un pouvoir contrôle ex-post  ou un pouvoir de ratification de l’action gouvernementale

  • b) les contraintes relatives au plan de charge du futur gouvernement transitionnel) et à la réorganisation des départements ministériels, questions que nous aborderons plus loin, s’appliquent au gouvernement transitionnel issu de cette variante. 

                                  
*Variante 2

Désignation  par l’Assemblée Constituante d’un nouveau Président de la République transitionnel, jouissant des mêmes prérogatives que le précédent, avec  reconduction du Premier ministre actuel dans ses fonctions et prérogatives présentes et maintien de la totalité ou d’une  partie des membres du gouvernement provisoire.

La désignation d’un nouveau Président de la République transitionnel  constituera ainsi un acte politique, qui sera décidé soit dans le cadre d’un consensus, soit dans le cadre d’un compromis, soit dans le cadre d’un vote entre les différentes parties politiques ou civiles représentées à l’Assemblée.

Le grand avantage de cette variante est double : elle assure la continuité dans la gestion des affaires nationales à l’échelle de la composante la plus décisive de l’Exécutif : le gouvernement, lequel, rappelons, continue d’être soumis aux mêmes contraintes évoquées plus haut ; elle introduit aussi une dimension politique fraîche, novatrice au sommet du système de gouvernance de la nation, reflétant, plus que ne le fait la variante 1, le  passage de la Tunisie à l’ère démocratique.

Toutefois, la politisation du choix du futur Chef d’Etat tunisien, en cette conjoncture particulièrement sensible de la Tunisie post-révolutionnaire, devra veiller à ce que le Premier Magistrat du pays soit suffisamment représentatif  de toutes les valeurs de la République

Option B

Avec l’Option B, nous changeons complètement de cap avec les énormes risques que cela comporte. Outre le choix du futur Chef de l’Etat transitionnel, l’Option B  politise également le processus de désignation du Premier ministre et /ou des membres du  gouvernement transitionnel, soit  par application de la loi de la majorité (relative ou qualifiée) au sein de la future Assemblée Constituante, soit via le recours à la formule dite de ‘gouvernement d’union nationale’.

Autant  l’Option A avec ses deux variantes nous paraît, sinon la plus novatrice, du moins la plus garante de la continuité dans la gestion des affaires du pays en période de crise, notamment, autant l’Option B, avec ses deux versions aussi, nous semble prégnante de risques d’instabilité, et porteuse d’une culture de compromis et de marchandages politiques ou politiciens, tout à fait à contre-courant des exigences du retour de l’économie nationale à un développement accéléré, sain, équilibré, démocratique, équitable,  et durable.

Un gouvernement fait de sensibilités, voire d’obédiences politiques et idéologiques diverses, boire antagoniques,  à un  moment où la culture démocratique chez nous  est encore au stade de l’ambition et du slogan, où les contre-pouvoirs institutionnels efficaces sont encore à inventer, où les obligations de résultat  en matière de croissance, de restauration de l’appareil productif national et de notre compétitivité internationale, de lutte contre les inégalités sociales et régionales sont plus que jamais impératives, ne peut pas être le gouvernement transitionnel idéal dont le pays a besoin.   

Le plan de charge du futur gouvernement transitionnel

L’expression de ‘plan de charge’ a été choisie ici à dessein. Au vu de la sévérité des contraintes et des ‘obligations de délivrer’, qui pèsent à court terme, à très court terme même,  sur le futur gouvernement transitionnel, il n’ y a pas d’autre mot pour qualifier la mission dont les gouvernants transitionnels auront à s’acquitter au cours de l’année, voire plus, où ils seront aux commandes.

Certes, gouverner, c’est prévoir, dit un adage populaire. Avec l’élaboration de la Note d’Orientation, baptisée ‘Stratégie de Développement Economique et Social  2012-2016’, (Voir nos commentaires parus dans Leaders du 2/10/011), le gouvernement provisoire a montré qu’il ne se contentait pas de gérer l’urgent, mais qu’il était tourné aussi vers l’avenir. Rendons-lui cette justice. Mais le futur gouvernement transitionnel, qu’il soit la continuation pure et simple du gouvernement transitoire qui l’a précédé, ou quelque chose de tout à fait nouveau, aborde l’année qui vient, certes avec un bilan, qui est loin d’être dépourvu d’actifs, mais avec un passé où les zones d’ombres, les urgences non résolues, les attentes non satisfaites et les promesses non tenues sont multiples et variées. Il n’ y aura pour lui aucune période de grâce, ni sur la réduction du chômage, ni sur la lutte contre la pauvreté et ses dérivés, ni sur l’élimination, fût-ce progressive, des inégalités régionales, ni sur la réforme en profondeur de système judiciaire et du système sécuritaire, ni sur bien d’autres urgences et attentes sociales….qui ne sont plus disposées à attendre.

Notre propos ici n’est pas de formuler un plan de charge exhaustif pour le gouvernement prochain, mais simplement de dramatiser le besoin d’actions de choc à mettre au point, aux côtés du travail routinier, et aussi du travail prospectif, qu’il est amené à assurer, quelque soit sa durée dans le temps. Instituer dans l’urgence, quitte à différer des projets plus longs, des Fonds régionaux spécifiques pour agir en urgence au Nord-Ouest, au Nord-Est, au Centre- Ouest et au Sud du pays. Multiplier les missions, les rencontres et les débats sur le terrain. Faire en sorte que tous les ministres en personne du futur gouvernement transitionnel  développent des rapports conviviaux  avec les populations des régions les plus déshéritées du pays.  C’est un gouvernement task- force, un gouvernement de choc, qu’il nous faut pour les mois qui viennent.

Pour ce faire, il faudrait des ministres taillés pour la tâche : suffisamment jeunes, compétents dans les domaines dont ils ont la charge, sensibles aux enjeux politiques et sociétaux des missions qui leur sont confiées, mais indépendants des partis politiques au pouvoir ou non, mobiles dans l’espace intérieur du pays, disposés à écouter le citoyen quel qu’il soit et où qu’il soit.                                       

La réorganisation des départements ministériels du gouvernement transitionnel

Les exigences d’efficience, de célérité dans l’action, de transparence et de précision en ce qui concerne la délimitation des champs de compétence, et last but not least, d’économies dans les dépenses de fonctionnement, commandent, bien évidemment, une architecture de l’édifice ministériel articulée  autour des axes suivants :

  • Coordonner au sommet les affaires du Développement au sein d’une structure ministérielle, sous- tutelle directe du Premier ministre 
  • Doter le premier ministère d’un Conseil de conseillers au développement 
  • Réunir sous la tutelle de quatre grands ministères  des départements ministériels  à compétences horizontales ou trans-sectorielles, concentrant ainsi  plus de moyens et disposant de logistiques plus larges  pour mener les actions de développement requises
  • Reformuler l’appellation de certains ministères de souveraineté

Le corps ministériel présent comprend pas moins de 27 ministres et 8 secrétaires d’Etat. C’est excessif, redondant et coûteux.

Une architecture alternative possible, en mesure de mieux satisfaire aux exigences évoquées précédemment pourrait se présenter comme suit :

1)  Création d’un poste de Vice-premier ministre, ou à défaut, d’un ministère d’Etat, auprès du Premier ministre, chargé du Développement. Quelque soit son profil, le premier ministre du futur gouvernement transitionnel devrait avoir tout le temps nécessaire pour se consacrer  aux grandes questions qui relèvent de la gouvernance  supérieure de la nation, notamment en ces temps de reconstruction. Le vice-premier ministre  ou le ministre d’Etat, qui opère, bien évidemment, sous la tutelle du Premier ministre, se consacrera, lui, à la coordination de l’action de développement  économique – y compris financier- et social. Il pourrait être assisté d’un Conseil de conseillers au développement, non permanents, constitués de hautes sommités tunisiennes, académiques et professionnelles, dans différents domaines du savoir économique financier et social.

2)  Ministères de souveraineté                         
              2.1  Ministère de la Justice et des droits de l’Homme. Nous proposons de l’appeler Ministère de la Justice, des Droits de l’Homme et du Citoyen. La citoyenneté, une des valeurs au nom desquelles la révolution a éclaté, le 14 janvier 2011, devrait figurer explicitement dans le libellé du ministère en question.
             2.2  Ministère de l’Intérieur. Nous proposer de le rebaptiser comme suit :Ministère de la Sécurité Nationale et Citoyenne (ou des Citoyens), pour les mêmes raisons que celles évoquées plus haut.  
             2.3 Ministère de la Défense Nationale et Ministère des Affaire Etrangères. Aucun changement  

3) Constitution de cinq grands ministères
               3.1   Ministère du Développement National réunissant les ministères actuels : Ministère de la Planification, et de la Coopération Internationale ; Ministère des Finances ; et Ministère des Domaines de l’Etat
               3.2  Ministère de l’Equipement, du Logement et des Transports
               3.3  Ministère des Affaires Sociales, de l’Emploi et de la Formation Professionnelle    
               3.4  Ministère du Développement Régional et Local, et de l’Aménagement du Territoire. A rattacher au Premier ministère
               3.5 Ministère de l’Education Nationale, de la Jeunesse et des Sports

4) Autres ministères: sans changement.

Chedly Ayari

Le 25 Octobre 2011