Opinions - 20.07.2011

Réponse à l'article intitulé « Tunisie : A propos du G8 qui veut nous prêter de l'argent… »

Au moment où la Tunisie fait l’objet de tant de manifestations de respect et d’admiration et de dispositions et engagements de la part de ses partenaires, il est important de poser les vrais problèmes, sur la base d’informations justes et fiables, pour être en mesure de relever les défis qui se posent à notre pays pendant cette phase si prometteuse de sa reconstruction post-révolutionnaire. L’un de ces défis concerne l’accès de notre pays à l’aide internationale. A ce propos, la thèse développée par l’article de M. Mohamed Balghouthi intitulé « Tunisie : A propos du G8 qui veut nous prêter de l’argent… », paru dans l’édition du 15 Juillet 2011 d’Espace Manager est selon moi basée sur un certain nombre d’inexactitudes et de contre-vérités qu’il me parait important de souligner, notamment: 

1. L’auteur dit: « J'ai consulté la banque mondiale, le FMI ainsi que d'autres organismes pour avoir des données sur le PIB, la dette, la balance courante, etc... Une surprise de taille m'attendait : aucune donnée sur la dette des pays du G8 sur les sites précités ». Cela est inexact. Les sites référencés contiennent un grand nombre de données et d’indicateurs précis relatifs aux dettes (publiques et non publiques) de tous les pays du monde y compris ceux du G8. Il suffit même de consulter Wikipedia pour avoir des détails sur la situation d’endettement des Etats-Unis par exemple ainsi que de chaque autre pays du G8.

2. L’auteur écrit: « La dernière ligne, celle du total, montre clairement que le G8 est insolvable ». Cela est erroné car la solvabilité d’un pays ou d’une entreprise ne se mesure pas par le montant total des dettes ou par le ratio d’endettement. La solvabilité tient compte de bien d’autres facteurs qui ensemble évaluent la capacité de l'emprunteur à s'acquitter de ses dettes. 

3. L’auteur indique: « Mais heureusement qu'il y a les agences de notations américaines pour mettre un triple A aux pays du G8 ». Une telle affirmation est trompeuse car si effectivement la notation (Standard & Poors) est AAA pour la France, l’Allemagne, le Canada et les Etats-Unis, elle est AA- pour le Japon, A+ pour l’Italie et BBB pour la Russie. Contrairement à ce que voudrait laisser entendre l’auteur de l’article, ces notations n’évaluent pas le montant des dettes ou le degré d’endettement d’un pays, mais la capacité de ce pays à s’acquitter de ses dettes. C’est pour cette raison que bien qu’ils soient bien plus endettés, les pays comme l’Inde, la Roumanie, le Maroc, l’Egypte, le Portugal ou la Tunisie ont pourtant pratiquement la même notation (BBB) que la Russie dont le taux d’endettement (dettes/PIB) n’est que de 9,5%. De la même façon, le Nigéria qui est un pays producteur de pétrole et qui est donc très peu endetté (ratio dettes/PIB de seulement 3%) a la notation B+, bien inférieure à celle de tous ces derniers pays.

4. L’auteur signale: « le G8 qui n'a pas d'argent va emprunter à la finance familiale oligarque à 1%, puis nous prêter à 7%, se faisant ainsi 6% sur notre dos ». Cela est totalement faux. A titre d’exemple, aucun des tout récents prêts (totalisant 1,35 milliards de dollars) accordés à la Tunisie par la Banque Mondiale, la BAD, la Banque Européenne d’Investissements (BEI) et l’Agence Française de Développement (AFD) pour mettre en œuvre son programme d’urgence économique et sociale, n’a un taux d’intérêt dépassant les 3-4%.

5. L’auteur écrit : «En effet, les prêts sont conditionnels et le préteur exige certaines garanties pour limiter le risque et récupérer rapidement un retour sur investissement : Politiques d'Ajustement Structurel, ouverture des marchés (droits de douane à diviser par 2 selon une préconisation du FMI publiée dans son dernier rapport à propos du "printemps arabe"), augmentation de la TVA et diminution sur les impôts des IDE onshore et offshore, importation et culture de soja et de mais (transgénique ou pas) au détriment de nos cultures fourragères, signature de mise en conformité avec les règles de l'OMC pour rationaliser l'agriculture,... ». Il s’agit là de bribes d’informations qui sorties de leur contexte donnent une image tronquée et  déformée de la réalité. Pour ne citer qu’un exemple, si l’on se réfère par exemple aux prêts indiqués ci-dessus, il faut se rendre à l’évidence que ceux-ci ne sont liés par aucune condition préalable imposée par l’organisme prêteur. Ils ont été accordés pour être déboursés en une tranche unique sur la base des composantes du programme de transition socio-économique qui ont été totalement définis pas les experts et cadres tunisiens et acceptés tels quels par nos partenaires économiques et financiers.

6. L’auteur écrit : « Un vrai partenariat avec le G8 passe en priorité par une consolidation de nos entreprises Tunisiennes (publiques et privées), ensuite par un maillage entre les PME Tunisiennes et les PME du G8, avec un partage de la valeur ajoutée ». A titre d’information, sur demande du Gouvernement tunisien, un prêt de 100 millions $ de la Banque Mondiale et de la BAD destiné précisément aux PME tunisiennes est en cours d’approbation. Il sera mis à la disposition des banques de la place sous la coordination de le la Banque centrale.  

Ce qui me parait plus grave encore est que cet article projette une image erronée des compétences tunisiennes. Implicitement, il laisse entendre que nos experts, spécialistes et cadres responsables se laissent généralement manipuler pour accepter ce que les fonctionnaires des pays du G8 chercheraient à leur imposer. En connaissance de cause, je peux affirmer que cela est loin d’être le cas.

Salah Darghouth