Opinions - 08.08.2011

Impact de la confiscation sur la valeur de l'entreprise et sa compétitivité et par conséquent sur le produit de sa cession

La confiscation des biens et le gel des avoirs appartenant au président déchu et ses proches représentent aujourd’hui une préoccupation capitale et un enjeu économique de premier ordre.

A cet effet, un plan de confiscation notamment des participations financières a été mis en œuvre, selon lequel, plus que 300 entités appartenant à l’ex-Président tunisien et à sa famille ont été confiées à des administrateurs judiciaires et des séquestres et ce, en vertu  du décret-loi n°13 du 14 mars 2011, complété par les dispositions du décret-loi N° 68 du 14 juillet 2011, portant création d’une commission nationale de gestion, instituée auprès du ministre des Finances.

Ces deux textes législatifs éveillent de nombreuses interrogations quant aux modalités de mise en œuvre du plan de confiscation, son impact sur la compétitivité et la pérennité de ces entreprises et sur leurs valeurs  de cession le cas échéant.

Pour répondre à ces  interrogations, l’Association Tunisienne du Droit des Affaires a pris, en collaboration avec Leaders, l’initiative de  réunir toutes les parties concernées dans le cadre d’un symposium organisé mercredi 20 juillet 2011 à l’IACE.
La rencontre, la première du genre malgré l’importance et l’aspect brulant de la question,  a permis à tous les intervenants dans la gestion de ces entreprises  et instances concernées de se retrouver autour d’une table. Ainsi, administrateurs judiciaires, banquiers, fournisseurs, clients, Banque Centrale, contentieux de l’Etat mais aussi la commission de confiscation dirigée magistralement par monsieur Adel Ben Smail, ont étayé leurs difficultés et leurs réflexions face à la lourdeur de la tâche qui incombe à eux tous, afin  de faire survivre ces entreprises et  préserver les 15000 emplois directs - et autant indirects - et garantir la récupération par l’Etat du produit de cession.   

Préalables Juridiques

La situation actuelle des entreprises confisquées est plus délicate que jamais, ce qui nécessite le déploiement des efforts et  l’adoption de certaines mesures juridiques afin de sauvegarder la pérennité de ces entités dont certaines représentent le fleuron du paysage économique tunisien.

La cooptation des administrateurs représentant l’Etat est  une étape primordiale. Il s’agit de la prise du pouvoir de gestion de ces entreprises et la préparation d’un environnement favorable pour le travail de la commission de gestion. Il est à rappeler que le conflit juridique relatif à la survie du conseil d’administration par rapport à la nomination d’un administrateur judiciaire impose une redéfinition légale plus claire des pouvoirs de gestion.
Ensuite,  la nomination d’un Président Directeur Général ou encore le retour à un model de gestion selon le code des sociétés commerciales surtout pour les entreprises faisant appel public à l’épargne,  s’avère plus que nécessaire puisque les sociétés sous administration judiciaire sont assimilées par un large public à des sociétés en liquidation ce qui peut engendrer une fuite  des partenaires ainsi qu’une forte dégradation de la valeur boursière.

Par ailleurs, l’arrêté des comptes de ces entreprises ainsi que la ratification des assemblées devra permettre, en soutien des audits des commissaires aux comptes, de justifier de la vraie situation financière et patrimoniale. Certains administrateurs judiciaires tardent encore à réaliser cette tâche par peur d’assumer une responsabilité qui incomberait normalement aux anciens gérants.

Enfin, certaines de ces sociétés sont gérées en Holding dans lesquelles l’Etat ne peut juridiquement pas intervenir d’une façon directe puisque c’est l’administrateur judiciaire de la holding  qui a la responsabilité des commandes. Aussi, l’Etat devrait-elle soit prendre le pouvoir de gestion des Holding et y nommer des PDG, soit prévoir la liquidation de ces holdings afin de restituer les participations, facilitant ainsi la récupération des produits de cession.

Typologie des entités confisquées

Afin d’examiner l’effet de la confiscation sur ces entités, en termes de valorisation potentielle et de compétitivité, il convient de les classer selon quatre grandes catégories :
1 - Les entreprises de grande taille et à forte rentabilité, et notamment les concessionnaires automobiles, organismes financiers et compagnies de télécommunication.
L’évaluation de ces entreprises serait basée sur une  approche combinée tenant compte de leur patrimoine et leur Goodwill. Pour ce faire, toute une démarche doit être adoptée :

Protection des actifs

La responsabilité de l’Etat à travers l’administrateur judiciaire consisterait alors en la protection du patrimoine contre les menaces aussi bien internes qu’externes.

Les menaces externes proviennent des actes de vandalisme subis par ces entreprises surtout juste après le 14 janvier accompagné  d’actions de sabotages par les tiers, des clients qui ne veulent plus honorer leurs dettes, des polices d’assurance qui ne couvrent pas les émeutes etc…

Les menaces internes se manifestant par une absence du sentiment de contrôle associé à un climat social tendu provoqué par des grèves répétitives et parfois même des sit-in.

La solution passerait par une meilleure couverture des assurances et un soutien des services de contrôle interne.

Rassurer les partenaires de l’entreprise confisquée

Le   « confort » d’avoir des relations avec la famille du président déchu s’est transformé d’un coup en une honte terrible. Cette situation a poussé certains partenaires étrangers des sociétés confisquées, considérant la longue période de flou et se basant sur la directive de la commission européenne relative au gel des avoirs de la famille du président déchu, à suspendre toutes les transactions et les relations d’affaires entreprises avec ces sociétés. De nouveaux partenaires locaux ne cessent de proposer de se substituer à eux.

C’est donc à l’Etat de jouer son rôle de communication en vue de regagner la confiance de ces partenaires en  rassurant de même les marchés, la bourse, les clients, les fournisseurs et le personnel et  éviter aux entreprises confisquées une faillite certaine qui entrainerait la perte d’emplois et de richesses.

Augmentation  du chiffre d’affaires et de la rentabilité

Les sociétés de concession automobile ont subis les coups les plus durs. En fait,  en plus de la détérioration d’une partie de leurs stocks, l’importation de véhicules a été arrêtée suite au blocage des codes douaniers. Il s’en est suit une réduction substantielle des quotas d’importation par l’Etat qui se retrouve malgré tout le nouveau propriétaire. Cette réduction affectera directement le chiffre d’affaires et donc la valeur de cession éventuelle de l’entreprise.

Implication du personnel

L’Etat pourrait réduire la grogne sociale en prévoyant des « Stock-options » permettant au personnel de concrétiser un sentiment d’appartenance et de culture d’entreprise.

Toute cette démarche devrait aboutir à la cession de ces entreprises à un tiers avec une éventualité d’introduction en bourse. L’Etat se désengagerait alors d’un secteur concurrentiel privé mais respecterait un processus transparent permettant d’éviter les abus du passé.

2 - Les entreprises en développement à forte valeur ajoutée potentielle dans les  secteurs industriel et agricole.

L’évaluation de ces entreprises serait, également, basée sur une  approche combinée tenant compte de leur patrimoine et de leur Goodwill.

Ces entités en investissement pour la plupart, exigent un bouclage du schéma de financement par le déblocage de certains crédits déjà accordés. A ce propos, il est important de noter qu’une absence de réactivité de l’Etat poussera ces entreprises à tomber sous la loi 95/34 relative aux entreprises en difficultés économiques. Dans ce cas un règlement judiciaire ou une faillite pourrait entrainer dans son sillage la faillite d’autres opérateurs économiques liés à l’entreprise (créanciers, fournisseurs..).

Sans trop s’attarder sur le dossier de financement, il faut préciser que ces entreprises qui, jadis, jouissaient d’une facilité d’accès aux crédits sans limite se retrouvent du jour au lendemain livrées à elles mêmes, subissant non seulement un arrêt brutal de financement mais aussi l’exécution immédiate de tous les jugements, saisis et autres procédures qui étaient en instance.
Il serait également important de prévoir des partenaires stratégiques selon les domaines et de privilégier les investisseurs tunisiens afin  de préserver les investissements nationaux rentables et de permettre leur introduction en bourse.

3 - Les entreprises à vocation immobilière : les sociétés de promotion immobilière et les sociétés concessionnaires de carrières.
L’évaluation de ces entreprises serait basée sur une  approche purement patrimoniale sachant qu’elles emploient très peu de personnes.
Pour la sauvegarde du patrimoine de ces entreprises, l’Etat devra protéger les titres fonciers surtout que plusieurs terrains et biens immobiliers représentants les actifs ont subi l’assaut d’une tranche de la population.
Le choix de la liquidation de ces entités par la restitution des biens immobiliers permettra à l’Etat de récupérer  la vocation initiale de certains terrains.

Une cession à  des tiers est également envisageable surtout pour les entreprises ayant des projets en investissement ou encore les sociétés concessionnaires de carrières. En effet, la non exploitation des ces carrière depuis la révolution risque d’entrainer une pénurie de matières premières.

4 - Les entreprises de services ou de soutien : filiales de soutiens, entreprise pour appel d’offres public,  presse et média


Il s’agit d’entreprises à faible patrimoine moyennement ressourcées en cadres et en personnel. L’évaluation de ces entreprises devrait être basée sur leur valeur de rentabilité et donc leurs cash-flows futurs.

L’inquiétude est plus grande pour cette catégorie de sociétés confisquées dont la plupart sont des coquilles vides constituées pour répondre à des appels d’offres publics.  Pour les entités disposant de structure et de marchés réels, quelques administrations on pris malheureusement l’initiative de suspendre les marchés déjà signés entrainant un risque certain  de faillite (alors que ces sociétés appartiennent désormais à l’Etat).
D’autres entités sont des filiales de soutien pour les grandes structures des holdings mais qui se retrouvent aujourd’hui délaissées même par ces dernières. Une reprise du personnel de ces entreprises par les sociétés du groupe parait une bonne solution en attendant de les liquider.

Toutefois, une dernière catégorie pourrait permettre à l’Etat d’en tirer un maximum de profit.
Il s’agit des sociétés de média et de presse qui peuvent être cédées très facilement face à une demande vertigineuse  d’agréments  de radios et de sociétés de presse. L’opportunité  est vraiment à saisir mais encore faut il que l’Etat réagisse rapidement et les cède avant qu’il ne soit trop tard.

Quelle que soit la nature de la société confisquée ou sa rentabilité, on doit la considérer comme une richesse nationale qu’il faut préserver. Le rôle de l’Etat  et sa réactivité sont à présent primordiaux pour atteindre cet objectif, la lourdeur du  processus ne doit nullement empêcher de l’entreprendre même si le gouvernement actuel est provisoire, puisque la machine de l’Etat ne doit jamais s’arrêter.

Une commission de gestion de ces entités a été créée récemment formée par le ministre des finances, le ministre de la justice et le ministre des domaines de l’Etat afin de se fixer sur le sort à réserver à ces entreprises.
Sans avoir un esprit destructeur ou trop critique, ce choix est à notre sens une solution dangereuse face à l’urgence de la situation. En effet, alors que la commission de confiscation a fait déjà un pas de géant dans la maîtrise de la spécificité de ces entités et surtout dans la compréhension des montages de gestion et d’interférence, voila qu’on l’exclu au profit d’une nouvelle commission qui doit  refaire le même travail qui peut durer des mois alors que les élections risqueraient de changer la donne.

En attendant, des entreprises, des employés, des fournisseurs, des créanciers et des administrateurs judiciaires peinent et survivent au jour le jour dans le flou le plus total.

Kais FEKIH
Expert comptable et enseignant universitaire